Conclu le 17 juillet 2018*, le traité commercial UE / Japon entre en vigueur ce vendredi 1er février. Baptisé JEFTA (Japan-EU Free Trade Agreement), cet accord*, « le plus important jamais négocié », selon Cecilia Malmström, la commissaire européenne en charge du Commerce à Bruxelles, vise à créer la plus grande zone de libre-échange au monde, les économies de deux blocs représentant environ 30 % de la production mondiale.
À terme, il supprimera la quasi totalité des droits de douane sur les marchandises à l’entrée des deux marchés, et permettra aux exportateurs de l’UE des économies estimées à un milliard d’euros. La Commission européenne table, en outre, sur une hausse de 16 % à 24 % des exportations européennes vers le Japon, une fois le traité mis en œuvre.
Retour sur les principales avancées prévues dans le texte pour les exportateurs européens, qui s’y préparent d’ores et déjà, notamment en France.
Secteur agroalimentaire : abolition des droits de douane sur 90 % des produits
Souvent résumé dans les médias par la formule « voitures contre fromage », le pacte permettra, à terme, l’abolition des droits de douane japonais pour 90 % des produits européens. Selon des estimations publiées par la Commission, les exportations européennes de produits agroalimentaires transformés devraient connaître un boom de 170 % à 180 %. Dans le détail :
- Les taxes de 30 à 40 % sur le fromage et de 15 % sur les vins, disparaîtront dès l’entrée en vigueur de l’accord. Même chose pour la viande de bœuf – dont les droits passeront de 38,5 % à 9% dans les 15 ans – et le porc, principale exportation européenne en termes de valeur.
- Le Jefta prévoit également d’augmenter les contingents japonais sur les exportations européennes de malt, de fécule de pomme de terre, de poudre de lait écrémé, de beurre et de lactosérum. Il favorisera aussi les exportations européennes de denrées alimentaires transformées comme les pâtes, les chocolats, les confiseries et les biscuits, qui représentent, à l’heure actuelle, un demi-milliard d’euros par an.
- Autre avancée : la reconnaissance, par le Japon, de 205 « indications géographiques » européennes telles que le Roquefort, le Chablis, le Chianti, le Tiroler Speck ou le jambon de Bayonne. Seuls les produits disposant de ce statut seront autorisés à la vente au Japon sous l’appellation correspondante.
- Le volet relatif aux normes sanitaires imposées dans le secteur n’ont pas posé de problèmes majeurs lors des négociations, les deux blocs partageant des règles très strictes notamment sur le recours aux OGM ou sur le bœuf aux hormones, interdits au Japon comme au sein de l’UE.
Secteur industriel : vers de fortes progressions, notamment dans l’automobile
Outre le domaine de l’agroalimentaire, grand bénéficiaire de l’accord, d’autres secteurs devraient également connaître une hausse importante de leurs exportations, en particulier :
- les machines électriques (hausse prévue de 1 à 16 %) ;
- les produits chimiques (hausse prévue de 4 à 22 %) ;
- les produits pharmaceutiques ;
- les dispositifs médicaux tels que les appareils de radiographie et les stimulateurs cardiaques ;
- le matériel de transport ;
- les produits forestiers ;
- les textiles et habillements pour lesquels les droits de douane seront éliminés dès la mise en œuvre de l’accord tout comme le système de quotas, limitant les exportations de cuir et de chaussures européennes. Les tarifs sur les chaussures passeront de 30 % à 21 % immédiatement, et disparaîtront dans dix ans. Même chose pour ceux imposés au produits en cuir, tels que les sacs à main, ou les chaussures de sport et de ski, jusqu’ici très fortement taxées.
- Dans le secteur automobile, le JEFTA prévoit la suppression progressive des droits de douane de 10 % imposés par l’UE aux véhicules en provenance du Japon et le taux de 3 % appliqué généralement aux pièces détachées automobiles. En matière réglementaire, Tokyo a marqué son accord pour aligner complètement ses normes de fabrication automobile sur les normes internationales en vigueur au sein de l’UE. Un alignement qui facilitera, aussi, les exportations des voitures européennes vers le Japon.
Secteur des services : fin des discriminations
Le Jefta prévoit l’ouverture du secteur des services incluant le commerce électronique, le transport maritime, les services postaux, l’énergie ou les télécommunications. Dès sa mise en œuvre, l’UE et le Japon ne pourront plus exercer de discriminations à l’égard des prestataires de services de l’autre partie.
Selon la Commission, l’accord bénéficiera notamment aux entreprises opérant dans les secteurs suivants:
- les services aux entreprises ;
- les services financiers, en particulier les assurances ;
- les télécommunications ;
- le transport ;
- la distribution ;
- les services postaux et de courrier.
Marchés publics : ouvertures japonaises
Les entreprises européennes bénéficieront d’un meilleur accès aux marchés japonais faisant l’objet d’appels à la concurrence lancés aussi bien par l’administration centrale que par les pouvoirs régionaux et locaux. « Une avancée considérable » selon la Commission, qui rappelle que les marchés publics des deux blocs sont deux des plus importants au monde.
Mais jusqu’ici seule une part relativement modeste des marchés publics japonais – 3,5 % – revenait à des entreprises étrangères. Une situation qui devrait rapidement évoluer avec l’entrée en vigueur de l’accord :
- lors des négociations, Tokyo a en effet accepté d’ouvrir son marché public ferroviaire en abandonnant la « clause de sécurité opérationnelle » dénoncée depuis près de trois décennies par les Européens.
- Idem pour les marchés publics hospitaliers et les universités (87 entités), ou la distribution d’électricité (29 entités).
- Les fournisseurs de l’UE ont aussi obtenu un accès non discriminatoire aux marchés publics de 48 villes de près de 300 000 habitants. Prises conjointement, elles représentent environ 15 % de la population japonaise.
De son côté, l’UE a accepté d’ouvrir en partie son marché du matériel de transport public en milieu urbain, comme les trains et la signalisation des systèmes de métro, ainsi que celui des installations ferroviaires en surface.
L’UE accorde aussi au Japon un accès élargi aux marchés publics adjugés par les villes (pouvoirs municipaux), équivalent aux concessions faites par Tokyo.
Environnement, PME et coopération réglementaire
Le Jefta, accord global de nouvelle génération comprend également un volet lié la protection de l’environnement et au respect des engagements pris dans le cadre de l’Accord de Paris pour lutter contre le changement climatique.
Les petites et moyennes entreprises bénéficient aussi, pour la première fois dans un traité commercial négocié par l’UE, d’un chapitre dédié. Une nécessité selon Bruxelles alors que « 78 % des entreprises européennes qui exportent au Japon sont des PME ».
« Mais c’est surtout la coopération réglementaire entre les deux blocs qui pourrait faire la différence », estime un expert au sein de la Commission européenne. Dans bien des domaines elle permettra d’éviter des différences inutiles, entraînant des surcoûts tout en créant des freins à l’innovation. Et vu la taille du marché concerné, correspondant à un tiers du PIB de la planète, ces normes techniques communes « pourraient s’imposer au niveau mondial et servir de référence dans d’autres accords de libre-échange en cours de négociation » indique-t-il, en référence aux pourparlers récemment initiés par l’UE avec l’Australie ou la Nouvelle-Zélande.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Validé par la Commission européenne le 17 juillet 2018, approuvé par le Parlement européen le 12 décembre suivant, l’Accord de partenariat économique (APE) entre l’Union européenne et le Japon a été ratifié par les deux chambres de la Diète nationale japonaise les 29 novembre et 8 décembre 2018.
*Pour en savoir plus :
– Le texte en français du traité est en ligne sur le site de l’Union européenne au lien suivant : http://publications.europa.eu/resource/cellar/5805924c-09a3-11e9-81b4-01aa75ed71a1.0009.01/DOC_1
– Sur les termes de l’accord, les échanges avec le Japon région par région et/ou récits d’exportateurs européens, consultez la page de la DG Commerce de la Commission européenne dédiée aux relations UE/Japon : http://ec.europa.eu/trade/policy/in-focus/eu-japan-economic-partnership-agreement/