Au terme d’une bataille acharnée ouverte quelques semaines à peine après le référendum britannique du ‘Brexit’ et pour laquelle Francfort était favorite, c’est finalement Paris qui a raflé la mise. L’Autorité bancaire européenne (ABE) quittera donc Londres en mars 2019 pour prendre ses quartiers dans la capitale française. Une relocalisation qui renforcera le poids de la place financière de Paris et qui pourrait doper son attractivité face à Francfort, principale ville concurrente dans la course que se livrent les deux cités pour récupérer les banques et institutions financières qui décideront de quitter Londres une fois le ‘Brexit’ prononcé.
Amsterdam est l’autre grande gagnante de cette procédure visant à redistribuer les ‘joyaux de la couronne’, c’est-à-dire les agences européennes aujourd’hui basées au Royaume-Uni, mais qui devront déménager lorsque le pays quittera l’Union européenne (UE). L’Agence européenne de médicaments (AEM), l’organisme qui contrôle et autorise la mise sur le marché des médicaments en Europe, s’installera donc dans la cité batave. Une déception pour Milan, partie favorite, ou Lille qui espérait aussi remporter la bataille et profiter des retombées économiques d’une agence comptant près de 900 employés.
Intenses tractations pour départager 23 villes candidates
Décidées quelques semaines seulement après le vote du référendum sur le ‘Brexit’, ces relocalisations ont donné lieu à d’intenses tractations, en coulisses, pour mettre en avant les atouts des 23 villes candidates à l’accueil des deux agences européennes.
Très mobilisé pour défendre Milan comme nouveau siège de l’AEM, le gouvernement italien aurait même promis de renforcer son contingent armé, aux frontières de la Russie, afin d’obtenir le vote des Pays baltes. L’Allemagne et la Grèce, dont les relations sont loin d’être au beau fixe depuis la crise financière, ont également scellé un accord secret : la première s’engageait à voter pour Athènes comme futur siège de l’AEM et la seconde pour Francfort qui espérait remporter l’ABE.
Mais les Allemands, empêtrés dans des négociations de coalition, « n’ont pas pu mener une campagne assez offensive », reconnaît un diplomate français. Même chose pour Lille, dont le lobbying a été jugé peu efficace. « Pas une fois Martine Aubry n’est venue défendre le dossier à Bruxelles », ironise ce même haut responsable. Résultat : la cité du Nord n’a obtenu que trois points, ceux de la France, pour terminer dernière au classement avec Sofia…
Les responsables du gouvernement français n’ont quant à eux pas lésiné sur les moyens pour défendre la candidature de Paris, sillonnant les petits États membres au cours de ces dernières semaines. Une stratégie qui a porté ses fruits même si le choix de Paris, au final, est le résultat d’un tirage au sort, donc du hasard.
Une procédure inédite digne de l’Eurovision
Mais si les villes candidates se sont livrées à une concurrence acharnée, la bataille pour remporter les deux agences n’a pas donné lieu à une foire d’empoigne comme par le passé. « La négociation a certes été un peu rude, mais les 27 ont respecté les règles de la bienséance », se félicite d’ailleurs Jean Quatremer, correspondant du journal Libération à Bruxelles depuis près de trente ans. L’unité des 27 a donc été maintenue, malgré l’enjeu de ces relocalisations. C’était d’ailleurs ce que souhaitait Donald Tusk, le président du Conseil à Bruxelles, qui a tout mis en œuvre pour éviter les dérapages, à commencer par la création d’un processus de sélection totalement nouveau.
Plutôt que de soumettre le choix des villes à un vote à l’unanimité, lui et ses services ont imaginé une procédure inédite, digne de l’Eurovision, pour départager les candidates. Chaque État s’est ainsi vu doter de six voix à répartir à bulletins secrets entre trois villes : trois pour son premier choix, deux pour son second, une pour son troisième. La manœuvre s’est révélée efficace, démontrant que les 27 étaient prêts à faire face aux conséquences du ‘Brexit’.
« Les apparences sont sauves », s’amuse un haut fonctionnaire au Conseil, qui a assisté à des échanges tendus entre les ministres des Affaires étrangères, lors de la procédure de vote. Le chef de la diplomatie danoise aurait ainsi reproché à son homologue suédois d’avoir « trahi la coopération nordique », car il n’avait pas voté pour Copenhague qui lorgnait sur l’AEM. Les ministres tchèques et polonais ont eux aussi fait part de leur mécontentement. Motif ? Aucune ville à l’Est du bloc n’a dépassé l’étape du premier tour. Furieux de voir Bratislava éliminée, le Slovaque a d’ailleurs refusé de voter, au dernier tour, pour la relocalisation de l’AEM.
« Quelles que soient les déceptions au sein du bloc, ce sont les Britanniques qui restent les grands perdants », à l’issue de cette procédure, tempère un membre de la délégation tchèque. D’abord parce que le déménagement programmé de ces agences, premier effet concret du ‘Brexit’, empêche désormais tout retour en arrière. Ensuite, ces relocalisations devront être financées par le Royaume-Uni. Le bail de l’AEM, par exemple, court jusqu’à 2039 et devrait coûter la modique somme de 400 millions d’euros au gouvernement de Theresa May…
Kattalin Landaburu, à Bruxelles