Quatre ans après la sortie du Royaume-Uni du marché européen et de l’Union douanière, les deux blocs commerciaux ont plus que jamais intérêt à laisser derrière eux les querelles du Brexit pour s’engager dans un approfondissement de leur relation. Revue de détail dans cet article proposé par notre nouveau partenaire éditorial La newsletter BLOCS.
En juin 2016, les Britanniques suscitaient la stupeur en décidant de sortir de l’Union européenne (UE). Quatre ans et demi de pénibles pourparlers plus tard, Londres concluait avec Bruxelles l’« accord de Commerce et de coopération », un traité de 1300 pages fixant les modalités des futures relations (commerciales, en matière d’investissement, de concurrence, d’énergie, de pêche , etc.).
Un « Christmas Eve deal » scellé le 24 décembre 2020, sur le gong : au 1er janvier 2021, le Royaume-Uni quittait officiellement le marché unique ainsi que l’union douanière.
À l’heure du quatrième anniversaire de cet accord de Noël, les deux blocs semblent en passe de se rapprocher à nouveau, attirés par une conjonction de facteurs, internes comme externes.
« Effet Starmer »
Le plus évident d’abord : le travailliste Keir Starmer, aux affaires depuis juillet dernier, y est favorable. En tout cas bien davantage que ses prédécesseurs post-Brexit – tous trois des conservateurs. Désireux de fluidifer les échanges commerciaux, le Premier ministre milite depuis son arrivée pour un « reset » – une réinitialisation de la relation avec l’UE.
Ainsi, quand la Commission européenne a annoncé ce 16 décembre saisir la justice européenne contre le Royaume-Uni – en raison, notamment, du maintien jugé indu d’accords d’investissements bilatéraux avec plusieurs pays de l’UE – la sobre réaction de Londres a bien résumé le chemin parcouru : « nous restons concentrés sur la réinitialisation de nos relations avec l’UE ».
Déjà, le court passage de Rishi Sunak au 10 Downing Street (25 octobre 2022 – 5 juillet 2024) avait contribué à panser les plaies des deux côtés de la Manche.
En février 2023, Londres et Bruxelles signaient l’« accord de Windsor », voué à régler la question du fonctionnement de la frontière nord-irlandaise, l’un des des principaux points de friction. Puis, en septembre de la même année, les deux parties s’entendaient sur le retour du Royaume-Uni au sein du programme commun de recherche de l’UE « Horizon ».
Désormais, outre l’effet Starmer, c’est l’état du monde, marqué par le retour de Donald Trump à la Maison Blanche le 20 janvier prochain, qui incite les deux blocs européens à se rapprocher davantage.
« Alignement maléfique des planètes »
Le sulfureux milliardaire pourrait en effet abandonner l’Ukraine et délaisser la défense du Vieux continent, dont la partie orientale tremble devant la menace russe. Prise de court, l’UE a, au moins en matière de défense, tout intérêt à resserrer les liens avec le Royaume-Uni, seule démocratie européenne dotée de l’arme nucléaire avec la France.
« Il y a une espèce d’alignement maléfique des planètes qui devrait pousser l’UE et le Royaume-Uni à un rapprochement dans de nombreux domaines et en priorité en matière de sécurité et de défense, pose Georg Riekeles, conseiller diplomatique de Michel Barnier pendant la négociation du Brexit.
« L’Europe fait face aujourd’hui à ce qui est sans doute la situation la plus difficile depuis la fin de la seconde guerre mondiale et Londres est un partenaire essentiel de l’équation », poursuit celui qui est aujourd’hui directeur associé au European Policy Centre.
Ce rapprochement aux allures d’impératif géopolitique n’est pas sans implications commerciales : en août, Berlin et Londres avaient annoncé lancer les négociations sur un traité visant à relancer les collaborations économiques, notamment dans les secteurs de l’énergie, l’environnement et la défense.
Ces négociations ont produit un premier résultat le 23 octobre, avec la signature par les deux gouvernement de l’« Accord de Trinity House », un texte décrit comme « historique », prévoyant le renforcement de la coopération sur le flanc oriental de l’OTAN ainsi qu’« une coopération industrielle plus approfondie ».
Le secteur britannique de la défense lorgne en outre un accord avec Bruxelles pour pouvoir exporter son matériel militaire vers l’UE.
Le locataire du 10 Downing Street tentera sans doute de vendre cette idée aux leaders des Vingt-Sept le 3 février prochain, à l’occasion d’une réunion informelle consacrée à la politique de défense.
Les opinions publiques, elles aussi, penchent pour un resserrement des liens, et ce des deux côtés de la Manche, comme le montre un vaste sondage publié le 12 décembre par le European Council on Foreign Relations (ECFR).
Lignes rouges
Une volonté populaire qui tombe à pic, alors qu’une révision de l’accord de décembre 2020 pourra être demandée par l’une des deux parties à compter du 1er janvier 2025.
Difficile, toutefois, de savoir à quoi s’attendre à ce stade. Car si M. Starmer travaille au reset de la relation UE-Royaume-Uni, il a aussi été élu en fixant trois lignes rouges : ne rejoindre ni le marché unique, ni l’union douanière de l’UE, et ne pas rétablir la libre circulation des personnes.
Pourrait-il se dédire ? « Je ne le crois pas : rejoindre le marché unique me semble exclu car ce serait une trop grande provocation pour les Conservateurs et le parti Reform UK [anciennement « Brexit Party »], et cela irait contre l’issue du référendum de 2016 », pense Iain Begg, de la London School of Economics (LSE).
Et si les sondages indiquent que les Britanniques ont largement changé d’avis, il faut prendre garde à ne pas les surinterpréter. « En réalité, le sujet de la relation à l’UE n’est plus du tout au centre du débat public ici : il arrive loin derrière ceux du coût de la vie, ou de la santé ».
Ainsi, ces lignes rouges « rendent à ce stade impossible un bon nombre de grandes victoires en matière économique », regrette Zach Meyers, du Center for European Reform, tout en discernant « des options plus réalistes pour améliorer la relation ».
Dur d’entrer dans le dur
Starmer espère notamment obtenir un accord vétérinaire avec l’UE qui réduirait les contrôles aux frontières sur les produits animaux, lesquels représentent pour l’heure un obstacle pour les agriculteurs et les importateurs britanniques.
« Les Européens ne sont pas contre, mais alors le gouvernement britannique devra accepter un alignement dynamique avec les normes européennes. Dit autrement, se résoudre à ce que le droit de l’UE prime en la matière, soit ce que ses prédécesseurs ont toujours refusé », pointe Georg Riekeles.
L’ancien de la Team Brexit de Michel Barnier, ne cache pas son scepticisme : « Londres affirme vouloir fluidifier les échanges commerciaux, mais au-delà des mots, les choses se corsent dès lors qu’on entre dans le dur, analyse-t-il. Les Européens refusent les avancées à la carte, sur les seuls sujets qui intéressent le Royaume-Uni ».
« Typiquement, l’UE ne souhaitera pas faire de concessions sans que la question de l’accès des pêcheurs aux eaux britanniques – où les dispositions actuelles doivent expirer en juin 2026 – ne soit réglée », estime M. Riekeles.
« De la même manière, l’accord de Windsor avait certes établi un nouveau protocole en Irlande du nord, mais à ce jour, les Britanniques n’ont pas correctement mis en œuvre leurs engagements, détaille ce chercheur norvégien. Le Royaume-Uni n’a pas réglé le précédent repas que déjà il redemande le menu pour commander … ».
Avancées modestes
Aucun de nos trois interlocuteurs n’imagine en tout cas de sitôt une révision en profondeur de l’accord de Noël.
« Il y a des sujets sensibles des deux côtés, tels que la pêche, la migration ou les services financiers, et l’équilibre a mis trop de temps à être trouvé – sans compter la nécessité d’accorder les Vingt-Sept, pour qu’on réouvre de si larges négociations aujourd’hui », estime Iain Begg.
Des avancées plus modestes sont toutefois envisagées. À commencer par une reconnaissance mutuelle de certaines qualifications professionnelles, comme pour les architectes ; des simplifications pour les voyages d’affaires de courte durée entre les deux blocs ; ou, enfin, des dispositions permettant aux jeunes de l’UE et du Royaume-Uni (18-30 ans) de s’installer plus facilement de l’autre côté de la Manche pour étudier et travailler.
Pour prolonger, lire : Commerce extérieur : le Royaume-Uni s’éloigne de l’UE, la France demeure un « Hub »