Comme attendu, les négociations sur l’accord d’association avec le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay, Uruguay et bientôt Bolivie) ont été officiellement conclues le 6 décembre, en marge d’un Sommet du Mercosur dans la capitale de l’Uruguay. Elles apportent des modifications importantes au traité de 2019. Revue de détails.
La France a eu beau s’y opposer – et s’y opposer encore– avec la dernière énergie, un accord politique concernant l’accord d’association Union européenne – Mercosur est désormais sur la table.
« C’est un accord gagnant-gagnant, qui apportera des bénéfices aux consommateurs et aux entreprises des deux côtés, s’est félicitée Ursula Von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, qui s’est rendue spécialement à Montevideo pour finaliser cet « accord politique ». « Nous avons écouté les préoccupations de nos agriculteurs et nous avons agi en conséquence. Cet accord comprend des mesures de protection solides pour protéger vos moyens de subsistance. L’UE-Mercosur est le plus grand accord jamais conclu en ce qui concerne la protection des produits alimentaires et des boissons de l’UE. Plus de 350 produits de l’UE sont désormais protégés par une indication géographique. De plus, nos normes européennes en matière de santé et d’alimentation restent intouchables. Les exportateurs du Mercosur devront se conformer strictement à ces normes pour accéder au marché de l’UE. C’est la réalité d’un accord qui permettra aux entreprises de l’UE d’économiser 4 milliards d’euros par an en droits de douane sur leurs exportation ».
Dans ses grandes lignes, l’accord d’association prévoit de supprimer les droits de douanes sur 90 % des échanges et ouvre un certain nombre de secteurs du Mercosur comme les marchés publics ou les véhicules automobiles. Il introduit également la reconnaissance de 350 Indications géographiques protégées (IGP) européennes par les pays du Mercosur, dont 60 pour les Françaises. Sur le plan agricole -volet le plus polémique en France-, il ouvre davantage le marché européen aux produits du Mercosur – à conditions qu’ils soient conformes à ses règles sanitaires et phytosanitaires- mais en introduisant des garde-fous pour les produits sensibles sous la forme de quotas et de clause de sauvegarde à l’intérieur de ces quotas.
Les principaux changements apportés à l’accord de 2019
D’après les éclaircissements apportés par la Commission européenne à la presse française et belge le jour même de l’annonce d’un accord politique, ce qui a été scellé ce 6 décembre est donc une série de changements apportés à l’accord d’association conclu en 2019 mais jamais présenté à la ratification par la Commission. Ces changements se présentent sous la forme de modifications apportés à certains chapitres du traité de 2019 ou d’ajouts à certains chapitres sous la forme de protocoles additionnels (exemple : la clause sur la déforestation, qui sera un protocole additionnel au chapitre développement durable).
Ces changements concernent des demandes européennes mais aussi des demandes de la part des pays membres du Mercosur.
Côté européen, les principales avancées obtenues, déjà évoquées dans un précédent article, concernent :
-l’intégration du respect de l’accord de Paris sur le climat de 2015 comme un « élément essentiel » du traité. Autrement dit, si l’une des parties signataires enfreint cette règle, l’UE aura le droit de suspendre l’application du traité avec l’Etat concerné. Cette clause n’a été jusqu’à présent intégrée que dans les accords avec le Royaume-Uni et la Nouvelle Zélande. « C’est la première fois que nous obtenons une telle clause avec un ensemble de pays émergents et en développement » insiste-t-on à la Commission.
-Autre changement majeur : un engagement sur l’arrêt de la déforestation. Un protocole additionnel au chapitre du traité consacré au développement durable prévoit que les signataires prennent des mesures pour stopper la déforestation d’ici 2030. « Aucun accord commercial n’est aussi précis dans le domaine de la déforestation » souligne-t-on à la Commission.
Côté Mercosur, les principales avancées obtenues lors de ces négociations concernent :
-Les pays du Mercosur, et surtout le Brésil, ont obtenu plus de flexibilité pour pouvoir favoriser leurs entreprises nationales dans les marchés publics afin de soutenir l’industrialisation. Mais l’accord prévoit une ouverture des marchés publics brésiliens subfédéraux (donc Etat fédérés et collectivités) aux entreprises européennes.
-Concernant les droits de douanes appliqués aux voitures européennes, la période de transition pour une réduction progressive des droits -actuellement à 35 %– a été rallongée de 15 à 18 ans. Mais ils seront réduits à 25 % dès l’entrée en vigueur de l’accord, donnant ainsi « un avantage de 10 % sur les véhicules importés en provenance d’autres pays comme la Chine ».
-Concernant les taxes à l’exportation, le Brésil a obtenu de pouvoir maintenir des tarifs à 25 % sur certains produits (essentiellement matières premières et produits de base) afin d’inciter au développement de son industrie locale. Mais l’UE se verra appliquer un traitement préférentiel.
Le chemin vers une entrée en vigueur est encore long
Si un « accord politique », que les experts à la Commission juge « équilibré », a donc été scellé sur ces différents points, le chemin pour que cet accord entre en application est encore long, ce qui laisse encore du temps aux pays européens qui y sont hostiles -en premier lieu la France- pour tenter de le bloquer.
Le texte de l’accord conclu le 6 décembre sera mis en ligne en début de semaine prochaine sur le site de la direction générale du Commerce à Bruxelles. Il va devoir à présent faire l’objet d’une « révision juridique » par les services juridiques de la Commission européenne et des Etats-membres et être traduit dans les 27 langues de l’UE. Ce n’est qu’alors que la Commission pourra le proposer à la ratification du Conseil, puis du Parlement européen.
Sous quelle forme sera-t-il présenté par la Commission, traité global ou scindé en deux, entre la partie commerciale relevant de sa seule compétence et le reste soumis à la ratification des parlements nationaux ? Il est trop tôt pour le dire. D’après les sources informées à la Commission déjà citées, la phase révision juridique/traduction prendra de 6 à 8 mois. Et la forme que choisira la présidente de la Commission européenne pour le présenté au Conseil n’est pas encore connue à ce stade.
Le feuilleton commencé il y a 25 ans devrait donc se poursuivre encore quelques mois…
Christine Gilguy