Objet de surenchères politiques lors de la dernière campagne présidentielle en France, la révision de la directive européenne controversée sur les Travailleurs détachés est une longue marche tant elle continue à diviser les Européens. Prévu mardi 30 mai, au sein de la commission Affaires juridiques (JURI) du Parlement européen (PE), le vote a de nouveau été reporté, faute d’accord entre les groupes sur la dernière mouture du texte. Une occasion de revenir sur ces divergences d’approches, .
La rapporteure au sein du comité JURI, la Suédoise social-démocrate Jytte Guteland, défend l’extension de la base légale de la directive au volet social de l’Europe, ne la restreignant plus seulement aux règles prévues dans le cadre du marché unique, comme c’est le cas actuellement. Objectif : parvenir à un meilleur équilibre entre la liberté d’offrir des services dans toute l’UE et la protection des travailleurs détachés.
Un retour en arrière s’impose pour comprendre les enjeux.
En 1996, les écarts de salaires n’étaient que de 1 à 3
Adopté en 1996, le texte permet d’employer un travailleur européen dans un État membre de l’UE en payant les cotisations sociales de son pays d’origine. Si la Commission avait alors proposé de baser la directive sur la protection du droit des travailleurs et pas seulement sur les règles du marché unique, le Portugal et le Royaume-Uni avaient opposé leur veto.
« Mais les travailleurs détachés étaient rares à l’époque », rappelle Élisabeth Morin-Chartier, rapporteure du texte au PE, qui milite elle aussi pour étendre la base légale du détachement. « Lorsqu’elle a été adoptée, l’Europe regroupait quinze États où les écarts de salaire n’étaient que de 1 à 3. Mais vingt ans plus tard, l’élargissement a accentué les disparités. Le salaire minimum est dix à treize fois supérieur à l’ouest du continent qu’à l’est », précise l’eurodéputée membre du groupe PPE, principale famille politique au sien de l’hémicycle.
Entre 2010 et 2014 le nombre de travailleurs détachés a en effet progressé de 45 %, provoquant des crispations entre les pays à l’est et à l’ouest de l’Europe. « Et cette fracture se retrouve au sein même du PE », regrette Jytte Guteland, qui s’était félicitée d’avoir obtenu une majorité au sein de la commission JURI pour l’adoption du texte, grâce au soutien des libéraux et démocrates (ALDE), des socialistes, des Verts et de la gauche radicale.
Résistances à l’est de l’Europe
Mais les membres du comité, issus des rangs du PPE – et pour la majorité originaires d’un pays à l’est du bloc – continuent de freiner des quatre fers. Affirmant que le secrétariat du PE ne leur avait pas présenté la version finale du document, ils ont obtenu le report du vote, reprogrammé pour une réunion extraordinaire le 12 juin prochain. « Ils gagnent du temps pour tenter de défaire la fragile majorité constituée par le rapporteur », analyse un expert de la Commission JURI.
C’est surtout dans les rangs de l’ALDE que les détracteurs de la directive tenteront d’obtenir de nouveaux ralliements. Coordinateur pour ce groupe au sein du comité, Jean-Marie Cavada a d’ores et déjà annoncé qu’il voterait en faveur du texte malgré certaines réticences. « Avec deux bases légales, comment les États membres arriveront-ils à transposer la directive dans de bonnes conditions? », s’est-il interrogé, tout en reconnaissant la nécessité d’une Europe « plus humaine, plus sociale ». Et c’est bien là tout l’enjeu de la révision de cette directive : ouvrir une fenêtre sur l’Europe sociale, une des priorités du programme d’Emmanuel Macron.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles