Les leaders européens ne décolèrent pas tout en commençant à aiguiser leur stratégie de riposte. En ligne de mire ? Theresa May et Donald Trump, dont les récentes déclarations laissent augurer des relations tendues entre leur pays respectifs et le bloc européen. Car les nouveaux leaders à Londres et à Washington affichent désormais clairement leur volonté de renforcer leurs liens bilatéraux, en particulier sur le plan commercial.
Vendredi 27 janvier, Theresa May sera la première dirigeante à rencontrer le nouveau président américain à la Maison blanche. Principal sujet au menu des discussions : le futur accord de libre-échange que les deux États pourraient conclure une fois achevés les pourparlers sur le ‘Brexit’. « Ils discuteront de la façon d’approfondir nos relations économiques et commerciales déjà très étroites, ceci incluant notre volonté commune de signer un pacte commercial ambitieux », reconnaissait Kate Greer, la porte-parole de l’ambassadeur britannique à Washington.
« Ils semblent tous deux bien décidés à avancer dans l’ombre »
Mais si Federica Mogherini, la cheffe de la diplomatie européenne, a bien rappelé que selon les traités, Londres n’était pas autorisé à négocier des accords bilatéraux avant sa sortie officielle de l’UE, personne n’est dupe à Bruxelles : « ils semblent tous deux bien décidés à avancer dans l’ombre pour signer au plus vite après le Brexit », confiait au Moci un négociateur de la Commission qui a suivi, depuis ses débuts, les pourparlers de libre-échange UE / États-Unis.
La rencontre à New-York, le 8 janvier dernier, entre Boris Johnson, le ministre britannique des Affaires étrangères, et deux proches conseillers de Donald Trump, Steve Bannon et Jared Kushner, semble en effet étayer ces suspicions. Selon des sources anonymes citées dans la presse britannique, la réunion visait bel et bien à jeter les bases des discussions préparatoires pour un traité de libre-échange.
Une stratégie que les 27 voient bien sûr d’un très mauvais œil, et ce pour deux raisons majeures. En premier lieu, elle risque de renforcer le poids des Britanniques dans les pourparlers avec l’UE, leur laissant plus de marges pour négocier un « hard Brexit », c’est à dire un ‘Brexit’ sans concessions. Ensuite, elle démontre le mépris de Donald Trump pour l’Europe « et sa volonté de court-circuiter Bruxelles », s’inquiète-t-on à la Commission et dans les capitales européennes.
« Il existe un réel danger que les négociateurs britanniques refusent tout compromis et nous contraignent à un atterrissage forcé », a commenté cette semaine Tomas Prouza, le ministre tchèque des Affaires européennes. « Nous voulons un accord équilibré, mais il devra être inférieur aux bénéfices qu’offre le statut de membre à part entière », a déclaré, pour sa part, Joseph Muscat, le Premier ministre maltais, dont le pays assure la présidence de l’UE au cours de ce premier semestre.
Pascal Lamy : « Il s’est entouré de personnes qui ont une vision du commerce qui date d’il y a 50 ans »
Les annonces faites cette semaine par Donald Trump ont également suscité de nombreux commentaires à Bruxelles, en particulier sa décision de retirer son pays du Traité trans-pacifique (TPP) via un décret, signé dès le 22 janvier. Sortant de son habituelle réserve, Cecilia Malmström, la commissaire au Commerce, n’a pas mâché ses mots lors d’une table-ronde organisée le 23 janvier par le Think-Tank Bruegel : « Ceux qui pensent, au 21e siècle, qu’ils peuvent retrouver leur puissance en construisant des murs, en réinstaurant des barrières au commerce, en limitant la liberté de circulation, sont voués à l’échec ». Reconnaissant la mise au frigo « sans doute pour longtemps », des pourparlers transatlantiques de libre-échange, la libérale suédoise n’a pas voulu dramatiser ses conséquences. « Trump ou pas Trump, nous avons une longue liste de pays qui veulent négocier avec l’UE », a-t-elle ajouté, citant une vingtaine d’accords avec des pays tiers en cours de discussions ou en passe d’être lancés.
Même constat à Francfort, où Peter Praet, l’économiste en chef de la Banque centrale européenne (BCE), a vertement critiqué la politique du président américain. Selon lui, cette façon d’envisager le commerce international à travers des accords bilatéraux risque d’entraîner une réaction violente des nations délaissées. « Je pense qu’il faut être très prudent (…) dans le commerce international, c’est œil pour œil, dent pour dent », a-t-il déclaré.
Ancien commissaire européen au Commerce avant de prendre la tête de l’OMC, Pascal Lamy a lui aussi raillé les « Trumponomics », la doctrine et la politique économique que souhaite développer Donald Trump. « Il s’est entouré de personnes qui ont une vision du commerce qui date d’il y a 50 ans. Ils ont tous plus de 70 ans et ils ont probablement appris ce qu’ils savent du commerce quand ils avaient 20 ans », a expliqué le socialiste français, lors d’un événement organisé par le site EurActiv ce 25 janvier à Bruxelles. « Il a tué un zombie », a-t-il ensuite ajouté, commentant le retrait des États-Unis du TPP.
Toutefois, la décision de Donald Trump pourrait être l’occasion en or pour l’Europe de rejoindre l’accord à la dernière minute, alors que les 11 autres partenaires commerciaux se retrouvent dans l’impasse. Une vision qui gagne du terrain tant à Bruxelles qu’à Pékin.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles