Les polémiques sur le CETA, l’élection de Donald Trump, l’ouverture prochaine des négociations sur le ‘Brexit’ : autant de bouleversements inattendus qui supposent une redéfinition des grandes lignes de la politique commerciale européenne. À ce stade, la Commission européenne n’envisage pas de nouvelles mesures, mais, en coulisses, en particulier au sein de la Direction générale du Commerce (DG Commerce ou DG Trade), ses membres tentent d’identifier les obstacles et les éventuels atouts pour l’Union européenne (UE) d’un nouvel ordre mondial.
Premier sujet de réflexion : comment faire face à la défiance toujours plus grande des citoyens vis-à-vis de la mondialisation ?
Le rejet des accords commerciaux, l’élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump – le candidat républicain farouchement opposé au libre-échange – révèlent surtout l’augmentation, au sein de la population, des laissés-pour-compte de la globalisation. « L’élection de Trump s’est décidée dans les territoires industriels américains, là où la mondialisation des échanges et l’ouverture des économies a radicalement transformé le paysage économique », détaille un expert des relations transatlantiques à la DG Commerce. En bref, faute de voir leurs revenus augmenter, les ouvriers considèrent désormais la libéralisation comme un phénomène élitiste.
Une analyse qui peut également s’appliquer à l’Europe et qui explique, en partie au moins, la montée des mouvements populistes aux quatre coins du bloc. « Dans l’UE, le niveau global du PIB double en moyenne tous les dix ans, cependant cette croissance privilégie principalement les secteurs porteurs de propriété intellectuelle. De plus, l’économie de l’Internet tend à concentrer les richesses entre un nombre limité d’entreprises et d’acteurs. La mondialisation a laissé de côté de larges pans des sociétés occidentales », reconnaît un chef de division au sein de l’exécutif à Bruxelles. Selon lui, ce sont les pays membres qui doivent prendre le relais de la Commission pour expliquer aux citoyens les effets attendus des accords de libre-échange en cours de négociation.
En matière de communication « c’est dans les États que le match devra se jouer », ajoute cette même source, qui souligne un autre avantage de ce recadrage : il permettrait d’éviter une forme de « schizophrénie » courante de la part des politiciens nationaux « qui négocient un accord à Bruxelles pour mieux le critiquer dans leur pays ».
En Asie, l’UE comme option alternative aux États-Unis de Donald Trump
La future politique commerciale de Donald Trump alimente également les interrogations au sein de la DG Commerce.
Pour ses experts, c’est le Mexique qui risque d’être le principal perdant du changement de doctrine aux États-Unis en cas de renégociation de l’accord Alena (Accord de libre-échange nord américain) en vigueur depuis 1994. Autre cible du président élu : la Chine accusée, notamment, de manipuler sa monnaie. Face aux pratiques interventionnistes de Pékin, Washington sera tenté de renforcer son arsenal de défense commercial contre certains types de produits chinois, comme l’acier.
L’accord sur le Partenariat trans-pacifique, conclu par l’administration Obama devrait lui aussi être modifié ou « mis en salle d’attente », résume un négociateur à la Commission qui a suivi de près les pourparlers de libre-échange UE / États-Unis lancés en 2014. Mais sa suspension posera la question de la place des États-Unis en Asie, ce qui pourrait offrir à l’UE de nouvelles possibilités sur ce continent « pour s’affirmer comme une option alternative aux États-Unis, en tant que partenaire commercial stratégique », analyse cet expert.
Les fondations sont là, insiste-t-il. En effet l’UE a déjà des accords de libre-échange avec Singapour, la Corée du Sud, le Vietnam. Des négociations sont en cours avec le Japon, le bloc Asean (Association des Nations d’Asie du Sud-est), mais aussi avec la Chine ou la Birmanie pour des accords d’investissement.
« Le TTIP est clairement menacé »
Concernant les pourparlers menés entre Bruxelles et Washington, la Commission est bien consciente qu’ils ne figurent pas en tête de liste des priorités de la future administration américaine. « Le TTIP est clairement menacé », estime-t-on dans l’entourage de Cécilia Malmström, la commissaire au Commerce.
De leur point de vue, il demeure, néanmoins, un réel intérêt économique à mener les discussions à leur terme. « La suite dépendra évidemment de la position américaine, mais également de la position des États membres. Cependant, l’environnement politique est particulièrement difficile pour les traités commerciaux, en particulier suite aux débats autour du CETA », reconnaît un négociateur européen.
Renationalisation de la politique commerciale
Les difficiles tractations menées autour de cet accord de libre-échange avec le Canada suggèrent elles aussi une nouvelle approche et une redéfinition du rôle de la Commission européenne. Alors que la politique commerciale fait partie des compétences fondatrices de l’UE, le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), présenté comme un accord modèle de nouvelle génération, n’a paradoxalement pas renforcé ces prérogatives, mais plutôt renationalisé la politique commerciale. Or, l’implication des parlements nationaux dans la procédure de ratification pose un problème majeur, car ceux-ci ne sont pas associés aux travaux de négociation.
« C’est en fait la logique des accords mixtes qui doit être revue », explique un chef d’unité de la DG Commerce, citant les déboires autour du CETA. Car ce type d’accord global, en inscrivant, outres les avantages commerciaux, la défense de certaines valeurs – sociales, environnementales – sortent de la compétence exclusive de l’UE. « On tombe, dès lors, dans de la compétence partagée, voire nationale, qui nécessite la validation des États », détaille ce responsable.
Conclure pour autant que la Commission européenne ne soit plus un partenaire crédible relève selon lui du constat alarmiste. « En matière de politique commerciale, l’UE reste efficace », juge-t-il, reconnaissant, néanmoins, que les prochains mois seront décisifs pour renforcer, ou non, son rôle sur la scène mondiale.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
–France / Primaire de la droite : comment nos voisins perçoivent les positions des finalistes sur l’Europe
–Politique commerciale / UE : les eurodéputés les plus influents selon Vote Watch
–Commerce / Débat : le libre-échange en question au dernier salon du “Made in France”