« L’Europe compte plus de producteurs d’hélicoptères que d’États capables de les acheter », ironise un haute responsable de l’exécutif européen. Une anecdote parmi d’autres pour illustrer le coût du manque de coordination des États membres dans le secteur de la défense, estimé entre 25 et 100 milliards d’euros par an. Et pour être en mesure de porter le projet d’une « Europe qui protège ses citoyens », la Commission a présenté le 7 juin dernier une série de propositions ambitieuses visant à soutenir le développement de capacités militaires communes. Le Moci en décrypte l’essentiel.
Un nouvel instrument pour injecter 500 millions d’euros par an
Objectif de ces propositions : mobiliser 39 milliards d’euros d’ici à 2027 en consacrant, dans le prochain cadre budgétaire pluriannuel (2021-2027), 500 millions d’euros par an à la recherche et en créant un Fonds européen de la défense. Ce nouvel instrument, alimenté par l’UE et les États membres, pourrait mobiliser annuellement jusqu’à 5,5 milliards d’euros. Alors que la politique de la défense relève toujours de la compétence des États, « certaines parties du travail, sous-tendant le renforcement de cette politique, reposent clairement entre les mains de la Commission : la partie liée à l’industrie et celle liée à la recherche », a indiqué Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne.
Bien décidé à jouer son rôle de catalyseur de l’innovation et de la compétitivité industrielle en Europe, l’exécutif propose notamment de destiner ces fonds communautaires aux phases de recherche et de développement de prototypes d’armement, à condition qu’ils soient portés par au moins trois entreprises de deux États membres et cofinancés à 80 % par ces derniers. « On peut, par exemple, penser à des drones européens, à la cybersécurité ou aux menaces hybrides. Ce sont des projets qui peuvent intéresser les plus petits États membres, des PME ou des startups, c’est d’ailleurs notre but », détaille Elzbieta Bienkowska, la commissaire en charge de l’Industrie et du marché intérieur, dans un entretien accordé au quotidien belge Le Soir.
Interrogée sur l’incidence du ‘facteur Trump’, la responsable tempère, précisant qu’une phase d’expérimentation a été lancée bien avant l’arrivée au pouvoir du milliardaire américain. La Commission a en effet décidé, il y a deux ans, de dégager 90 millions d’euros pour promouvoir la recherche dans le secteur entre 2017 et 2019, « nous lançons actuellement les premiers appels d’offre », précise la Polonaise.
L’UE pourrait économiser 30 % des dépenses annuelles
Selon l’exécutif européen, une mise en commun à l’échelle de l’UE permettrait d’économiser jusqu’à 30 % des dépenses annuelles dans le secteur de la défense. A l’heure actuelle, tous pays confondus, les budgets européens atteignent 227 milliards d’euros par an contre 545 milliards côté américain : 80 % des marchés publics et plus de 90 % de la recherche et développement sont encore gérés à l’échelle nationale.
Résultat : l’UE dépense peu et dépense mal. Alors que les Etats-Unis ont développé 30 systèmes d’armes, il en existe 178 en Europe. Les Américains possèdent un seul modèle de char de combat contre 17 au sein de l’UE. « Faute d’investissements mieux coordonnés, l’industrie européenne risque de perdre ses capacités technologiques, menaçant par la même son autonomie stratégique », avertit le journaliste Nicolas Gros-Verheyde, co-auteur de « la politique européenne de sécurité et de défense commune ».
Pour cet expert, toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour favoriser la concrétisation de ce projet européen. Le départ imminent des Britanniques, qui avaient longtemps bloqué toute initiative commune dans le secteur ; l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche ; l’instabilité dans le voisinage direct de l’UE avec Poutine en Russie ou Erdogan en Turquie ; mais aussi le changement dans la nature même de la menace. « Seuls, les États membres sont incapables de lutter efficacement contre le terrorisme ou les cyberattaques », insiste-t-on à la Commission européenne.
Au sein même de l’UE, l’opinion publique soutient elle aussi une mise en commun dans le domaine. Trois Européens sur quatre sont favorables à une politique européenne de sécurité et de défense, selon un récent Eurobaromètre publié par la Commission à Bruxelles.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles