La réticence de l’opinion publique européenne risque d’être le principal obstacle à l’avancée des pourparlers de libre échange. Quelque 250 000 personnes selon les organisateurs, 100 000 selon la police, ont ainsi défilé le 10 octobre dernier dans les rues de Berlin répondant à l’appel de plusieurs partis politiques, organisations syndicales, environnementales, altermondialistes et de défense des consommateurs. Leur mot d’ordre ? La fin des négociations entre l’UE et les Etats-Unis pour conclure une vaste zone de libre-échange représentant plus de 40 % du PIB mondial. En termes de biens et services, le marché transatlantique est en effet le plus important au monde. Mais pour les opposants au TTIP (Transatlantic trade and investment partnership, en français PTCI), l’accord risque surtout de générer une déréglementation généralisée et un recul du champ d’action des gouvernements, au profit des entreprises.
Si, d’un côté, le gouvernement d’Angela Merkel a récemment réitéré ses appels pour une accélération des pourparlers en cours, la méfiance va croissant au sein de l’opinion publique allemande, et la mobilisation de samedi dernier n’en est pas la seule illustration. La grande coalition menée par la chancelière tente de calmer le jeu. Dans une lettre publiée par plusieurs journaux allemands le jour même de la manifestation, le vice-chancelier et ministre de l’Économie avertit ceux qu’il appelle les « alarmistes ». « Nous avons la chance de fixer de nouvelles et bonnes normes pour développer le commerce mondial. Avec des règles ambitieuses pour l’environnement et les consommateurs et avec des conditions justes pour l’investissement et les salariés. Cela doit être notre objectif », écrit Sigmar Gabriel. D’autres partisans du projet mettent en avant la nécessaire alliance des Européens et des Américains pour faire contrepoids à la puissance économique de la Chine.
Une initiative citoyenne contre le TTIP
Mais les opposants à l’accord UE/États-Unis sont jusqu’ici restés sourds à ces arguments et la mobilisation dépasse de loin les frontières de la seule Allemagne. Le 7 octobre dernier, une pétition signée par plus de trois millions de citoyens a été déposée à la Commission européenne. « Les trois millions de signatures recueillies montrent que les Européens s’opposent fermement à ces accords commerciaux axés sur les entreprises. Le peuple d’Europe s’est exprimé, les responsables politiques ne peuvent plus tourner le dos à leurs électeurs », a commenté John Hilary, membre du comité citoyen « Stop TTIP » et directeur général de l’ONG « War on Want ».
Comme le prévoit le traité de Lisbonne, la pétition a été lancée dans le cadre de l’initiative citoyenne européenne. Celle-ci permet, en théorie, à l’exécutif européen de faire de nouvelles propositions législatives sur la base d’un million de signatures au moins, recueillies dans sept États membres différents. Mais cette nouvelle action reste à ce stade purement symbolique. En septembre 2014, la Commission ayant déjà refusé d’enregistrer la pétition sous prétexte que la décision de négocier un accord transatlantique avec les États-Unis ne relève pas seulement de sa responsabilité, mais aussi de celle du Conseil européen, donc des États membres. Unique recours pour la société civile, la requête est actuellement examinée par la Cour européenne des droits de l’homme. « 500 organisations ont pris part à l’initiative citoyenne européenne Stop TTIP », rappelle l’activiste Susan George, cité par le site d’information Euractiv, ajoutant: « s’il existe une once de vérité dans les promesses de transparence et de consultation des citoyens, les institutions européennes doivent organiser une audition au Parlement et la Commission doit agir pour mettre un terme aux traités ».
Appelant de leurs voeux un véritable débat démocratique, ces militants ont jusqu’ici vu leurs demandes rejetées par les responsables à Bruxelles. Dans une tribune publiée par le quotidien britannique The Independant, John Hilary fait un portrait au vitriol de la commissaire en charge du Commerce, Cecilia Malmström, qu’il a pu rencontrer dans ses bureaux aseptisés, au dernier étage du Berlaymont à Bruxelles. « Lorsque je lui ai demandé comment elle pouvait continuer à promouvoir ce pacte commercial, face à cette opposition publique massive, sa réponse m’a fait froid dans le dos », relate cet activiste. Selon lui, la commissaire aurait simplement répondu : « Je ne prends pas mon mandat des citoyens européens ». La phrase choc a déjà fait le tour des réseaux sociaux alimentant largement l’argument selon lequel la Commission serait directement mandatée par les grands lobbys industriels, les seuls à pouvoir tirer bénéfice du futur pacte commercial.
Kattalin Landaburu à Bruxelles