L’Europe a de nouveau une stratégie de soutien à l’industrie, Le Moci l’a découverte et il est temps de s’y intéresser ! Le 13 septembre dernier, le jour même de l’adoption d’un cadre européen pour le filtrage des investissements directs étrangers, Jean-Claude Juncker, qui préside la Commission européenne depuis novembre 2014, présentait pour son troisième discours annuel sur l’état de l’Union « une nouvelle stratégie industrielle » pour « rester » ou « devenir » le « numéro un mondial en matière d’innovation, de numérisation et de décarbonisation ». Un tournant selon certain. « Ce n’était pas arrivé depuis 2009 qu’on parle de politique industrielle au niveau européen », explique-t-on ainsi au Moci au sein de l’exécutif européen.
Huit longues années auront donc passé sans rien ou presque sur l’industrie. La crise économique, qui a frappé lourdement l’Union européenne (UE), aurait, néanmoins, servi de déclencheur. Depuis, le contexte est devenu favorable, tant sur le plan économique que politique, pour avancer de nouvelles propositions en matière industrielle : la croissance économique sur le Vieux Continent « est pour la seconde année supérieure à celle des États-Unis », fait-on valoir à Bruxelles – et le contexte politique est aussi porteur avec le retour de l’Europe au premier plan des agendas politiques des États membres, caractérisé, notamment, par l’élection en France d’un président jugé réformateur et pro-européen, Emmanuel Macron.
L’industrie représente deux tiers des exportations européennes
Une fenêtre de tir s’est donc ouverte, par laquelle la Commission européenne s’est engouffrée. Ce qui tombe bien car à l’heure de la tertiarisation de l’industrie et de l’émergence du numérique – que le vice-président Jyrki Katainen, en charge de l’Emploi, la croissance, l’investissement et la compétitivité, qualifient de « mégatrends » (tendances lourdes) – mais aussi de la raréfaction des ressources naturelles et des changements climatiques, l’industrie européenne « commence à saisir » les possibilités que font naître « ces tendances concrètes et irréversibles », observe la Commission européenne dans une communication aux autres institutions européennes, en date du 13 septembre.
Contrairement à une idée reçue selon laquelle l’industrie européenne suivrait une trajectoire négative, elle « a été capable d’inverser le déclin de ses parts de marché à l’exportation et de la part du secteur industriel dans la valeur ajoutée ». Plus encore, d’après ce document, « les parts de marché des exportations de l’UE affichent une hausse progressive pour les biens et se montrent stables pour les services ». Résultat : aujourd’hui, l’industrie réalise les deux tiers des exportations européennes et emploie 32 millions de personnes.
Le 29 septembre, la présidence estonienne de l’UE organisera, à Tallin, un Sommet européen sur la digitalisation, « une première à ce niveau voulue par l’Estonie, qui se présente comme une start-up nation », précise un fonctionnaire européen. L’an passé, la Commission européenne a lancé une initiative sur le « cloud », dont doit bénéficier toute la recherche européenne. Elle apporte 2 milliards d’euros pour un plan qui devra en attirer 5 supplémentaires, soit au total, avec 7 milliards, l’équivalent de ce qui a été investi au départ dans Airbus et dans Galileo…
La BEI, guichet unique du plan Juncker
Avant la fin de l’année, les premiers appels d’offres devraient être lancés dans le cadre du programme européen de recherche Horizon 2020, pendant pour la recherche du grand plan d’investissement ou plan Juncker, entamé en avril 2015 pour mobiliser 315 milliards d’euros dans les infrastructures (énergie, transport, haut débit…), l’industrie (énergies renouvelables…) et les secteurs sociaux (éducation, logement…).
À l’heure actuelle, 225 milliards seraient engagés dans le cadre du plan Juncker, dont une vingtaine de pour cent dans l’industrie, sous forme de prêts. Le plan Juncker a pour ambition « de faire revenir le poids de l’industrie dans le PIB de l’UE à 20 % d’ici 2020 », indique la Commission européenne dans sa communication du 13 septembre.
