L’Union européenne (UE) entend assumer un leadership dans la réforme de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Ainsi, alors que la guerre commerciale se durcit entre les États-Unis et la Chine, la Commission européenne a dévoilé, le 18 septembre, son point de vue ou concept paper (en anglais), qui ne contient pas de propositions formelles. Il s’agit d’une présentation de l’approche européenne, un document à négocier en principe avec les 164 membres de l’OMC. Il sera présenté, le 20 septembre, aux partenaires de l’UE, au cours d’une réunion initiée par le Canada à Genève.
Autre date importante, le 25 septembre : les Européens rencontreront à New York les Japonais et les Américains avec lesquels ils développent depuis neuf mois une concertation trilatérale visant à lutter contre les surcapacités industrielles qui perturbent les marchés mondiaux et la concurrence déloyale des nations tierces, notamment la Chine.
Bruxelles entend parler avec tout le monde. Sur les mêmes sujets qu’avec les États-Unis et le Japon, l’Union européenne a ainsi réussi à persuader l’ex-Empire du Milieu, lors de leur dernier Sommet commun en juillet, de mettre en place un groupe de travail. Or, la première réunion formelle entre Bruxelles et Pékin va se tenir le mois prochain, ce qui doit permettre un approfondissement de l’approche de la Commission européenne.
Des contacts sont également développés avec d’autres nations, comme le Canada, l’Australie ou encore le Brésil. Les idées de la Commission européenne doivent être discutées avec tous, y défend-on, pour que les propositions soient complètes.
Les trois grands axes à discuter
L’approche européenne repose sur trois grands principes :
1/-Les négociations doivent être engagées sur les règles de l’OMC, avec de nouveaux sujets, comme les subventions publiques, les sociétés d’État, les transferts de technologie forcés, des thèmes largement débattus au sein de la trilatérale entre Bruxelles, Tokyo et Washington.
2/-Il faut revoir la manière de négocier à l’OMC. Dans la pratique, on substituerait à la négociation multilatérale un mode plurilatéral, de façon à faciliter les avancées et limiter les hostilités de départ. Ce système permettrait aussi de traiter différemment les pays développés et en développement.
3/-Il y a la question de l’Organe de règlement des différents (ORD), un instrument unique au monde, efficace, affirment les Européens, puisqu’il permet de s’assurer que les États membres se conforment à leurs engagements. Côté américain, la lecture est très différente. Les griefs y sont à la fois sur la procédure et la substance :
– Sur la procédure, voici quelques changements qui pourraient satisfaire l’Administration Trump : à l’heure actuelle, quand un juge de l’Organe d’appel arrive en fin de mandat, il peut aller au-delà pour clore un dossier si l’Organe l’y autorise. Bruxelles proposerait que la décision revienne aux État membres. Autre exemple, le respect des délais – 90 jours – régulièrement dépassés par les juges. Là aussi, l’autorisation est donnée par l’Organe d’appel et l’idée serait de transférer la décision aux États membres.
– Sur la substance, faut-il que les décisions de l’Organe d’appel fassent jurisprudence ou pas ? Autre critique de Washington : l’Organe d’appel va au-delà de la question qui lui est posée. Une dérive qu’on reconnaît à Bruxelles, mais qui n’est pas systématique. Les Européens seraient prêts à en discuter.
L’UE veut préserver un Organe d’appel avec des juges indépendants et, si elle prêtre à réformer l’ORD, elle s’inquiète de la possibilité que s’octroient certains États membres de bloquer le système. C’est le cas des États-Unis qui bloquent actuellement le renouvellement des juges. À la du mois de septembre, ils ne seront plus que trois, le minimum pour que l’organe fonctionne. Mais fin 2019, il n’en restera plus qu’un.
4/-La surveillance et le suivi des politiques commerciales doivent être renforcés, ce qui passe par l’instauration d’incitations à plus de transparence. De façon concrète, l’UE constate que les États membres s’abstiennent de déclarer à l’OMC toutes les subventions qu’ils versent. Elle estime, en conséquence, que des sanctions administratives pourraient être prises, le défaut de notification pouvant amener alors à réduire les droits des États fautifs. Par exemple, il pourrait leur être interdit de présider un comité ou leur capacité à interroger d’autres pays membres sur leurs dispositifs pourrait être freinée.
Hormis ces points centraux, une kyrielle d’autres propositions sont mises sur la table, comme renforcer le rôle du secrétariat général de l’OMC (les pouvoirs actuels du secrétaire général sont très limités) ou abandonner la règle de consensus (certaines nations n’hésiteraient pas à utiliser leur droit d’opposition pour bloquer des décisions acceptées par tous les autres partenaires).
L’Administration Trump serait plus ouverte que l’Administration Obama
Au-delà des idées émises par la Commission européenne, dans quelle mesure les principaux acteurs concernés, au premier chef les États-Unis et la Chine, sont-ils prêts à débattre ?
Avec les États-Unis et le Japon, l’UE affirme qu’elle travaille bien sur les négociations et l’élaboration des nouvelles règles (entreprises d’État, propriété intellectuelle…). Les première idées ont déjà été publiées fin mai à Paris, à l’occasion de la deuxième réunion ministérielle de la trilatérale.
L’Administration Trump serait même plus ouverte que l’Administration précédente. Les Européens affirment qu’ils avaient déjà proposé de réformer les règles de l’OMC pendant les négociations commerciales du cycle de Doha et que le sujets sensibles abordés dans la trilatérale n’intéressaient pas vraiment l’Administration Obama au moment des discussions autour du TTIP (Transatlantic Trade and Investment Parnership ou Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement/PTCI).
On observe à Bruxelles que si Washington cherche à bloquer l’ORD, des plaintes américaines sont quand même déposées à l’OMC, notamment contre la Chine. Pour autant, il n’est pas encore certain à ce stade que les États-Unis se contenteront d’une simple réforme. Leur objectif, en l’occurrence, pourrait être la fin de l’ORD et qu’on revienne en arrière, « un peu comme au bon vieux temps du Gatt où les États membres se réunissaient entre eux pour régler leurs différents au sein de clubs de gentlemen », livre un bon connaisseur du dossier.
Pour les Européens, la Chine jouerait le jeu
Concernant la Chine, l’UE n’est pas peu fière d’avoir amené ce vaste pays à accepter de discuter de son dispositif atypique alors même que les Européen lui ont refusé le statut d’économie de marché à l’OMC, malgré son insistance. L’ex-Empire du Milieu n’a en fait aucun intérêt à l’effondrement de l’OMC qui lui a permis de devenir le premier exportateur mondial de marchandises.
Du coup, vue de Bruxelles, Pékin joue le jeu, est même constructif, acceptant des discussions informelles sur les points de blocage, à l’instar des subventions publiques et des entreprises d’État responsables des surcapacités industrielles. Il y aurait même un véritable changement d’attitude, illustrée par la publication d’une déclaration commune lors du dernier Sommet conjoint, ce qui n’était pas arrivé depuis plusieurs années.
Auprès des États-Unis et de la Chine, en guerre commerciale ouverte et se livrant une surenchère dangereuse, l’Union européenne a décidé d’intervenir. « Il est grand temps d’agir pour permettre au système de relever les défis de l’économie mondiale d’aujourd’hui et de fonctionner de nouveau dans l’intérêt de tous », a déclaré la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, le 18 septembre. Pour mettre toutes les chances de son côté, la Commission européenne promet aussi d’associer aux discussions le Parlement et le Conseil européens.
François Pargny
Pour prolonger, lire au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : UE / Commerce : Bruxelles veut la paix avec Washington et une alliance face à Pékin