Le Conseil français des investisseurs en Afrique (CIAN), en présence de Etienne Giros, son président délégué et Patrick Sevaistre, membre du comité directeur du CIAN, a organisé le 30 avril un atelier pour faire le point sur la situation actuelle et les perspectives des accords de partenariat économique (APE).
Un sujet important, ces accords visant à développer le libre-échange entre l’Union européenne (UE) et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Un point qui s’impose alors que le processus de signature arrive en phase finale.
Le contexte : le processus de négociation a commencé en 2000. Les APE sont censés prendre la suite des accords signés dans le cadre de la Convention de Lomé (1975-2000) et l’Accord de Cotonou de 2000, notamment pour les adapter aux règles OMC. Ces Conventions reposaient sur un régime de préférences commerciales non réciproque. « L’octroi de préférences non réciproques est devenu discriminatoire », a expliqué Patrick Sevaistre. En effet, il est non conforme à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui interdit toute discrimination entre pays en développement.
Le problème du découpage régional : le « spaghetti bowl » africain
L’Afrique compte 14 organisations économiques régionales dont seules huit sont reconnues par l’Union africaine (UA). La plupart des pays africains appartiennent à plusieurs d’entre elles à la fois. Ainsi, sur 54 pays africains, seuls 3 pays : l’Algérie (UMA), le Mozambique (SADC) et le Cap Vert (CEDEAO) sont membres d’une seule organisation régionale. La République démocratique du Congo ou le Kenya appartiennent à quatre organisations.
« Cela donne lieu à ce que les économistes appellent le « spaghetti bowl » », a indiqué Patrick Sevaistre. « On a un problème de découpage avec 4 régions (Afrique de l’Ouest, Afrique centrale, Afrique de l’Est et Afrique australe) », a-t-il poursuivi.
Ce sont ces quatre régions africaines qui ont entamé des négociations APE avec l’UE :
- Afrique de l’Ouest : la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) + Mauritanie (16 pays)
- Afrique centrale : la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale (CEMAC) + République démocratique du Congo (RDC) + São Tomé et Príncipe (STP) (8 pays)
- Afrique de l’Est et Afrique australe : Afrique orientale et australe (ESA) (16 pays) et la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) (7 pays)
Une source de complexité est que dans chacune de ces régions, coexistent des pays à statuts différents : les pays moins avancés (PMA) et non PMA.
Pour les PMA, pays dont le PIB par habitant est inférieur à 1 035 dollars, l’UE a mis en place en 2001 l’initiative « Tout sauf les armes (TSA) » qui étend le libre accès au marché de l’UE, en franchise de droits et contingents, à tous les produits des PMA, à l’exception des armes, et ce sans obligation de réciprocité.
Il y a par exemple 12 PMA sur les 16 pays membres de la CEDEAO, a rappelé Patrick Sevaistre. Si les PMA refusent l’APE, ils gardent les avantages du TSA, mais sans bénéficier du « package » développement prévu dans l’APE (développement de la capacité d’offre, ajustement fiscal, appui macroéconomique, appui à l’intégration régionale…).
Les non PMA bénéficient du système de préférence généralisée (SPG). Les non PMA ont beaucoup plus à perdre en cas de non signature de l’APE, la seule possibilité pour eux étant de garder un accès préférentiel au marché de l’UE.
Repère Seuls les non PMA exportateurs vers l’Union européenne sont directement concernés par l’APE. Exemple : Côte d’Ivoire, Ghana, Nigeria et Cap Vert, Gabon, Congo, Cameroun.
Du fait d’un découpage régional auquel vient s’ajouter un traitement différencié entre PMA et non PMA, il en résulte une difficulté à trouver dans chaque région un dénominateur commun vis-à-vis de l’APE.
Les négociations régionales sont menées à 3 niveaux : les négociateurs en chef, les hauts-fonctionnaires, et les experts techniques. En 2002-2007 s’est tenu un cycle de négociation qui a abouti à un blocage prévisible.
Les principaux points de blocage
Plusieurs points de blocage se sont manifestés dans le processus de négociation depuis son lancement. Ils ont été rappelés par Patrick Sevaistre.
L’un des principaux a été le degré de libéralisation et la durée de la période de mise en œuvre (démantèlement tarifaire).
Pour l’UE, le seuil minimum de libéralisation à atteindre est de 80 %, dans un délai maximum de 15 ans, non négociable faisant référence à l’interprétation unilatérale des notions de « l’essentiel des échanges » et de « délai raisonnable » introduites par l’OMC dans l’article 24 de l’OMC.
Pour l’Afrique (CEDEAO) : d’abord 60 % sur 25 ans, puis 63 % sur 25 ans puis 70 % sur 25 ans.
Un deuxième point de blocage a été le manque à gagner en recettes douanières qu’entraînerait pour les pays africains le désarmement tarifaire.
Un front de refus s’est organisé, les ONG se sont emparées du sujet – le climat s’est dégradé au fur et à mesure que l’échéance approchait. Devant ce front de refus, la Commission européenne a fini par reconnaître l’impossibilité de respecter la date butoir du 31 décembre 2007. Elle a donc annoncé, dès octobre 2007, qu’elle se contenterait d’un « APE light » – un accord allégé- avec des sous‐groupes de pays, voire en bilatéral, avec les pays menacés de perdre leur accès préférentiel au marché UE.
Une négociation à deux vitesses depuis 2008
Depuis 2008, on assiste à une négociation à deux vitesses avec l’APE intérimaire (APE-I). La signature d’un APE complet n’ayant pas été possible dans toutes les régions, il a été décidé que les APE seraient conclus en deux étapes dont la première consiste en la signature d’un accord intérimaire qui prévoit un calendrier pour la finalisation d’un APE complet.
Bilan au début 2008 : une seule région a signé un APE complet, il s’agit des 15 pays membres du Forum des États ACP des Caraïbes (CARIFORUM) et 18 pays africains et 2 pays du Pacifique ont paraphé des APE intérimaires. Par ailleurs, 42 pays dits ACP n’ont signé aucun APE. « Parmi les 30 pays africains qui n’ont pas signé d’APE, 26 sont des PMA », a informé Patrick Sevaistre. Ces derniers continuent donc à bénéficier du système TSA.
En Afrique centrale, seul le Cameroun (non PMA) a paraphé un APE d’étape en décembre 2007.
Cet exemple mérite attention : le Cameroun a paraphé en décembre 2007, puis signé en 2009 l’APE, et doit le ratifier. Sans attendre la ratification, l’UE a immédiatement exonéré de droits de douane et quotas à l’entrée sur tous les produits camerounais (bananes, aluminium, contreplaqués, produits transformés du cacao) sauf sucre et riz (période transitoire jusqu’en 2015). En contrepartie, le Cameroun s’est engagé à libéraliser 80 % des importations en provenance de l’UE sur une période de 15 années à partir du 1er janvier 2008. Cette décision porte sur les machines industrielles (pompes, groupes électrogènes, etc.), véhicules (bateaux, avions, voitures) ainsi que sur tous les intrants utilisés par les industries du Cameroun non produits localement.
2014, une relance du processus de négociation APE avec la CEDEAO ?
On assiste en 2014 à la relance du processus avec l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Un compromis a été trouvé entre l’UE et la CEDEAO au mois de février selon lequel les pays de la CEDEAO peuvent protéger à hauteur de 25 % les industries et les secteurs qu’ils ne souhaitent pas voir libéralisés, ils ont 20 ans pour le faire.
L’accord est assorti d’une enveloppe de 6,5 milliards d’euros sur 2015‐2020 afin de, notamment, compenser une partie du manque à gagner fiscal des pays CEDEAO et de soutenir les efforts de ces pays dans la mise en œuvre des réformes structurelles nécessaires (transition fiscale).
Toutefois, si l’APE CEDEAO est bouclé sur le plan technique, un blocage politique avec le Nigeria subsiste.
Patrick Sevaistre a dressé un tableau avantages/inconvénients des APE utile pour comprendre les enjeux des négociations, en s’appuyant sur l’exemple de la CEDEAO :
Côté avantages : réduction du prix des biens de consommation importés de l’UE ; baisse des coûts de production industrielle ; incitation à remplacer la fiscalité de porte (cf. taxes douanières) par une fiscalité intérieure moderne (TVA) ; arrêt des subventions de l’UE à l’exportation pour les produits agricoles exportés vers les marchés d’Afrique de l’Ouest ; opportunités nouvelles pour des investisseurs étrangers intéressés à produire et commercialiser sans droit de douane sur l’UE et la CEDEAO.
Côté risques : manque à gagner fiscal pour les États ; risques sur plusieurs activités de substitution d’importations ; risque sur l’intégration régionale (certains pays de la CEDEAO pourraient se détourner des importations de la sous-région pour s’approvisionner auprès de l’UE) ; risques d’augmentation des disparités entre pays côtiers et pays sahéliens.
Mais pour l’expert du CIAN, la question aujourd’hui pour les entreprises n’est plus de savoir si, comme persistent à le dire les ONG (organisations non gouvernementales), ces accords sont bons ou mauvais pour l’Afrique, mais de savoir comment elles peuvent en bénéficier très concrètement.
Ce que, a-t-il remarqué, l’industrie textile chinoise semble être bien décidée à faire en cherchant à délocaliser en Afrique une partie de ses activités pour profiter ainsi d’un accès préférentiel aux marchés européens. L’industrie textile chinoise perd tous les ans 10 à 15 % de sa capacité de production au profit d’autres destinations low cost à cause d’une compétitivité coûts qui se dégrade dangereusement…
Venice Affre