À titre d’exemple, la Banque européenne d’investissement (BEI) vient de contribuer à hauteur de 30 millions à un projet de recyclage de titane du groupe Eramet, qui vient d’inaugurer sa nouvelle usine EcoTitanium à Clermont-Ferrand. Dans le plan Juncker, un total de 21 milliards d’argent public, en provenance du budget européen et des réserves de la BEI, doit être utilisé pour garantir 60 milliards d’euros. En tablant sur un effet de levier suffisamment important – cinq fois le montant investi – Bruxelles espérait parvenir aux 315 milliards annoncés entre 2015 et 2017. La semaine dernière, un nouvel objectif a été fixé : 500 milliards d’ici 2020.
En France, de grandes entreprises, comme PSA (moteurs électriques), mais aussi de moins grandes ont bénéficié du soutien de la BEI, à l’instar de Technicolor (produits numériques), la coopérative Maître laitier du Cotentin (création d’une usine de produits laitiers à destination de la Chine) et Mecachrome (investissements dans le process et la numérisation pour s’adapter au Leap, le moteur de nouvelle génération de Safran).
Les acteurs et les relais en France
De façon concrète, la BEI coordonne un véhicule financier, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS), et organise la sélection des projets via le portail européen (EIPP) pour les projets d’investissement et la plateforme de conseil pour les entreprises (EIAH). En France, les acteurs qui suivent le programme sont la Caisse des dépôts et consignation, le Commissariat général à l’investissement, qui opère au plus près des porteurs de projets, les aide à la préparation et présentation des projets, et enfin Bpifrance, sous forme de deux fonds d’investissement, le Prêt innovation et le Prêt d’amorçage investissement.
« Ces relais sont particulièrement importants, explique-t-on à la Commission européenne, car il est difficile de prêter 20 millions d’euros à une PME qu’on ne connaît pas et qui n’a pas une dimension européenne installée ». Alors dit-on gentiment, « on tord un peu le bras à la BEI, mais elle le fait aussi volontiers, car ça l’intéresse » et « on passe par des plateformes d’investissement, des intermédiaires, des fonds où nous plaçons 50, 100 millions d’euros ». Et de citer effectivement en France les fonds de Bpifrance, mais aussi un fonds de la Région Ile-de-France ou un fonds de l’université Pierre et Marie Curie pour aider à la création d’entreprises.
À Bruxelles, on reconnaît volontiers une erreur de communication sur le plan Juncker à son départ. « La Commission avait du mal à cacher son énervement vis-à-vis des États qui leur envoyaient des listes de grands projets d’infrastructure », justifie une source européenne. « Les projets, expose-t-elle, doivent être portés par des entreprises privées – c’est notre philosophie – soit sous forme de partenariat public-privé, soit sous forme de société de projet, plus rarement par des collectivités et/ou des institutions publiques, comme les filiales de la Caisse des dépôts dans le logement social ».
Cap sur les politiques sectorielles : espace, défense, acier, automobile
Par ailleurs, au départ, il était question d’accroître la capacité d’investissement avec de l’argent étranger. Ainsi, un accord de co-investissement avec la Chine a bien été conclu, mais n’a jamais été matérialisé. Est-ce que Bruxelles a craint de faire entrer le loup dans la bergerie, est-ce que Pékin a renoncé, estimant que son influence serait nulle dans la mesure où la Chine n’aurait aucun droit de regard sur les projets ? L’argent européen doit suffire, pense-t-on aujourd’hui à Bruxelles.
Le plan Juncker va être maintenant complété par des politiques sectorielles. Certaines sont en préparation, notamment dans l’automobile, d’autres ont déjà reçu des réponses concrètes dans l’acier, l’espace et la défense.
La première stratégie sectorielle a été impulsée dans l’acier, ce qui a contribué à l’instauration de mesures anti-dumping à l’encontre de la Chine et à la réflexion sur l’établissement de nouveaux mécanismes de protection contre la concurrence déloyale. Pour la défense, un fonds européen spécifique a été créé, avec un volet recherche. Et dans l’espace, c’est la nouvelle fusée Ariane 6, dont le premier client, l’annonce date de quelques jours, sera Galileo. L’industrie européenne est lancée vers le futur.
François Pargny
Pour prolonger :
– UE / Commerce : Juncker confirme les ambitions commerciales mais reste muet sur l’antidumping
– UE / Commerce : le Parlement européen s’érige en défenseur de l’industrie contre la Chine
– Europe / Financements : La BEI réaffirme sa priorité aux PME et se félicite des effets du « plan Juncker »
– Guide 2017 des aides européennes aux PME : les programmes de subventions