Un accord européen d’ici la fin de l’année est « possible et jouable », estime Pierre Moscovici, le Commissaire en charge des Affaires économiques et de la fiscalité à Bruxelles. Son projet ? Instaurer une taxe de 3 % sur les revenus – et non plus seulement les profits – générés par l’exploitation d’activités numériques, en particulier la publicité et la revente de données personnelles. L’objectif est de « combler un trou noir fiscal », détaille l’ancien ministre de l’Économie et des finances de François Hollande, les géants du numérique ne payant en moyenne que 9 % d’impôts sur les sociétés contre 23 % pour le reste des entreprises implantées en Europe.
Selon le projet actuellement à l’étude à Bruxelles, entre 120 et 150 entreprises devraient être affectées par ce nouvel impôt : la moitié seront américaines, un bon tiers européennes et le reste asiatiques, essentiellement chinoises. Cette taxe ne visera en effet que les groupes dont le chiffre d’affaires annuel mondial s’élève à plus de 750 millions d’euros et dont les revenus dans l’UE excèdent 50 millions d’euros.
Un « signal fort » avant les élections européennes de mai 2019
Il s’agit d’un « signal fort » avant les élections européennes de mai 2019, insiste-t-on à la Commission qui met en avant une mesure allant dans le sens d’une plus grande justice fiscale. « En France, la plateforme Airbnb, qui pèse des milliards, n’a payé que 160 000 euros d’impôt en 2017. Une somme équivalente à celle que payent certaines PME », explique Pierre Moscovici. Plus d’équité mais aussi de nouvelles ressources pour les États membres : le nouvel impôt pourrait rapporter entre 5 et 8 milliards d’euros chaque année à l’UE.
« L’adoption de ce projet est l’une des priorités européennes du président Macron », rappelle un diplomate français, en poste à Bruxelles. D’où les efforts déployés depuis plusieurs mois par Bruno Le Maire pour convaincre ses partenaires européens de donner leur feu vert, d’ici fin 2018, à la proposition de Bruxelles.
Mardi 23 octobre, le ministre français de l’Économie et des finances s’est ainsi rendu à Strasbourg pour « appeler les parlementaires et les citoyens européens à se mobiliser autour du projet de taxation des géants du numérique », soulignait un communiqué de son ministère. Audition devant la commission ECON, spécialiste des questions économiques, rencontre avec le chef de file des eurodéputés libéraux Guy Verhofstadt, avec celui des sociaux-démocrates, Udo Bullmann, rassemblement avec des poids lourds du parti conservateur, les Allemands Manfred Weber et Elmar Brok. Une vaste opération de communication destinée à rallier les plus indécis.
La partie est loin d’être jouée
Si Bruno Le Maire tente désormais de mettre tout son poids dans la balance, c’est que la partie est loin d’être jouée. Les réformes en matière fiscale requièrent en effet un vote à l’unanimité et non à la majorité qualifiée. « A ce stade, 20 États membres se sont prononcés en faveur du projet », se félicite un membre français du Conseil européen. Plutôt hostiles à l’instauration d’une nouvelle taxe, les Pays Baltes, le Luxembourg et les Pays-Bas auraient eux aussi donné leur accord du bout des lèvres, à condition que le taxe européenne n’ait pas vocation à durer.
Pour répondre à cette exigence, la France a proposé d’intégrer dans la proposition une clause d’extinction. « A terme, la taxe européenne sera donc remplacée par un impôt au niveau mondial, une fois que l’OCDE (l’Organisation de coopération et de développement économiques), qui planche depuis longtemps sur le dossier, aura achevé ses travaux », confirme-t-on à Paris.
Restent à convaincre les pays nordiques, tels que la Suède ou le Danemark, où les responsables dénoncent un impôt contre-productif. Même chose pour l’Irlande, qui oppose depuis le début un veto catégorique au projet. Avec un taux d’impôt sur les sociétés de 12,5 %, le plus faible au sein de l’UE, le pays attire sur son sol la plupart des sièges des multinationales américaines (Google, Facebook et Apple notamment), un modèle économique qu’elle ne souhaite évidemment pas remettre en question.
L’Allemagne hésite
Paris devra enfin convaincre Berlin de poursuivre la bataille à ses côtés. Alors que l’Allemagne s’était d’abord rangée dans le camp de la France – le projet figurant même dans le programme de l’actuelle coalition au pouvoir – elle freine désormais des quatre fers. Motif ? Une taxe visant les géants américains du Net risque de réveiller la guerre commerciale latente entre les États-Unis et l’UE et donc de menacer son industrie automobile, cible récurrente des attaques de Donald Trump.
« Le sujet est très compliqué (…) Vous ne pouvez pas trouver de solutions simples et c’est pourquoi il est logique que nous fassions cela avec précaution », a reconnu Olaf Scholz, le ministre allemand des Finances, lors d’une rencontre début septembre à Bruxelles avec ses homologues européens. Preuve que la position de l’Allemagne sur le sujet reste ambigüe. Le parti social démocrate (SPD), dont il est issu, avait pourtant fait de la « Taxe Facebook » une promesse de campagne. Si Olaf Schulz continue à démentir toute volte-face, il laisse néanmoins planer le doute sur ses intentions.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles