Le blocage wallon au CETA (Comprehensive economic and trade agreement / Accord économique et commercial global) a levé le voile sur les failles de la politique commerciale européenne. « Je crains que ce soit le dernier accord de libre-échange négocié par l’UE », s’est inquiété à juste titre Donald Tusk, le président du Conseil de l’Union européenne (UE), à l’issue du dernier sommet européen le 21 octobre. Car les difficultés des 28 à boucler des négociations, engagées pendant sept ans avec le Canada et conclues en 2014, porte un coup à la crédibilité de l’UE comme acteur commercial.
Comme l’avait souligné, la semaine passée, Cecilia Malmström, la commissaire au Commerce, la durée des pourparlers, couplée à celle nécessaire pour achever le processus de ratification est trop longue, les choses évoluant beaucoup plus vite dans la sphère commerciale. « Il est clair que l’UE n’est pas capable d’avoir un accord international, même avec un pays qui partage les mêmes valeurs et qui a su se montrer extrêmement patient », a déploré Chrystia Freeland, la ministre canadienne du Commerce, constatant l’échec des pourparlers engagés à Namur la semaine passée.
Dilemme entre respecter des règles démocratiques et être un acteur fiable
Dans les conclusions du sommet, les 28 chefs d’État et de gouvernement ont pourtant réaffirmé leur engagement en faveur du libre-échange et d’une politique commerciale robuste. Mais le maintien du veto wallon, le même jour, a jeté le doute sur ces déclarations. « Les traités commerciaux, symboles de la globalisation, sont aujourd’hui au cœur des contestations citoyennes », analyse un diplomate au Conseil. L’UE est donc confrontée à un dilemme entre, d’une part, les exigences de transparence et du strict respect des règles démocratiques, soulevées par son opinion publique, et, d’autre part, la nécessité d’être un acteur fiable pour ses partenaires commerciaux. « La seule solution, c’est de regagner la confiance des citoyens en démontrant que les accords de nouvelle génération contribuent à la régulation de l’économie », ajoute cette même source.
Un constat finalement assez proche du combat mené par Paul Magnette, le ministre-président de la Région wallonne. Dans une déclaration adressée à son parlement, vendredi 21 octobre, ce dernier a souligné qu’il n’était pas opposé à la signature d’un traité commercial avec le Canada. « La question qui se pose ici est de savoir quelle mondialisation nous voulons », a-t-il précisé. Premier accord de cette envergure à être négocié avec un pays développé, le CETA doit donc, selon lui, fixer les standards des futures négociations avec les États-Unis ou le Japon.
Débats au sein du Parlement européen
Au sein du Parlement européen (PE), un débat similaire a été engagé dans la foulée du non wallon au CETA. Pour les Verts, fervents critiques de la façon dont l’UE a jusqu’ici orchestré les négociations commerciales, la résistance de Paul Magnette et de son assemblée ont révélé la nécessité de lancer de nouvelles discussions sur l’agenda commercial européen, « avec en son cœur : la régulation par la puissance publique de la mondialisation, privilégiant les droits humains, sociaux et environnementaux sur le droit des affaires et des investisseurs », avance Yannick Jadot, vice-président la Commission Commerce international (INTA) et porte-parole du groupe Verts sur le CETA et le TTIP.
Les deux groupes majoritaires dans l’hémicycle – le Parti Populaire européen (PPE) et les Socialistes&Démocrates (S&D) estiment, quant à eux, qu’une réforme du processus de décision est nécessaire pour sortir l’UE de l’immobilisme. « Il est évident que si une petite communauté est capable de prendre en otage 500 millions d’Européens, il y a un problème avec notre système », a expliqué Gianni Pitella, le chef de file des S&D au PE.
Et le discours est plus virulent encore du côté de la droite conservatrice. « L’Europe ne peut pas continuer comme ça. Cette pièce de théâtre indigne, jouée par les États membres autour du CETA, doit cesser (…). Le débat mené au parlement wallon n’a rien à voir avec les sujets sur la table », s’est indigné Manfred Weber, président du PPE. Il insiste ensuite sur les avancées obtenues en la matière dans le traité de Lisbonne qui définit la politique commerciale comme une compétence exclusive de l’UE. « Si elle est considérée comme une loi européenne, seul le Parlement européen devrait avoir voix au chapitre », ajoute le conservateur allemand.
Avec d’autres compatriotes de sa famille politique, il tente de pousser la Commission européenne à récupérer la place qu’elle a peu à peu cédée face aux pressions des États membres. Pour eux, l’exécutif devrait proposer des accords commerciaux à « deux voies » ou à « deux niveaux ». Sur les éléments clés de l’accord, comme les tarifs ou la coopération réglementaire, les assemblées régionales et nationales n’auraient plus la possibilité de bloquer une décision. Celles-ci seraient néanmoins autorisées à donner leur avis sur d’autres volets d’un traité, telle que la protection des investissements, plus directement liés aux normes et régulations en vigueur dans le pays.
« La politique commerciale européenne a subi d’importants revers au cours de ces derniers mois. Nous devons donc nous assurer que la Commission soit capable de négocier et de conclure des accords qui seront ensuite approuvés par les propres institutions de l’Union », explique Daniel Caspary, membre allemand du PPE et coordinateur au sein de la Commission INTA au PE. Lui aussi défend l’idée d’accords divisés en deux volets, le premier relèverait uniquement de l’UE, le second des États membres. Si l’idée séduit au sein de l’exécutif européen, elle est néanmoins jugée difficile à mettre en œuvre, « car elle risquerait d’éroder notre influence dans les pourparlers », confie un négociateur européen : « Quel partenaire accepterait de faire des concessions sans la garantie que l’intégralité de l’accord sera finalement adoptée ? ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
– UE / Canada : le CETA bloqué après l’échec des négociations avec les parlementaires wallons
– UE / Canada : les principaux volets de l’accord de libre échange CETA
– UE / Canada : le blocage wallon sur le CETA fragilise la politique commerciale européenne