A l’approche d’une réunion du G 20 à Rio de Janeiro, les 18 et 19 novembre, les opposants à la signature d’un accord d’association entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (Mercado Comun del Sur, en français Marché commun du Sud) remontent au créneau pour s’opposer à la conclusion des négociations en marge de ce Sommet. Mais rien n’est moins sûr. Explication.
[Mis à jour le 13/11/24 à 17H00 : correctif sur les volumes des quotas de porc et volailles]
Des manifestation agricoles programmées en France pour la semaine prochaine, des ONG qui multiplient les communiqués anti-accord, une tribune trans-partisane signée de 200 députés de tout bord publiée le 4 novembre sur le site du Figaro Figarovox, suivie d’une autre paraphée par 622 parlementaires également de divers bords publiée par Le Monde le 12 novembre appelant Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, à ne rien signer dans les prochaines semaines ou les prochains mois car « les conditions pour l’adoption d’un accord avec le Mercosur ne sont pas réunies »…
La perspective d’un accord d’association entre l’UE et le Mercosur (Brésil, Argentine, Paraguay, Uruguay, Bolivie), dont les négociations ont commencé il y a 25 ans, suscite à nouveau l’ire d’opposants, essentiellement sur le volet agricole de cet accord. Ils dénoncent pêle-mêle l’usage par les éleveurs ou les agriculteurs sud-américains de produits interdits par l’UE : certains antibiotiques activateurs de croissance, des hormones, certains pesticides interdits. Ils invoquent aussi le risque que l’ouverture du marché européen n’alimente la déforestation dans ces pays. Ils dénoncent la concurrence déloyale que risquent de subir agriculteurs et éleveurs français. Nous renvoyons aux deux tribunes citées plus haut pour les détails.
La rumeur persistante d’un accord possible en marge du prochain G20 à Rio entre l’UE et les pays du Mercosur explique ce regain de mobilisation. Dans cette histoire, il n’est pas toujours facile de faire la part du vrai et du faux, de la réalité et de la rumeur, sur l’état d’avancement de ces négociations. Alors la Commission se mobilise pour essayer de contrer les rumeurs.
L’objet des négociations : des protocoles additionnels
Un accord entre l’UE et le Mercosur a bien été conclu sur le plan politique fin juin 2019, mais jamais présenté à la ratification face aux levées de boucliers dans plusieurs États membres, dont la France, sur le volet agricole et les craintes par rapport à la déforestation. A l’époque, le Brésil était dirigé par le populiste Jair Bolsonaro, une autre époque.
Devant le Parlement européen en 2020, Valdis Dombrowski, le vice-président de la Commission européenne en charge du Commerce, s’était notamment engagé à demander un engagement clair des pays du Mercosur sur l’endiguement de la déforestation, dont la principale cause sont l’élevage et l’agriculture extensifs.
Depuis, ce sont en fait des sujets additionnels qui sont négociés pour compléter l’accord de 2019, dont un protocole additionnel portant sur l’intégration de l’Accord de Paris sur le climat, le développement durable et la déforestation, qui fait l’objet d’intenses négociations. Ces négociations ont été lancées en mars 2023, à la demande de la Commission européenne, qui a voulu ainsi prendre en compte les arguments légitimes des opposants, notamment sur les questions environnementales.
Les États du Mercosur, en particulier le Brésil, ont à leur tour demandé la même année d’introduire un nouveau sujet dans l’accord, concernant la politique industrielle et la possibilité de pouvoir avoir des marges de manœuvre supplémentaires en matière de soutiens publics dans le contexte des grands programmes à l’industrie verte lancés par les États-Unis (IRA) et l’UE.
Les objectifs de l’accord UE-Mercosur
Pour rappel, dans ses grandes lignes, l’accord d’association a pour objectif de supprimer plus de 90 % des droits de douane sur les produits échangés entre les deux continents. Actuellement, ils s’élèvent à 27% pour le vin et atteignent même 35 % pour les voitures et les vêtements. Il introduit également une reconnaissance de quelque 360 indications géographiques protégées (IGP), dont 160 pour les seules IGP françaises.
Plus de détails sur l’accord sur le site de la DG Commerce de l’UE : cliquez ICI
Mais sur le plan de l’agriculture et de l’élevage, l’accord de 2019 ouvre un peu plus le marché européen aux produits du Mercosur avec des quotas soumis à des droits de douanes réduits (de 40 % à 7,5 % pour la viande bovine par exemple) pour les produits les plus vulnérables : 99 000 tonnes supplémentaires (l’UE importe déjà 200 000 t en provenance de la zone) pour la viande bovine (soit 1,6 % de la production européenne) ; 25 000 t pour le porc (0,1 % de la production européenne) ; 180 000 t pour la volaille (1,4 % de la production européenne). Des quotas sont également instaurés pour le sucre ou le riz (60 000 t).
Les craintes le plus souvent mises en avant par les opposants portent sur les produits agricoles et animaux non sans arguments : les producteurs sud-américains ne sont pas soumis aux mêmes normes de production ni sur le plan sanitaire ni sur le plan environnemental. D’où la crainte d’une mise en danger des consommateurs et d’une concurrence déloyale pour les producteurs européens.
« On ne négocie pas les conditions liées à la santé des consommateurs européens »
Quelles sont les réponses des équipes de la Commission européennes sur ce point ?
