Si vous n’avez rien compris aux nouveaux accords commerciaux entre l’Union européenne (UE) et le Royaume-Uni, notamment le fameux compromis sur l’Irlande, c’était l’occasion à ne pas manquer. Michel Barnier, le négociateur en chef sur le Brexit, côté européen, était auditionné au Sénat français ce mardi 16 février pour faire le point sur ces accords signés après 4 ans de négociations laborieuses. Voici ce que l’on en a retenu.
« Comme tout divorce il provoque des conséquences graves, nombreuses », et ce dans tous les domaines, « souvent sous-estimées et mal expliquées », a admis le conseiller spécial de la Présidente de la Commission européenne. Dès le début des pourparlers l’objectif fut donc de « remettre de la certitude là où le divorce crée de l’incertitude ».
L’ex. ministre de l’Agriculture et de la pêche de Nicolas Sarkozy est ensuite longuement revenu sur l’architecture particulière des deux accords scellés entre Bruxelles et Londres.
L’accord de divorce : la nouvelle frontière irlandaise
Le premier sert d’abord à « institutionnaliser le divorce », dans un traité de 1200 pages, qui revient point par point sur les termes de la séparation.
Principal problème soulevé par le négociateur en chef : l’Irlande « où la guerre a provoqué la mort de 4000 personnes », a rappelé Michel Barnier d’un ton grave. Or l’une des conditions de cette paix fragile tient à l’absence de frontières entre les deux Irlande. « Le problème c’est que la limite du marché unique elle est là. Toute marchandise qui passe la ligne se voit imposer un contrôle strict ».
Ce casse-tête, qui a donné du fil à retordre aux deux équipes de négociation, a finalement été résolu de la façon suivante : l’Irlande du Nord fait toujours partie du marché unique mais reste un territoire douanier britannique. Les contrôles devront donc se faire à la limite de l’île et non plus physiquement sur l’île.
« Une vache qui entre en Irlande du Nord, venant d’Angleterre, donc du même pays, elle entre en France, en Belgique en Allemagne, mécaniquement, puisqu’il n’y a plus de frontières », a-t-il évoqué à titre d’exemple. « Donc cette vache nous devons la contrôler ». Et ces vérifications auront lieu à Belfast, par les autorités douanières britanniques avec la coopération de leurs homologues de l’UE.
Aussi complexe que cela puisse paraître « la solution est opérationnelle et durable », a insisté le Savoyard, soulignant qu’il fallait « dédramatiser, en évitant de mettre de la passion, de l’idéologie ».
Une façon de revenir sur l’incident qui a failli provoquer la première crise diplomatique entre Londres et Bruxelles. En activant la clause de contrôle des exportations, pour surveiller de près les vaccins entrant et sortant du territoire de l’UE, la Commission a commis « une erreur », a admis Michel Barnier devant les sénateurs. Car ladite clause prévoit de nouveaux contrôles en Irlande « alors que je m’étais battu pendant cinq ans pour qu’il n’y ait pas de frontières ».
Nouvel accord commercial : « empêcher la divergence »
Refusant de s’attarder sur cette bévue, attribuée à Ursula Von Der Leyen, la cheffe de l’exécutif européen, l’ex-Commissaire a ensuite présenté les principaux axes du nouvel accord, celui qui définit les termes de la relation commerciale et économique future entre le Royaume-Uni et l’UE.
Alors que les traités commerciaux conclus avec le Japon et le Canada, ont été négociés pendant six ans et cinq ans et demi, respectivement, celui-ci n’aura été ficelé qu’en quelques mois. « D’où la proposition mise directement sur la table : pas de tarifs, pas de quotas », a rappelé Michel Barnier.
La situation du Royaume-Uni est en effet unique. Du fait d’abord de sa proximité – « 0 kilomètre » – mais aussi du volume important des échanges entre les deux blocs. Par ailleurs, c’était aussi la première fois qu’un accord de libre-échange (ALE) était négocié dans un contexte de divergences réglementaires et non pas de convergence. « Il ne s’agissait pas d’encourager la convergence, comme avec le Canada mais d’empêcher la divergence », a souligné le négociateur européen.
Des outils de dissuasion sur les aides d’État et les normes
Et pour garantir une concurrence, la plus loyale possible, des outils de dissuasion et de prévention ont été mis en place sur deux sujets : l’attribution des aides d’État et la non-régression des standards et des normes.
Si les termes de l’accord n’étaient pas respectés à l’avenir, sur ces points spécifiques, les deux camps pourraient mettre en œuvre « des mesures compensatoires, rétablir les tarifs, faire des suspensions croisées, avec d’autres secteurs de l’accord, voir remettre tout en cause ». Une remise à plat de l’accord est également prévue tous les quatre ans pour évaluer son fonctionnement.
L’énergie, les transports, la pêche figurent aussi dans le pacte commercial et économique. Idem pour la coopération en matière de sécurité intérieure.
Le dernier chapitre, enfin, comprend l’accord cadre global sur la gouvernance. « Il y a un seul système de règlement des conflits » a insisté Michel Barnier, expliquant que la Commission avait d’emblée refusé la mise en place d’un « système salami à la Suisse ».
Deux exclusions : les services financiers et la sécurité extérieure
Deux dossiers restent cependant en dehors de l’accord.
Le premier « que nous ne voulions pas », concerne les services financiers. Des équivalences pourront être attribuées, dans certains secteurs « en fonction de nos intérêts et en tenant compte d’une règle majeure, notre stabilité financière », a martelé celui qui fut Commissaire en charge du dossier au lendemain de la crise financière de 2008.
L’autre sujet, « dont ils ne voulaient pas », englobe le domaine de la sécurité extérieure et de la défense. « Mais nous restons ouverts pour négocier », si Londres venait à changer d’avis, a-t-il indiqué.
Trois points de vigilance
En conclusion, Michel Barnier a évoqué les trois questions principales pour lesquelles une vigilance particulière devra s’appliquer.
La première est relative à l’Irlande et aux conditions pour maintenir une paix fragile entre les deux zones de l’île.
La seconde vise la bonne application du traité. « J’ai toujours pensé qu’un gouvernement juste devait attacher autant d’importance aux effets de suivi qu’aux effets d’annonce », a-t-il expliqué en lançant, en guise d’avertissement : « il faudra bien distinguer ce qui est l’adaptation aux nouvelles règles, notamment le contrôle douanier, de ce qui est le fonctionnement normal ».
Une façon de rappeler que rien ne sera plus comme avant entre les Européens et les Britanniques. Tous les produits sont désormais contrôlés et le Brexit met aussi un terme aux certifications automatiques, au passeport financier aux reconnaissances professionnelles.
Enfin, troisième et dernier sujet de vigilance : prendre le temps de comprendre les raisons qui ont poussé au Brexit. Selon Michel Barnier, le travail a déjà été entamé par la Commission – fin de la naïveté en matière commerciale, élaboration des contours d’une nouvelle politique industrielle – mais l’analyse devra se poursuivre tant à Bruxelles que dans les autres capitales européennes.
Pour lui, le rejet de la machine bureaucratique communautaire « est un sentiment populaire que nous devons écouter et auquel nous devrons répondre. Et il existe aussi en France ». Une déclaration qui sonne déjà un peu comme un air de campagne électorale. Interrogé sur ses ambitions nationales, dans la perspective des échéances de 2022, l’ex. négociateur du Brexit a reconnu en avoir. Et dit s’organiser.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles