Européens et Japonais ont toutes les raisons de se féliciter de l’entrée en vigueur, ce vendredi 1er février, de l’Accord de partenariat et de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Japon – plus connu sous son signe anglais de JEFTA (Japon-EU Free Trade Agreement)-, signé le 17 juillet 2018. Les Français ne sont pas en reste, malgré le trouble créé, dans les milieux d’affaires, par l’affaire de l’éviction de l’ancien patron français de l’Alliance Renault-Nissan, Carlos Ghosn, toujours incarcéré au Japon sur des accusations de malversations financières. Comme le démantèlement tarifaire sera pratiquement total, « ce seront un milliard d’économies escomptés côté européen », a ainsi rappelé Frédéric Sanchez, président de Medef International, lors d’un séminaire organisé au Medef 25 janvier, intitulé « Accord commercial-UE : saisir de nouvelles opportunités ».
« Côté japonais, ce sont une hausse de 1 % au moins de la croissance économique et 300 000 emplois créés que nous attendons », a dévoilé, pour sa part – dans un parfait français – Yoichi Suzuki, ancien négociateur en chef de l’accord, intervenant à ce séminaire.
Pour la France, réduire un lourd déficit commercial
Pour la France, l’enjeu est d’autant plus important qu’au-delà des nouvelles perspectives s’ouvrant aux entreprises, notamment aux PME, le JEFTA peut être l’occasion de réduire un déficit commercial bilatéral énorme : -3,3 milliards d’euros sur 11 mois, entre janvier et novembre 2018.
La France a des atouts. Le pays du Soleil levant est son douzième client, avec un montant d’exportations supérieur à 6 milliards d’euros sur les onze premiers mois 2018, d’après les Douanes françaises. Ce n’est donc pas négligeable. Par secteur, la pharmacie domine largement, avec une part de 14,5 %, devant les boissons, avec moins de 10 %, le poste navigation aérienne et spatiale, avec près de 9 %, et le secteur des machines et de la mécanique, avec plus de 8 %.
Répondre aux États-Unis et à la Chine
Autre raison de se réjouir, l’accord va entrer en vigueur alors que le Japon a pris la présidence du G20 et la France celle du G7. Face aux tensions commerciales et dans un contexte sensible tant à l’extérieur qu’à l’intérieur de nombre de pays, c’est une bonne nouvelle, considère Bernard Spitz, le président de la Commission Europe et international du Medef, « pour répondre à l’agressivité, à la montée du protectionnisme et au refus du multilatéralisme de l’autre côté de l’Atlantique ».
A cet égard, Takehido Matsuo, directeur général de la Politique commerciale au METI (ministère de l’Économie, du commerce et de l’industrie) à Tokyo, a déploré « l’arbitraire » de Washington. La règle du consensus à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui réunit plus de 160 membres, n’est plus concevable, selon lui.
De la même manière, Pékin doit trouver des solutions pour réduire ses surcapacités industrielles. Enfin, le haut fonctionnaire japonais a défendu la coopération trilatérale entre l’Union européenne (UE), le Japon et les États-Unis, visant à combattre la concurrence déloyale et les pratiques de transfert de technologie forcé de pays tiers, en l’occurrence la Chine. Les trois pays planchent ensemble depuis plusieurs mois sur la réforme de l’OMC.
Élimination des droits de douane
Pour les Européens, les avantages de l’accord UE-Japon sont multiples : ouverture des marchés publics dans 54 grandes villes japonaises, y compris dans le ferroviaire ; convergence des standards en matière automobile ; reconnaissance de 205 identifications géographiques (IG) d’origine européenne et démantèlement tarifaire dans l’agriculture, incluant le vin. Nous en rappelons les grandes lignes par secteur dans la Lettre confidentielle cette semaine.
Par exemple, indiquait Marc Dagorn, chef du bureau de Politique tarifaire et commerciale de la direction générale des Douanes et droits indirects (DGDDI), « la taxe d’un euro par litre de champagne va tomber tout de suite ».
Le démantèlement tarifaire sera aussi immédiat pour toute une série de secteurs, comme le textile (à l’heure actuelle, 16 %) et les cosmétiques (à l’heure actuelle, 6 %). Le démantèlement sera progressif : sur quinze ans pour le fromage (à l’heure actuelle, près de 30 %), sur dix ans pour la viande bovine (à l’heure actuelle, 38 %), sur sept ans pour la maroquinerie.
