Le contenu de l’accord conclu début décembre par la Commission avec le bloc d’Amérique du Sud réserve quelques surprises, comme la mise en place d’une clause de révision à trois ans et l’octroi d’avantages aux pays du Mercosur dans l’application du règlement anti-déforestation. Après un précédent article sur les principaux points de cet accord, nous y revenons plus en détail dans cet article proposé par notre nouveau partenaire éditorial La newsletter BLOCS.
Quelque 5 000 agriculteurs ont manifesté devant le ministère de l’Agriculture espagnol, dans le centre de Madrid, lundi 16 décembre. Ils reprochent à l’accord entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur, conclu vendredi 6 décembre à Montevideo, de créer une concurrence déloyale entre l’UE et le bloc commercial latino-américain composé de l’Argentine, du Brésil, de l’Uruguay, du Paraguay et de la Bolivie.
Comme en témoigne cette colère vive en Espagne, et qui couve aussi en France et dans d’autres pays membres, le volet agricole de l’accord demeure le plus décrié. De ce point de vue, la publication par la Commission européenne du contenu de l’accord, mardi 10 décembre, n’a pas réservé de grande surprise.
Seule nouveauté par rapport aux quotas d’importation négociés en 2019 : quelques ajustements consentis en faveur du Paraguay, en tant que pays en développement sans littoral. Asuncion a ainsi obtenu une augmentation des quotas de viande porcine exportée sans tarifs de 1 500 tonnes et de 50 000 tonnes pour ce qui concerne le biodiesel.
Bœuf et poulet dans l’œil du cyclone
Concernant la viande bovine, l’accord prévoit bien un tarif préférentiel de 7,5% sur les importations en provenance du Mercosur jusqu’à un volume de 99 000 tonnes par an. Au-delà, le bœuf sud-américain sera exporté vers l’UE aux tarifs traditionnels.
« Au regard de la production européenne (environ 6,5 millions de tonnes) cela parait peu, mais ces importations portent sur des morceaux à haute valeur ajoutée (aloyaux) pour lesquelles l’UE est le meilleur marché du monde », explique dans une récente note Alessandra Kirsch, directrice générale du Think Tank Agriculture Stratégies, proche des syndicats agricoles. « Cette décision d’ouverture du marché de la viande bovine est à placer par ailleurs dans un contexte européen de décapitalisation (diminution du cheptel) et d’ambition de réduction des émissions de gaz à effet de serre », poursuit-elle.
L’argumentation est à peu près la même pour le secteur des volailles, lui aussi fragile, et lui aussi confronté à la perspective d’une augmentation assez faible, de l’ordre de 1,4 %, des contingents en provenance d’Amérique du Sud. Dans un cas comme dans l’autre, les détracteurs s’inquiètent en outre du manque de garanties de contrôle du respect des normes sanitaires et phytosanitaire, des lacunes de l’étiquetage et du manque de développement des systèmes de traçabilité des animaux, notamment brésiliens.
Un argument renforcé par le blocage des exportations de viande bovine femelle vers l’Europe récemment décidé par le Brésil, à la suite de la publication d’un rapport d’audit de la Commission européenne faisant état de la découverte de résidus d’une hormone interdite dans de la viande brésilienne importée.
Clauses de sauvegarde et de révision
Pour rassurer les producteurs européens, la Commission insiste sur la présence d’une clause de sauvegarde, qui concerne aussi les produits sous contingents tarifaires, et qui est activable si les augmentations d’importations depuis le Mercosur causent ou menacent de causer un préjudice grave aux secteurs pertinents dans l’UE.
L’accord devrait en outre être favorable aux secteurs viticole et fromager européens, pour lesquels il prévoit des exemptions de droits de douane, pour l’heure fixés à 27%, mais aussi la protection de plus de 340 indications géographiques européennes.
Au rayon des matières premières, l’UE a bien obtenu un accès sans tarifs sur certaines matières premières brésiliennes (nickel, cuivre, aluminium, matières premières sidérurgiques, acier, titane). Brasilia veut néanmoins maintenir la possibilité d’imposer des restrictions d’exportations sur d’autres. Dans un tel cas, la Commission a négocié des préférences d’au moins 50% sur toute taxe à l’exportation que le Brésil introduirait sur ces produits, ainsi qu’un plafond de 25% pour les tarifs potentiellement mis en place.
Pour ce qui concerne les voitures électriques, l’accord prévoit une adaptation progressive avec une période de transition de 18 ans. Les droits de douane passeront de 35 % à 25 % dès la première année, une réduction moins rapide que pour les véhicules thermiques, mais qui ouvre néanmoins de nouvelles perspectives pour les constructeurs européens.
Outre quelques ajustements sur l’ouverture des marchés publics brésiliens, les négociations ont surtout abouti sur la mise en place d’une clause de révision de l’accord. Celle-ci « donnera la possibilité aux parties de négocier des amendements sur les éléments qui les intéressent », et ce, après trois années de mise en œuvre.
Faibles garanties environnementales
« De prime abord, les modifications apportées paraissent nombreuses, explique le juriste Alan Hervé, de Sciences Po Rennes. Mais, sur le fond, ces changements sont pour l’essentiel cosmétiques. L’accord ne prévoit pas de compétence du système de règlement des différends commerciaux en matière de développement durable, ce qui limite fortement la portée des engagements en matière sociale et environnemental. C’est sans doute le point le plus décevant. L’accord de Paris est certes présenté comme un élément essentiel, mais il s’agit d’un accord en réalité assez peu contraignant […] ».
L’accord contient en outre des avantages consentis par l’UE en faveur des pays du Mercosur concernant la mise en œuvre du règlement anti-déforestation importée. La mise en œuvre de ce texte a déjà été récemment repoussée d’un an, au 1er janvier 2026.
Forme incertaine de l’accord final
« On ne se sait toujours pas quelle forme prendra l‘accord final – accord d’association avec une partie commerce ou accords séparés, note encore Alan Hervé. En tout état de cause, l’hypothèse d’un accord mixte avec application provisoire de la partie commerce n’est pas à exclure ».
Cette option a notamment été choisie par Bruxelles concernant le Comprehensive Economic and Trade Agreement (CETA) signé avec le Canada en 2016 et qui fait l’objet d’une application provisoire de sa partie commerce depuis 2017.
Reste à savoir si la Commission parviendra à convaincre les Etats membres de soutenir l’accord. Alors que la France y est frontalement opposée, la Pologne, ainsi que l’Italie, semblent un peu plus ouvertes. La solution pourrait venir de la mise en place d’un fond européen de compensation pour les agriculteurs. Les discussions au niveau des institutions communautaires se poursuivront pendant les prochains mois.