La présidente de la Commission Ursula von der Leyen a dévoilé le 1er février le plan industriel du pacte vert européen, qui vise à renforcer la compétitivité des industries vertes de l’UE face aux plans de soutiens massifs mis en place par d’autres grands pays, notamment les États-Unis avec l’IRA (Inflation réduction Act). Du côté des aides, un « cadre temporaire de transition et de crise » a également été présenté, en attendant la création d’un fonds européen.
Ni les États-Unis, ni son Inflation Reduction Act (IRA) n’ont été cités, la présidente de la Commission préférant évoquer des Européens « compétitifs » ayant « besoin de la concurrence », mais ils sont pourtant dans tous les esprits. Le gigantesque plan de relance américain à 369 milliards de dollars pour développer les industries vertes et ses généreuses subventions réservées aux entreprises de droit américain font en effet craindre une relocalisation des investissements dans des secteurs d’avenir depuis l’Europe vert la pays de l’Oncle Sam.
Pour contrer cette concurrence, ainsi que celle de la Chine, perfusée d’aides publiques, l’Union européenne entend donc bâtir une politique industrielle verte reposant sur quatre piliers.
Une politique reposant sur quatre piliers
– Un environnement réglementaire prévisible et simplifié
Premier chantier de ce plan industriel, la définition d’objectifs en matière de capacité industrielle zéro-émission, permettra de poser un cadre réglementaire « garantissant des permis simplifiés et accélérés, promouvant des projets stratégiques européens et élaborant des normes pour soutenir l’expansion des technologies dans l’ensemble du marché unique ».
En complément, une loi sur les matières premières critiques permettra un accès suffisant notamment aux terres rares, indispensables au développement de technologies stratégiques. Une réforme du marché de l’électricité est également au programme fin de permettre aux consommateurs de bénéficier des coûts moins élevés des énergies renouvelables.
– Améliorer les compétences
Le développement des compétences nécessaires pour des emplois de qualité bien rémunérés sera une priorité pour l’Année européenne des compétences. A cette fin, la Commission propose de créer des « académies énergétiques zéro-émission » afin de déployer des programmes de perfectionnement et de requalification dans les industries stratégiques. Elle examinera également comment combiner une approche « Compétences d’abord », reconnaissant les compétences réelles, avec les approches existantes fondées sur les qualifications, et comment faciliter l’accès des ressortissants de pays tiers aux marchés du travail de l’UE dans les secteurs prioritaires. Des mesures visant à encourager et à aligner les financements publics et privés pour le développement des compétences sont également prévues.
– Des chaînes d’approvisionnement résilientes
Pour porter la coopération mondiale et la mise en œuvre du commerce dans le cadre d’une transition verte en respectant les principes de concurrence loyale l’UE entend s’appuyer sur ses partenaires et les travaux de l’OMC. Pour ce faire, « la Commission continuera de développer le réseau d’accords de libre-échange de l’UE et d’autres formes de coopération ».
La création d’un club des matières premières critiques est également au programme, pour réunir les pays consommateurs de matières premières et les pays riches en ressources afin d’assurer la sécurité mondiale de l’approvisionnement.
Enfin, la Commission veillera « à ce que les subventions étrangères ne faussent pas la concurrence sur le marché unique, y compris dans le secteur des technologies propres ».
– Accès plus rapide au financement
C’est le sujet le plus attendu par les entreprises : l’accélération des investissements et le financement de technologies propres. Afin d’accélérer et de simplifier l’octroi des aides, la Commission consultera les Etats membres sur un cadre temporaire de transition et de crise en matière d’aides d’Etat modifié et révisera le règlement général d’exemption par catégorie à la lumière du pacte vert, en augmentant les seuils de notification pour le soutien aux investissements verts. Cela contribuera, entre autres, à rationaliser et à simplifier davantage l’approbation Projets importants d’intérêt européen commun (PIIEC).
La Commission facilitera également l’utilisation des fonds existants de l’UE pour financer l’innovation, la fabrication et le déploiement de technologies propres. Elle étudie également les moyens de parvenir à un financement commun plus important au niveau de l’UE pour soutenir les investissements, actuellement en cours d’évaluation.
Pour le moyen terme, la Commission entend apporter une réponse structurelle aux besoins d’investissement, en proposant un Fonds européen pour la souveraineté dans le cadre de la révision du cadre financier pluriannuel avant l’été 2023.A court terme, la Commission travaillera, en mettant l’accent sur REPowerEU, InvestEU et le Fonds pour l’innovation, à l’élaboration d’une solution de transition permettant de fournir un soutien rapide et ciblé.
Un assouplissement temporaire des aides publiques
Pour accélérer le soutien financier aux entreprises, les aides suivantes pourront être octroyées par les Etats membres :
– Des montants d’aides limités, sous n’importe quelle forme, aux entreprises touchées par la crise actuelle ou par les sanctions et contre-sanctions ultérieures, jusqu’à concurrence des montants accrus de 250 000 euros et de 300 000 euros respectivement dans les secteurs de l’agriculture, et de la pêche et de l’aquaculture, et jusqu’à 2 millions d’euros dans tous les autres secteurs.
– Un soutien de trésorerie sous la forme de garanties publiques et de prêts bonifiés. Les États membres pourront fournir :
i) des garanties publiques bonifiées pour faire en sorte que les banques continuent d’accorder des prêts à toutes les entreprises touchées par la crise actuelle; et
ii) des prêts publics et privés assortis de taux d’intérêt bonifiés.
Pour les deux types de soutien, certaines limites s’appliquent concernant le montant maximal du prêt, sur la base des besoins opérationnels d’une entreprise, compte tenu de son chiffre d’affaires, des coûts de l’énergie qu’elle doit supporter ou de ses besoins de trésorerie spécifiques. Les prêts peuvent porter à la fois sur des crédits aux investissements et sur des besoins en fonds de roulement.
– Des aides destinées à compenser les prix élevés de l’énergie. Les États pourront indemniser partiellement les entreprises, en particulier les gros consommateurs d’énergie, pour les surcoûts dus aux hausses exceptionnelles des prix du gaz et de l’électricité. Ce soutien pourra être accordé sous quelque forme que ce soit, y compris sous la forme de subventions directes. En outre, les Etats membres peuvent agir avec davantage de flexibilité pour octroyer un soutien, notamment en faveur d’entreprises grandes consommatrices d’énergie et de secteurs soumis à une pression concurrentielle en raison de la forte intensité du commerce international (sous réserve de garanties visant à éviter toute surcompensation).
– Des mesures visant à accélérer le déploiement des énergies renouvelables. Les États membres peuvent mettre en place des régimes d’investissement dans les énergies renouvelables, notamment l’hydrogène renouvelable, le biogaz et le biométhane, le stockage et la chaleur renouvelable, y compris au moyen de pompes à chaleur, au moyen de procédures d’appel d’offres simplifiées qui pourraient être rapidement mises en œuvre. Ils peuvent notamment concevoir des régimes pour une technologie particulière, nécessitant un soutien eu égard à la spécificité du bouquet énergétique national;
– Des mesures facilitant la décarbonation des processus industriels. Les États membres peuvent soit
i) mettre en place de nouveaux régimes fondés sur des appels d’offres, soit
ii) apporter un soutien direct à des projets, sans recourir à des appels d’offres mais en respectant certaines limites relatives à la part de l’aide publique par investissement. Des primes complémentaires spécifiques seraient prévues pour les petites et moyennes entreprises ainsi que pour les solutions particulièrement efficaces sur le plan énergétique.
Reste à savoir si ces mesures seront suffisantes pour résister aux États-Unis et à la Chine, et si elles arriveront à temps… En attendant, l’Inflation Reduction Act aura au moins eu l’avantage de faire passer les Européens à la vitesse supérieure dans la construction d’une politique industrielle commune et ambitieuse.
S.C.