Les intérêts offensifs du Japon
En sens inverse, s’agissant les secteurs les plus importants pour les Japonais, Tokyo a obtenu la levée des droits dans l’UE étalée sur sept ans pour l’automobile et quinze ans pour l’agriculture et la pêche. « Le Japon voulait l’élimination de tout droit dans l’automobile, l’électrique et l’électronique. C’était important avec le protectionnisme pratiqué de l’autre côté de l’Atlantique et la montée des pays émergents », a expliqué Yoichi Suzuki.
« Dès le 1er février, ce seront 90 % des droits de douane qui seront démantelés et à terme ce seront 97 % des lignes tarifaires qui le seront », a précisé Marc Dagorn, qui a conseillé aux entreprises françaises de consulter le calendrier de démantèlement par secteur sur le site officiel de la Douane française.
A noter que le système de démantèlement progressif peut être aussi accompagné de quotas, qui disparaîtront aussi dans le temps. Ces contingents répondront au système PAPS (premier arrivé, premier servi) bien connu en France ou au système des enchères inversées que le ministre japonais de l’Agriculture a adopté pour les céréales ou les produits laitiers (dans ce cas, le ministère retient la meilleure offre, puis redistribue les biens contingentés aux importateurs).
La coopération, pierre angulaire d’un succès à venir
Tous les intervenants au séminaire du Medef ont mis l’accent sur un aspect primordial pour l’avenir : la coopération règlementaire, les normes et les standards. « La coopération règlementaire, la coopération en général sont importants pour remplir les objectifs de l’accord ». Selon Yoichi Suzuki, « c’est là qu’est le vrai bénéfice ».
Comme l’a rappelé Charles-Henri Weymuller, conseiller technique au cabinet du président de la République, s’agissant de l’accord UE-Japon, « il n’y a pas eu de polémique, parce qu’ont été prises en compte les sensibilités agricoles et des considérations supra économiques, comme l’environnement et le droit social ». Ce qui avait fait défaut dans le cas de l’Accord économique et commercial global avec le Canada (en anglais CETA pour Comprehensive Economic and Trade Agreement).
En particulier, le JEFTA fait référence à l’Accord, dit de Paris, de lutte contre les changements climatiques. Tant pour l’environnement que pour la protection des données, des clauses de révision sont prévues dans l’accord UE-Japon.
Investissement : le rejet de l’ISDS en Europe
Cette compréhension mutuelle est d’autant plus importante que l’UE et le Japon veulent poursuivre leur engagement mutuel avec un accord bilatéral sur la protection des investissements. Les deux partenaires représentent ensemble 635 millions d’habitants, un tiers du PIB mondial et 40 % du commerce international. A cet égard, le principal obstacle semble devoir être le règlement des contentieux.
Le Japon recourt à l’arbitrage privé en cas de litige. Or, ce mécanisme, appelé ISDS (Investor-state dispute settlement), est celui qui a été rejeté par les Européens, lors des négociations qui ont échoué avec les États-Unis pour le TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership). La société civile, de façon générale, s’était émue qu’une société puisse attaquer des États ayant adopté des normes sociales ou environnementales.
« A la demande du Parlement européen et des États membres, a rappelé au Medef Helena König, directrice générale adjoint au Commerce à la Commission européenne, nous avons proposé un système de règlement transparent avec une juridiction permanente, composée de magistrats de chaque pays ». Et « aujourd’hui, nous ne pourrons pas revenir en arrière », a-t-elle averti.
UE : transparence et professionnalisme
« Je comprends bien votre souci de transparence, lui a répondu Frédéric Sanchez, mais nous, entreprises, n’y sommes pas vraiment favorables, car ça introduit de la bureaucratie. Et la durée avant que les décisions soient rendues risque d’être encore plus longue que dans l’ISDS ».
En ce qui concerne le Japon, de façon très diplomatique, Yoichi Suzuki a adopté une position médiane. Tout en estimant que l’ISDS est un système ayant fait ses preuves quant à la rapidité des prises de décision, il a reconnu que le dispositif proposé par la Commission européenne était « plus professionnel », puisque qu’il prévoit de créer « un corps permanent de juges » pour remplacer le recours à des juges au cas par cas.
Peut-on aménager deux systèmes de règlement à priori incompatibles ? Quoi qu’il en soit, Bruxelles et Tokyo devront faire preuve d’imagination pour accorder leurs violons en vue de prolonger l’accord de libre-échange par un accord sur les investissements.
François Pargny