Phénomène inédit dans l’histoire européenne, le ‘Brexit’ représente un véritable casse-tête pour les lobbyistes exerçant dans la bulle bruxelloise. Alors qu’elles risquent de subir de plein fouet les conséquences d’une sortie prochaine du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), les associations patronales ou commerciales cherchent donc la meilleure façon de peser sur ces négociations. Mais « reste à savoir à qui s’adresser », déplore un membre de la puissante organisation patronale Business Europe.
Michel Barnier fixe ses règles
Michel Barnier, le Monsieur ‘Brexit’ de la Commission européenne, qui négociera au nom des 27 les termes du divorce et ceux du futur accord entre Londres et Bruxelles, reste évidemment l’interlocuteur de choix pour les groupes de pression. Mais la tâche s’annonce rude. Anticipant la bataille qui se jouera en coulisses, l’ancien commissaire français a publié, le mois passé, un mémo fixant les règles de conduite des lobbyistes.
Insistant sur le respect de la transparence, il a d’ores et déjà rendu public les rencontres organisées depuis sa prise de fonction. Microsoft, le Crédit agricole, l’Association commerciale des banquiers luxembourgeois et d’autres ONG environnementales ou de protection des consommateurs font partie des noms recensés sur la liste.
Autre ligne rouge fixée par le négociateur en chef côté européen : seules les personnes et organisations inscrites dans le registre de transparence de l’UE pourront obtenir un rendez-vous avec lui et ses collaborateurs. Il a également indiqué que les représentants des fédérations européennes et de la société civile, susceptibles de présenter « une analyse globale des conséquences du retrait britannique », seraient privilégiés. Un postulat qui complique dès lors la mission des entreprises individuelles ou des associations nationales dans cette bataille d’influence.
La bataille de l’information a déjà commencé
Et leur travail ne sera pas plus aisé, loin de là, auprès des représentations permanentes de l’UE qui ont tout intérêt à maintenir confidentielle leur stratégie, « pour afficher l’unité des 27 face aux Britanniques même si des divergences apparaissent », confie un diplomate français. « Nous sommes confrontés aux mêmes difficultés que lors des négociations de libre-échange menées avec des pays partenaires », constate Russel Patten, le P-dg de Grayling Brussels, un cabinet qui conseille notamment les multinationales japonaises sur la manière de faire du lobbying dans la capitale européenne. « Le sujet est très politique et l’essentiel des pourparlers se tiendra derrière des portes closes », estime cet expert. Selon lui, beaucoup d’acteurs à Bruxelles n’ont pas encore défini leur stratégie et attendent le début réel des pourparlers avant d’affûter leurs armes.
La bataille de l’information a, quant à elle, déjà débuté. Objectif ? Publier des rapports et des propositions, destinés aux responsables politiques, sur l’impact potentiel du ‘Brexit’. L’organisation patronale Business Europe a par exemple confirmé la mise en place récente d’un groupe de travail chargé de compiler les données techniques relatives aux potentiels effets négatifs du Brexit sur les entreprises européennes. « Faute de pouvoir peser sur ces pourparlers, nous avons le devoir de relayer les craintes exprimées sur le terrain, aux équipes de négociateurs britanniques et européens », explique un membre de la Confédération of British Industry (CBI), l’équivalent du Medef en France.
Les relais français doivent dès à présent s’organiser
Mais pour d’autres acteurs de la bulle bruxelloise, le véritable enjeu s’inscrit dans le long terme. « Le Brexit va redistribuer les cartes entre les États membres, en affaiblissant le bloc libéral au sein du Conseil », analyse Stéphane Desselas, fondateur de Athenora Consulting, un cabinet qui a récemment organisé une conférence sur le thème « Brexit : une chance pour le lobbying des Français à Bruxelles ? ».
Mais si la sortie programmée du Royaume-Uni de l’UE risque en effet de diminuer le nombre de relais des Britanniques au sein des institutions, leur influence ne disparaitra pas pour autant. « Les entreprises britanniques sont largement présentes et actives en lobbying à Bruxelles. Elles peuvent aussi s’appuyer sur une puissante chambre de commerce, la BritCham, et de nombreux relais dans les think tank ou les fédérations européennes », détaille ce spécialiste des politiques européennes.
Pour Stéphane Desselas, les relais français doivent dès maintenant s’organiser pour occuper la place laissée vacante par les Britanniques. Comment ? En adoptant, d’abord, la culture anglo-saxonne du lobbying alors que les représentants hexagonaux « demeurent trop théoriques dans leur pratique, trop divisés entre eux et avec les autres, et souvent négatifs vis-à-vis des institutions ». Il estime ensuite nécessaire de réaffirmer la primauté du couple franco-allemand, tant dans la sphère politique qu’économique. Il appelle enfin le futur gouvernement français à définir une vraie stratégie d’influence européenne, « reposant sur une pluralité d’acteurs où la diplomatie d’État fait écho à une vraie diplomatie économique ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles