En avant-première du traditionnel « Colloque Coface risque pays », organisé aujourd’hui 27 janvier, le chef économiste de l’assureur crédit Coface Yves Zlotowski dresse pour Le Moci le panorama des risques pays 2015. Principal constat, «un reflux des défaillances » d’entreprises dans le monde, traduisant « une réduction progressive du risque entreprise dans les pays avancés ».
Le Moci. La crise mondiale n’est toujours pas dépassée. Quelle est la situation des entreprises à fin 2014 ?
Yves Zlotowski. Nous constatons plutôt un reflux des défaillances, soit une réduction progressive du risque entreprise dans les pays avancés, mais, en revanche, plutôt une montée des risques dans les émergents.
En Europe, où les chiffres sont les plus solides, la baisse des défaillances d’entreprises est franche en Espagne et en Allemagne, très légère en France, stable à un très haut niveau en Italie. Et il y a aussi une baisse dans les petits pays comme le Portugal, la Belgique et les Pays-Bas. Dans l’ensemble, la zone euro se porte mieux, ce qui se traduit par une reprise économique qui sera, selon nous, de 1,2 %, ce qui est bien après le + 0,8 % de 2014, mais nous assisterons à une assez lente progression de l’activité.
Le Portugal, c’est une vraie bonne nouvelle, après avoir consenti beaucoup d’effort, sort de la crise. Après avoir appliqué le programme de la troïka européenne, ce pays est devenu plus autonome et on y assiste à un renouveau de la croissance. Néanmoins dans la zone euro, de façon globale, on ne voit pas une reprise de l’investissement. Les entreprises se sentent mieux financièrement, leurs trésoreries sont plus solides, mais elles ne franchissent pas le pas de l’investissement. C’est net en France et en Italie. Et même en Espagne, où l’économie est pourtant dynamique, la reprise n’est pas formidable.
« Les élections en Grèce et en Espagne, où, pourtant, sont les croissances économiques les plus fortes de la zone euro, sont vecteurs d’incertitudes politiques »
Le Moci. Pourtant l’Union européenne a la volonté de soutenir l’investissement…
Y.Z. Effectivement, si l’on se projette au-delà de 2015, il y a beaucoup d’aides de la part de la Banque centrale européenne ou avec le plan d’investissement du président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker. L’euro et le pétrole ont également vu leurs cours baisser. Mais force est de constater que les freins dominent. Et notamment le contexte de pression déflationniste liée à une dette, privée notamment, très élevée, représentant aujourd’hui plus de 100 % du produit intérieur brut (pour la seule dette des entreprises).
Et ça ne va pas s’améliorer. Les sociétés remboursent, mais la dette ne baisse pas. L’Espagne a beau être dynamique, les entreprises n’investissent que modérément à cause du poids de la dette. Autre frein, le risque politique. Nous sommes confrontés à la montée de partis non traditionnels, souvent hostiles à la construction européenne, au moment même où l’Europe construit des outils. Les élections en Grèce et en Espagne, où, pourtant, sont les croissances économiques les plus fortes de la zone euro, sont vecteurs d’incertitudes politiques.
Le Moci. Pour les pays émergents, la détérioration de la situation des entreprises s’accompagne-t-elle d’une détérioration plus générale de l’économie ?
Y.Z. Les émergents sont confrontés depuis 2009 à un retour des crises de change. Leurs entreprises sont souvent endettées, notamment dans les grands émergents, ce qui nous a amené à déclasser la Turquie et la Russie fin 2014. Mais il faut nuancer. Nous ne voyons pas de crises systémiques comme dans les années 90.
Alors certes, il y a des pays en crise aigüe, comme le Venezuela et l’Argentine, mais ils n’ont pas eu besoin de se tourner vers le Fonds monétaire international et les marchés financiers. Ils s’adressent à la Chine, qui devient ainsi un nouveau prêteur parallèlement au FMI.
Parmi les émergents, je mettrai un pays en vedette, le Vietnam, dont le taux de change est stabilisé, le compte courant redressé. Et c’est surtout un pays qui monte en gamme. On n’en est plus aux usines textiles chinoises qui s’y délocalisent pour bénéficier des coûts de main d’œuvre avantageux. Il y a maintenant des investissements massifs des Coréens dans l’électronique, ce qui va stimuler les exportations. Et, même si l’environnement des affaires reste difficile, nous avons décidé de repositionner le Vietnam, qui reste en C sur l’échelle de nos risques pays qui va de A1 à D, mais avec une surveillance positive.
« La chute des prix du pétrole ne va pas modifier nos évaluations »
Le Moci. Des émergents, comme le Venezuela et la Russie, sont touchés de plein fouet par la baisse des cours de pétrole. Dans quelle mesure le retournement des prix des matières premières est pris en compte dans vos évaluations des risques pays ?
Y.Z. La chute des prix du pétrole ne va pas modifier nos évaluations. Il s’agit d’un phénomène conjoncturel et il est possible, en fonction notamment de la volonté de l’Arabie Saoudite, que les cours remontent. Au demeurant, nous ne sommes pas inquiets pour ce pays, qui possède suffisamment de réserves financières pour tenir le choc.
D’autre part, nous avions déjà intégré l’évolution des cours du pétrole dans nos évaluations s’agissant de la Russie, évaluée en C, et du Venezuela, déjà en D, la catégorie la plus mauvaise. Ce qui est vrai c’est que la situation des entreprises françaises s’en trouve améliorée. Pacte de responsabilité + or noir moins cher, leur taux de marge devrait alors augmenter significativement cette année, en passant de 29,5 % fin 2014 à 31,1 % fin 2015.
« Les États-Unis vont représenter le quart de la croissance mondiale. Mais les émergents résistent quand même »
Le Moci. Certains économistes estiment que les États-Unis sont le seul moteur de la croissance mondiale, car l’activité en Chine n’a augmenté que de 7,4 % en 2014, ce qui est un des plus mauvais scores enregistrés par ce pays depuis longtemps. Partagez-vous cette opinion ?
Y.Z. Oui, dans la mesure où les États-Unis vont représenter le quart de la croissance mondiale. Mais les émergents résistent quand même, avec une croissance qui s’améliore légèrement.
Ce qui est très remarquable outre-Atlantique, c’est le retour à un régime de croisière vertueux. Les États-Unis connaissent un véritable renouveau industriel. Dans l’automobile par exemple, les constructeurs vendent à nouveau des 4 X 4 et 90 % des capacités des usines automobiles sont utilisées. Reste que comme en Europe les Américains ne ressentent pas forcément les bienfaits d’une croissance inégalitaire, certains, plus qu’auparavant, se retrouvant exclus du marché du travail. Or, les élections présidentielles se déroulent dans deux ans et nous ne connaissons pas encore les réponses que donneront les Républicains aux questions sociales, notamment à l’Obamacare.
Le Moci. Si la situation globale de l’économie s’améliore, doit-on s’attendre à un redémarrage du commerce mondial et à une réduction des mesures protectionnistes ?
Y.Z. Logiquement le commerce planétaire doit en profiter, mais sans retrouver la vitesse d’antan. La croissance des grandes économies, comme les États-Unis et la Chine, est de plus en plus autocentrée. Ces dernières années, le commerce mondial a été porté par les pays émergents, notamment par les échanges intra-asiatiques autour de la Chine. Maintenant Pékin veut favoriser la consommation domestique.
Alors oui, ça pourrait plus profiter, s’agissant des biens de consommation, aux Européens qu’aux Asiatiques, parce qu’une consommation de qualité va se développer aux dépens des achats de quantité. Mais le protectionnisme que l’on connaît, qui n’est pas dramatique au demeurant, ne va pas pour autant diminuer. Les émergents considèrent que les pays avancés ne sont plus fiables. La récession, puis la croissance molle en Europe notamment, les poussent d’autant plus à développer une stratégie en faveur de leurs classes moyennes et de la montée de la consommation locale.
Propos recueillis par
François Pargny
Pour prolonger :
Lire :
-Notre dernier Atlas des risques pays (110 pays à la loupe)
Et aussi :
–Economie mondiale : le coup de frein à la croissance va ralentir le commerce mondial (FMI)
–Baisse de 12 % des défaillances d’entreprises dans le monde en 2014 (Euler Hermes)
–Risques pays : moins de faillites mais plus de délais et d’incidents de paiement dans certains pays émergents (Euler Hermes)
–Baromètre Euler Hermes : 30 milliards d’euros de plus à saisir pour les exportateurs français en 2015
–Afrique du Nord-Moyen-Orient : la croissance va s’accélérer pour s’élever à 3,2 % en 2015 (Coface)
–Amérique latine : les économies des pays de la côte Pacifique vont continuer à croître en 2015 (Coface)
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–Risque pays : Coface reclasse l’Espagne et déclasse la Turquie et la Russie
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