Après trois ans d’âpres tractations, les 28 ont finalement trouvé un accord, le 13 décembre, pour renforcer l’arsenal de défense commerciale de l’Union européenne (UE). Une victoire pour la présidence slovaque, qui s’était fixée comme échéance le mois de décembre 2016 pour aboutir à un compromis. Une victoire aussi pour la France et l’Allemagne, qui manœuvraient depuis plusieurs mois en coulisses pour rallier les États membres indécis, comme la Belgique ou l’Autriche, et atteindre ainsi le quota nécessaire pour faire adopter le paquet à la majorité qualifiée. « Cet accord marque une étape essentielle de la réforme du règlement antidumping qui doit permettre de mieux protéger les producteurs et les emplois européens contre les pratiques commerciales déloyales dans tous les secteurs », s’est félicité Matthias Fekl, le secrétaire d’État français au Commerce extérieur, dans un communiqué publié dès l’annonce de la décision.
Levée partielle de la règle du « droit moindre »
Comme le souhaitait Paris, les délais des enquêtes antidumping seront raccourcis.
Par ailleurs, faute d’être abolie, la règle dite du « droit moindre », actuellement en vigueur, sera partiellement levée. Celle-ci limite en effet le montant des taxes dans les cas avérés de dumping. Plutôt que d’être fixé à un taux plus élevé, qui permettrait de ramener le prix des importations à un niveau « juste et normal » – ce que l’on appelle la marge de dumping –, les droits sont aujourd’hui calculés en fonction du préjudice subi par les producteurs européens. Pour l’acier laminé à froid produit en Chine, par exemple, la marge de dumping était de 50 % mais le préjudice était estimé à 20 %, c’est donc ce « droit moindre » qui a été retenu alors que les États-Unis imposaient, eux, un taux de plus de 200 %.
Une fois que le paquet législatif entrera en vigueur, la règle du « droit moindre » sera abandonnée mais seulement dans les cas où les prix des matières premières, utilisées par les exportateurs, sont maintenus à un niveau artificiellement bas par les pouvoirs publics de leurs pays. Et pour que ces taxes puissent être augmentées, « les matières premières, incluant l’énergie, doivent représenter plus de 27 % du coût total de production et compter pour 7 % individuellement », précise un communiqué du Conseil de l’UE.
Autre avancée majeure pour les producteurs européens : les enquêtes antidumping et anti-subventions ne devront plus être lancées à l’initiative des seules entreprises européennes concernées. Malgré certains cas avérés de dumping, certaines hésitaient en effet à porter plainte auprès des autorités de la concurrence de peur de subir des mesures de rétorsion du pays tiers concerné, crainte qui visait essentiellement la Chine.
La Chine figure en tête de liste des pays susceptibles d’être visés
« C’est une avancée majeure », s’est félicité Peter Ziga, le ministre slovaque qui a orchestré les négociations sur le dossier au cours de ces six derniers mois. « L’Europe ne peut plus être naïve et doit pouvoir défendre ses intérêts, en particulier en cas de dumping », a-t-il ajouté.
La Chine figure bien sûr en tête de liste des pays susceptibles d’être visés par ces mesures. Alors que Pékin a porté plainte, le 12 décembre devant l’OMC, contre les États-Unis et l’UE qui lui refusent le statut d’économie de marché, la Commission mise sur l’adoption de cette réforme des instruments de défense commerciale (IDC) pour mieux protéger les secteurs industriels les plus fragiles sans provoquer l’ire des Chinois. Objectif ? Traiter tous les pays de la même façon dans les affaires de concurrence déloyale, qu’ils bénéficient, ou non, du statut d’économie de marché.
Reste à savoir si le compromis proposé par Bruxelles satisfera Pékin. « Rien n’est gagné », indique un fonctionnaire de la DG Commerce à Bruxelles. « Mais cette réforme était nécessaire. Nos instruments sont les mêmes depuis 15 ans alors que le monde n’a cessé d’évoluer ».
Le paquet doit encore obtenir l’aval des eurodéputés
Depuis 1995, l’arsenal de défense commercial de l’UE n’a en effet pas connu de révision majeure. Proposée en 2013 par la Commission européenne, la réforme des IDC était depuis bloquée au Conseil, les Etats membres de tradition libérale, comme le Royaume-Uni, les Pays-Bas ou la Suède, ne souhaitant pas adopter de mesures jugées ‘protectionnistes’. Mais la crise du secteur de l’acier au sein de l’UE, les discussions sur l’octroi du statut d’économie de marché à la Chine à l’OMC, ont largement contribué à modifier le rapport de force au sein du Conseil.
Avant d’entrer en vigueur, le paquet doit encore obtenir l’aval des eurodéputés. Les pourparlers entre le Conseil et le Parlement européen (PE) vont commencer « bientôt », selon un porte-parole, « sous la présidence maltaise de l’UE, pour parvenir à un accord ». Mais 24 heures après sa publication, le compromis fait déjà l’objet de nombreuses critiques.
L’Italie, par exemple, est opposée au texte le jugeant trop modéré. De même, le groupe socialiste au Parlement européen (PE) va jusqu’à qualifier l’accord d’ « inacceptable ». « Ce n’est pas le cadeau de Noël anticipé que les métallurgistes et autres producteurs européens espéraient ; la proposition paraît sévèrement affaiblie par rapport à sa version initiale », a jugé David Martin, eurodéputé britanniques, membre de la Commission du commerce international (INTA) au PE. Les représentants d’Eurofer, le lobby européen de l’acier, ont eux aussi fait part de leur déception : « La nouvelle disposition (…) n’est ni efficace, ni robuste, ni équilibrée, ni suffisante pour faire face aux situations dans lesquelles les conditions du marché ne prévalent pas ».
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
Lire dans de précédentes éditions de la Lettre confidentielle du Moci :
– UE / Libre-échange : les pistes de la DG Commerce pour redéfinir la politique commerciale de l’UE
– États-Unis / Protectionnisme : vers un « hard Trump » ou un « soft Trump » ?
– Politique commerciale / UE : les eurodéputés les plus influents selon Vote Watch
– UE / Défense commerciale : la question de l’anti-dumping continue à diviser les Européens