Elles sont toujours très catégoriques : « On ne négocie pas les conditions liées à la santé des consommateurs européens », martèle-t-on. « On n’a pas négocié des règles sanitaires contre des volumes ». Autrement dit, les produits importés d’Amérique du Sud et d’ailleurs « doivent respecter les standards sanitaires de l’UE ».
Les contrôles SPS (sanitaires et phytosanitaires) sont effectués à deux niveaux : d’abord celui de la Commission pour l’autorisation d’un pays tiers à exporter certains produits, puis à l’entrée dans l’UE par les autorités compétentes du pays membres concernés.
Pour la Commission, c’est celle-ci qui autorise ou non l’importation d’un produit soumis à des règles SPS. Elle évalue l’organisation et la gestion sanitaire générale du pays et cette évaluation documentaire peut être complétée par des contrôles sur place réalisés par des services de la direction générale de la Santé et de la sécurité alimentaire (DG Santé, basés à Grange en Irlande). Lorsque l’évaluation est satisfaisante, le pays tiers est inscrit sur les listes des pays tiers autorisés à exporter vers l’UE.
C’est ainsi que des défaillances ont été récemment détectées au Brésil par des auditeurs de la Commission européenne sur des problèmes de traçabilité dans l’élevage de génisses, ne garantissant pas la présence d’hormones : les exportations ont été stoppées jusqu’à ce que cette défaillance, côté brésilien, soit réglée, relate-t-on.
Et de citer comme autre exemple le Canada, avec lequel un accord de libre-échange, le Ceta, est en vigueur depuis 7 ans : les quotas canadiens de viandes bovines restent inutilisés par les producteurs canadiens car aucun n’a voulu investir dans une filière de viande bovine sans hormone. Même chose avec le Mexique, qui a également un accord commercial avec l’UE, mais n’y exporte pas sa viande bovine faute de s’être aligné sur les normes sanitaires européennes. « Le système de contrôle fonctionne » insiste-t-on à la Commission.
Encore loin d’un accord politique
Où en sont ces négociations sur ces protocoles additionnels aujourd’hui ?
D’après des sources proches des négociations à la Commission européenne, concernant les demandes de Bruxelles, deux principaux thèmes sont encore sur la table des négociateurs : l’Accord de Paris sur le climat doit « devenir un élément essentiel » de l’accord, autrement dit son non-respect par l’une des parties doit pouvoir entraîner une « suspension » de l’application du traité. En outre, ce dernier doit intégrer un engagement clair et contraignant juridiquement des parties à « arrêter la déforestation ». Aucun accord n’est encore trouvé sur ces deux points clés pour les Européens à ce stade, assure-t-on à la Commission.
Concernant les demandes du Mercosur, deux principaux thèmes sont également sur la table : introduire plus de marge de manœuvre pour que les signataires puissent faire jouer une certaine préférence nationale dans les marchés publics d’une part, et d’autre part, introduire une forme de protection pour le secteur automobile, notamment brésilien – un peu comme les quotas pour la viande ou l’agriculture- afin d’éviter que son industrie ne soit mise à mal par les importations de véhicules européens à la suite de la baisse des droits de douane.
D’autres sujets d’intérêt pour l’UE sont encore sur la table comme la finalisation d’un cadre pour un accès stable et préférentiel aux matières premières stratégiques pour la transition énergétique (lithium, niobium, etc.) dont sont producteurs certains pays du Mercosur. Ce sujet est clé pour l’UE qui ne peut plus se fournir en Russie à la suite du déclenchement de la tentative d’invasion de l’Ukraine et de la mise en place de sanctions, et qui rencontre des difficultés croissantes pour accéder aux matières premières en Chine, qui règlemente de plus en plus ses exportations de terres rares. Même chose pour le soja alors que 70 % des approvisionnement de l’UE dépendent des producteurs américains, brésiliens et argentins.
Enfin, parmi les sujets non encore finalisés, figure également la mise en place d’un système de règlement des différends, point qui ne figurait pas dans l’accord de 2019.
Pas d’accord politique à court terme
La conclusion est-elle proche ?
A la Commission européenne, les sources proches des négociateurs, qui doivent retourner à la fin du mois à la table de négociation au Brésil, sont catégoriques : « on conclura lorsqu’on aura trouvé une solution acceptable pour les deux parties » à l’accord. Et à leur connaissance, rien ne sera conclu lors du G20 de Rio ni dans les prochaines semaines. « Nous ne sommes pas encore dans la phase de conclusion politique de l’accord » martèle-t-on.
Pour l’heure, la mobilisation ne faiblit pas en France. Jusqu’au gouvernement. Annie Genevard, la ministre de l’Agriculture et de la souveraineté alimentaire n’a pas manquer de rappeler, sur TF1 le 12 novembre, l’opposition de la France à cet accord avec le Mercosur. « Nous ne voulons pas de cet accord car il est mauvais », a-t-elle martelé, invoquant le risque de « voir arriver des quantités de produits comprenant des substances interdites chez nous, au prix de la déforestation », et une « concurrence déloyale » pour les producteurs français. Mais la ministre a aussi indiqué qu’il est « très peu probable » que ce projet de traité soit signé lors du sommet du G20 au Brésil. Pas sûr que cela suffise à baisser la pression dans le contexte politique chaotique que traverse la France actuellement.
Christine Gilguy