Les aides du volet climatique du gigantesque plan de relance américain IRA (Inflation Reduction Act), qualifiées de « super agressives pour nos entreprises » par Emmanuel Macron lors de sa dernière visite d’État (3 novembre-2 décembre) aux États-Unis, font craindre des distorsions de concurrence et des délocalisations de grandes entreprises industrielles depuis l’Europe. Mais elles vont aussi permettre à des PME françaises bien implantées sur place d’accélérer leur développement sur le marché américain. En attendant un éventuel accord USA/UE sur le sujet. Explications.
Tout ça pour ça ? C’est l’impression que laisse la lecture du communiqué de la Commission européenne, publié à la suite de la réunion du Conseil du commerce et des technologies (CCT) États-Unis / Union européenne lundi 5 décembre. « Le CCT a pris note des progrès préliminaires qui ont été réalisés. L’UE attend avec intérêt que les États-Unis apportent une réponse constructive à ses préoccupations. »
Pour une réunion ministérielle qui devait servir de cadre à des discussions sur l’Inflation Reduction Act (IRA) et ses subventions au Made in America, c’est un peu court.
Pas d’avancées dans l’immédiat donc sur la question des aides du volet climat de l’IRA qui seront accordées à partir du 1er janvier. Doté de 370 milliards de dollar, ce vaste plan visant à doper les investissements dans les énergies renouvelables, les véhicules électriques ou la séquestration du carbone à grands coups de crédits d’impôts pour les entreprises et de subventions pour les consommateurs est en effet réservé aux entreprises américaines.
Des mesures qui hypothèquent les efforts de réindustrialisation…
Exemple dans l’automobile : pour toucher les 7500 dollars de subvention à l’achat d’une voiture électrique, cette dernière doit être made in America par une entreprise locale alors que les subventions européennes ne sont pas réservées aux seules entreprises des 27 États membres de l’UE.
Par-delà la distorsion de concurrence créée de facto par ces aides américaines, « il existe un risque très réel d’une nouvelle vague de désindustrialisation, car les États-Unis attirent les dernières vagues d’investissements dans de nouvelles opérations et dans la R&D, estime la Table ronde des industriels européens (ERT), qui regroupe les 49 plus grandes entreprises du Vieux Continent . Une telle tendance constitue une menace existentielle pour une part importante de l’activité industrielle en Europe, avec des implications potentiellement désastreuses sur des écosystèmes industriels dominés par les PME dans l’UE-27. »
De grandes entreprises européennes réorientent d’ores et déjà leurs investissements aux États-Unis, ou y réfléchissent. C’est le cas du suédois Northvolt, qui devait ouvrir une gigafactory de batteries en Allemagne et qui songe sérieusement à la construire outre-Atlantique. Du groupe chimique belge Solvay qui a dévoilé début novembre un projet de site de production américain de PVDF (polymère fluoré thermoplastique), un composant utilisé dans les batteries lithium-ion. De l’énergéticien espagnol Iberdrola qui souhaite consacrer la moitié de ses investissements au marché nord-américain. De BMW qui a annoncé en octobre des investissements colossaux (1,7 milliard de dollars en tout) dans ses sites de production de véhicules électriques et de batteries en Caroline du Sud. De Siemens et Volkswagen qui sont devenus en juin actionnaires minoritaires du réseau de bornes de recharge ultra-rapide Electrify America…
Une opportunité pour des PME déjà bien implantées
Du côté des greentechs, « il n’y a pas un afflux massif, mais un fort intérêt pour ces nouvelles subventions qui, étalées sur dix ans, permettent de se projeter à long terme », observe Alex Raguet, Conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF) et membre de la French Tech d’Austin, au Texas. « Nous sommes contactés par des entreprises françaises qui s’intéressaient au marché américain avant l’IRA. » Même son de cloche chez Business France : il n’y a pas de ruée des PME tricolores des secteurs concernés sur le marché américain pour produire sur place plutôt que d’exporter.
En revanche, ce gigantesque plan d’investissement profite à celles déjà implantées sur place, comme Sunna Design, spécialiste de l’éclairage public solaire qui a racheté en février 2020 au groupe Carmanah Technologies la société Sol Inc., pionnier de l’éclairage solaire aux États-Unis.
« Avant même l’annonce de l’IRA, nous avions pour projet de transférer l’assemblage de nos produits aux USA, pour répondre aux attentes du marché local, précise la PME bordelaise. Ce plan d’investissement fédéral et le surplus d’opportunités qui en découlera va nous permettre d’accélérer ce projet, avec une production à 100 % américaine de nos produits destinés au marché nord-américain prévue d’ici la fin de l’année 2023 ».
Si Sunna Design ne sait pas encore si ses lampadaires solaires made in USA pourront bénéficier de subventions, elle compte a minima profiter de celles accordées aux fabricants de composants (panneaux solaires et batteries). C’est surtout la prolongation jusqu’à 2032 du Solar Investment Tax Credit (ITC) qui constitue pour l’entreprise la mesure la plus concrète de l’IRA. « Il donne en effet droit à un crédit d’impôt de 30 % pour l’acquisition de solutions énergétiques durables, ainsi que l’extension de l’éligibilité à des types de clients jusqu’alors exclus du mécanisme (municipalités, comtés, réserves indiennes). Notre modèle de leasing de lampadaires « Solar Lighting as a Service » est en pleine expansion et l’Investment Tax Credit est un pièce fondamentale du succès du programme. »
Le coût de l’énergie, argument massue de l’attractivité américaine
En produisant sur place, grâce à une opération de croissance externe au lieu d’exporter, cette PME de 40 personnes qui travaille à 90 % à l’international a bien l’intention d’utiliser les mesures de l’IRA pour inonder le marché américain de ses lampadaires solaires. Par ailleurs, s’il est finalement une opportunité pour cette entreprise (« coup de cœur green » du palmarès 2022 des leaders de l’export du Moci), ce vaste plan de relance n’explique pas à lui seul l’attractivité croissante du marché américain.
« Le risque de délocalisation énergétique, ou plutôt de « grand déplacement industriel » au profit de zones attractives comme les États-Unis ou l’Asie, est actuellement le gros risque structurel » qui pèse sur l’Europe, a ainsi résumé pour l’AFP Nicolas de Warren, président de l’Uniden, qui représente 36 industriels pesant plus de 70 % de la consommation énergétique en France. Aux États-Unis, le coût de l’énergie est entre 4 et 5 fois moins élevé qu’en Europe et constitue un facteur d’attractivité crucial pour les entreprises du monde entier.
Dans ce contexte, les distorsions de concurrence créées par l’IRA n’en prennent que plus d’importance, malgré les avantages que peuvent y trouver les sociétés disposant de filiales outre-Atlantique. Les éventuels ajustements et exemptions qu’espérait encore le président Emmanuel Macron « d’ici au début de l’année prochaine » semblent pour l’instant au point mort. Signe de la tension qui plane sur ces discussions, Thierry Breton, le commissaire européen à l’Industrie, apprenant que le sujet serait traité en 45 minutes lors de la réunion du TTC lundi ne s’est finalement pas présenté, rapporte Bloomberg. Ambiance…
Dans la déclaration commune lors de la visite d’Emmanuel Macron, les présidents américain et français disaient pourtant compter sur la task force US/EU sur l’Inflation Reduction Act créée en octobre dernier pour faire avancer ces sujets. Réunie en marge de la dernière réunion du TTC, elle n’a pas permis de faire émerger, pour le moment, de solutions et n’a pas fixé de nouvelle date.
A suivre…
Sophie Creusillet