La négociation est un art. Takayuki Ueda et Marco Chirullo, respectivement vice-ministre nippon des Affaires internationales et négociateur en chef adjoint européen de l’accord de libre-échange (ALE) Japon-Union européenne (UE), en ont apporté la preuve – et ce, de façon brillante – quand ils ont traité de cet ALE ambitieux, censé « créer un pont entre l’Asie Pacifique et l’UE », le 10 février dans les locaux de Business France, à l’invitation du Japan External Trade Organization (Jetro) et de l’EU-Japan Centre for Industrial Cooperation.
Introduit par le directeur général du Jetro Paris, Akio Ikemori, selon lequel « l’enjeu n’est pas les droits de douane, mais les règles du commerce et de l’investissement », le débat a effectivement tourné autour des règles et standards en vigueur à l’est comme à l’ouest et des possibilités de coopération en matière de règlement et de norme. Rien de surprenant à priori entre deux territoires géographiquement éloignés et aux cultures très différentes. Sauf que ce qui est en jeu à court terme concerne les tarifs douaniers.
Automobile : 10 % de droits de douane en Europe
Ainsi, au début de son intervention, Marco Chirullo indiquait que, lors du prochain Sommet bilatéral en novembre, la Commission européenne avait « la volonté de finaliser les négociations », ce qui devrait aboutir à l’établissement de « règles de haut niveau » et « de normes ». Toutefois, quelques minutes plus tard, le représentant de la Direction générale du commerce abordait deux secteurs phare, le premier pour Tokyo, l’automobile, le second pour Bruxelles, l’agroalimentaire, sous l’aspect des tarifs. Voilà ce qu’a indiqué alors le négociateur européen : « l’UE est prête à enlever ses 10 % de droits pour accéder à son marché automobile, mais le prix à payer pour cette concession européenne doit se retrouver pour nos produits dans l’agroalimentaire ».
Pour sa part, Takayuki Ueda, soucieux de rassurer les Français présents dans la grande salle de conférences de Business France, a affirmé que « nombre de constructeurs mondiaux étant déjà implantés en Europe, il ne pourrait y avoir avec l’accord une très forte accélération des importations automobiles ». Le vice-ministre a encore mis en avant que l’automobile nipponne respectait déjà 41 des mesures règlementaires sur 47 édictées par les Nations Unies dans l’automobile et qu’une coopération était engagée avec l’Allemagne sur la voiture électrique ». Mais pas un mot sur l’agroalimentaire.
L’archipel veut accélérer pour rattraper la Corée du Sud
Pour comprendre cet échange, il faut remonter à la genèse des négociations, a expliqué à la Lettre confidentielle pendant la pause un familier du dossier présent dans la salle. « Rappelez-vous que c’est Tokyo, voyant que la Commission européenne signait un ALE avec Séoul, qui a demandé à Bruxelles d’entamer des discussions. Les Japonais étaient furieux et vexés que les Sud-coréens avant eux puissent avoir progressivement un accès libre au marché automobile de l’UE. Aujourd’hui, ils sont inquiets de ce démantèlement et les Européens espèrent qu’en novembre leurs partenaires asiatiques se rangeront à l’idée du donnant-donnant, concrètement automobile contre fromage, vin, etc. ».
Reprenant la parole au cours du débat, Marco Chirullo a indiqué que les standards de qualité s’appliquaient dans l’alimentaire, et qu’à cet égard la notion d’indication géographique était importante, « comme un mot d’ordre aujourd’hui pour la Commission européenne ». Reste à convaincre les collègues de Takayuki Ueda de partager le même appétit que les négociateurs de l’UE.
François Pargny
Pour prolonger :