« Mieux vaut pas d’accord du tout qu’un mauvais accord », n’a cessé de répéter Theresa May au cours de ces derniers mois. Un positionnement qui suppose la négociation d’un ‘Brexit dur’, susceptible de coûter très cher à son pays. Et cette perspective effraie les acteurs du secteur automobile, tant au sein du Royaume qu’à l’extérieur de ses frontières. « La Grande-Bretagne restera le meilleur endroit en Europe pour exploiter et assurer la croissance de vos entreprises », a assuré la Première ministre lors d’une rencontre avec des investisseurs japonais, fin avril. Parmi les 1 000 sociétés nippones possédant des activités Royaume-Uni, et dont les investissements s’élèvent à 40 milliards de livres, les constructeurs automobiles Nissan et Toyota ont déjà averti qu’ils pourraient revoir leurs projets d’investissement en fonction de l’accord commercial que Londres négociera avec Bruxelles.
Les représentants de Nissan, par exemple, ne confirmeront leur plan de construction d’une nouvelle usine à Sunderland, pour construire deux nouveaux modèles de la marque, que lorsqu’ils auront reçu les garanties nécessaires que le pays restera compétitif après le ‘Brexit’. Même chose pour Toyota, qui a prévu d’investir 240 millions de livres dans son usine de Derby. Les deux constructeurs exportent leurs voitures sur le marché européen et emploient des milliers de travailleurs britanniques.
Sept véhicules sur dix vendus en Grande-Bretagne sont originaires d’un État membre de l’UE
Mêmes inquiétudes de la part des constructeurs britanniques qui ne cessent de faire pression sur le gouvernement pour l’alerter sur les conséquences d’une absence d’accord au lendemain du 29 mars 2019, date prévue pour la fin des négociations avec Bruxelles. « Il nous semble difficile d’envisager un accord qui puisse être pire qu’un non-accord », a prévenu Mike Hawes, le directeur général de l’association britannique des constructeurs et distributeurs automobiles. Selon lui, les entreprises du secteur, basées dans le pays, devront faire face à des grosses difficultés si les tarifs douaniers étaient réintroduits.
A l’heure actuelle, sept véhicules sur dix vendus en Grande-Bretagne sont originaires d’un État membre de l’UE. « Grâce à cet avantage compétitif sur le marché, ils pourront faire peser les surcoûts sur les prix proposés aux consommateurs », estime Mike Hawes. Selon lui, l’importation d’une voiture, depuis l’une des centaines d’usines établies au sein du bloc, entraînera, après le ‘Brexit’, une hausse moyenne des prix de 1 500 livres.
« De l’autre côté les voitures exportées du Royaume-Uni ne bénéficieront pas des mêmes leviers sur le marché », déplore le lobbyiste, soulignant que seulement 6,3 % des véhicules achetés par les consommateurs européens sont construits en Grande-Bretagne. « Faute d’être en mesure de faire peser les surcoûts sur les acheteurs, nos constructeurs devront les absorber, ce qui risque de leur faire perdre 10 % de leur compétitivité », ajoute-t-il.
Le rétablissement des anciens tarifs « peu probable selon M. Barnier »
Le rétablissement des anciens tarifs douaniers – fixés par l’OMC à 10 % pour les voitures et à 4 % pour les pièces détachées -, « est néanmoins peu probable et peu souhaitable », indique un proche de Michel Barnier, le négociateur en chef côté européen. « Sauf bien sûr si aucun accord n’est trouvé sur les dossiers prioritaires définis par les Vingt-sept comme le statut des citoyens européens au Royaume-Uni ou le montant du chèque que les Britanniques devront verser à l’UE pour s’acquitter des frais de sortie du bloc », nuance-t-il. Selon cette source, un accord ‘post-Brexit’ sur les droits tarifaires risque plutôt de pénaliser le secteur des services, en particulier ceux des banques et de l’aviation.
Reste néanmoins l’épineux problème des « droits d’origine ». Actuellement seuls 41 % des pièces détachées nécessaires à la construction des véhicules sont fabriqués au Royaume-Uni, le reste étant importé de l’extérieur. Et ce volet sera déterminant pour décider si une voiture fabriquée dans le pays peut être couverte par un accord commercial conclu avec l’UE. « Généralement, les pactes commerciaux n’incluent que les véhicules dont 55 % des pièces proviennent de l’État concerné », déplore Mike Haws. Des craintes également relayées par l’Association européenne des constructeurs automobiles (ACEA). « Notre secteur est unique en ce sens qu’il possède un modèle d’entreprise basé sur une chaîne d’approvisionnement entièrement intégrée développée dans toute l’Europe », souligne Erik Jonnaert, le secrétaire général de la Fédération. « Quel que soit l’accord conclu, le Brexit aura des effets négatifs », conclut-il.
Second marché européen des voitures particulières après l’Allemagne, le Royaume-Uni exporte 80 % des véhicules fabriqués sur son territoire, plus de la moitié étant destinée aux États membres de l’UE. La perspective d’une sortie du marché unique et de l’Union douanière donne donc des sueurs froides aux géants européens du secteur. Si la mini de BMW, par exemple, est bien assemblée dans ses usines à Oxford, certaines pièces sont fabriquées à Munich et d’autres ailleurs en Europe. « L’UE a donc besoin du Royaume-Uni et inversement », rappelle Matthias Wissmann, le président du puissant lobby allemand du secteur automobile pour qui un « hard Brexit sera difficile et coûteux. Il supposera aussi une longue phase d’incertitudes pour les acteurs des deux camps ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles