Dans le vin, l’Inde n’est pas réputée pour être un marché facile. Toutefois, les professionnels s’attendent dans les années à venir à l’ouverture au vin de la livraison à domicile et de la vente en ligne, jusqu’ici encore interdites.
Paradoxalement, c’est la pandémie de Covid-19 qui rend indispensable la modernisation des circuits de vente et distribution des boissons alcoolisées. En Inde, pour la consommation de vin, les hôtels, restaurants et pubs ont toujours été des acteurs majeurs. Or, ceux-ci ont été fermés, en raison de la pandémie.
Comme les Indiens sont de gros consommateurs de boissons alcoolisées, notamment de spiritueux et de bières, plusieurs États de la République fédérale ont décidé d’en autoriser la livraison à domicile, soulignait Olivier Delbecq, chef du pôle Agrotech de Business France India, lors d’un webinaire organisé sur le marché indien par Vitisphère et Business France, le 14 mai
Pour les professionnels et les observateurs du marché indien, la boîte de Pandore est ouverte. Non seulement, depuis le début de la pandémie, la consommation à domicile se développe, mais les acteurs du e-commerce exercent un lobbying croissant en faveur d’une ouverture des circuits de vente et de distribution de proximité.
La pression du e-commerce alimentaire
« Aujourd’hui, expliquait Olivier Delbecq, les grands acteurs du e-commerce alimentaire, comme BigBasket, Amazon India, Flipkart et la chaîne de restauration à domicile Zomato, font pression pour pouvoir délivrer de l’alcool à domicile ».
« En attendant, poursuivait-il, ceux qui ont déjà des licences, comme les cavistes, font de la livraison à domicile ». Enfin, selon lui, « il faut encore compter avec des acteurs de la grande distribution comme Future Group, qui dans leurs magasins disposent de corners de vins et spiritueux et veulent se lancer dans l’e-commerce ».
« Avant, le consommateur se rendait dans les hôtels et restaurants, mais avec le Covid-19, les habitudes vont changer », renchérissait le sommelier et consultant Magandeep Singh, directeur de Wi-Not Beverages Solutions.
« Les hôtels, les restaurants ne peuvent plus organiser de salons ou de séminaires et la consommation diminue », ajoutait-il. C’est pourquoi, est-il persuadé, « les Indiens vont boire de plus en plus à la maison ».
La France dans le Top 3 des fournisseurs
Pour les exportations en Inde, les aéroports de New Delhi et de Bombay sont ouverts, ainsi que l’essentiel des ports.
A ce jour, les spiritueux sont de loin les produits les plus consommés, avec 7 640 millions de litres en 2019, devançant la bière, avec 5 489 millions de litres, et le vin, avec 135 millions.
« Seulement, pourrait-on dire pour le vin, mais les achats sont en forte progression », indiquait Françoise Moreau-Lalanne, conseiller pour les Affaires agricoles à l’ambassade de France. La consommation de vin aurait ainsi augmenté de +12 % ces dernières années.
Dans le vin, la France arriverait en troisième position dans les importations indiennes, avec 19 % en 2018-2019, derrière Singapour avec 21 % et l’Australie avec 23 %.
Une troisième place à relativiser. En effet, de nombreux produits français sont réexportés via Singapour, qui dispose d’un accord spécifique avec l’Inde lui permettant un accès plus facile sur un marché très taxé.
En outre, s’agissant de l’Australie, une part notable des ventes est réalisée avec la marque Jacobs Creek, propriété de Pernod Ricard.
Dans les spiritueux, la part de marché (PDM) tricolore est plus faible, de 5 %, mais là aussi Singapour, dont la PDM se monte à 23 %, est utilisé par les marques françaises comme plateforme de réexportation.
Le handicap du prix
Par rapport aux vins locaux et aux importations d’Espagne, d’Italie et des nations du Nouveau Monde, la France dispose d’un handicap majeur : son prix trop élevé – et ce, même si les professionnels se déclarent toujours prêts à accueillir de nouveaux produit tricolores.
Le cas du champagne est emblématique. A part quelques marques, le vin de fête tricolore est barré par ses concurrents espagnol (cava) et italien (prosecco). En revanche, les crémants et autres effervescents de l’Hexagone plus abordables pourraient trouver leur place sur le marché.
De façon concrète, un produit sorti de cave en France à un euro doit être multiplié par dix sur le marché indien. Or, la majorité des vins s’y vend entre 50 cens et 3 euros. Le système de taxation est complexe et dissuasif pour l’offre française.
Les taxes sur les alcools sont une ressource majeure pour la République fédérale et ses 29 États. Ainsi, au niveau national, un droit de douane de 150 % et une taxe sur les biens et services (GST) de 18 % sont appliqués. Chaque État est, ensuite, libre de pratiquer les accises et la TVA qu’il souhaite, ceux-ci pouvant ainsi s’élever à 25 %.
Le rôle des femmes et des Millenials
En Inde, le vin reste un phénomène essentiellement urbain. Les villes sont parfois de véritables mégalopoles, peuplées de plus de 20 millions d’habitants comme à New Delhi et Mumbai. Et le rouge occupe 75 % du marché. Les femmes sont de plus en plus consommatrices de vin.
Les Millenials (génération des 18-30 ans) jouent aussi un rôle moteur. Dans un pays de 1,3 milliard d’habitants, 475 millions d’habitants sont en âge de boire de l’alcool. Dans les cinq ans à venir, 150 millions s’ajouteront encore à cette tranche.
Parmi les spiritueux, si le whisky demeure indétrônable, le brandy est bien positionné et les alcools blancs gagnent leur place. Les jeunes sont à la recherche de boissons saines et élégantes. Ce sont aussi des consommateurs prêts à acheter plus cher. Cette tendance à la premiumisation doit être suivie attentivement par les exportateurs français.
François Pargny