Le départ de l’État membre réputé champion du libre-échange du bloc européen aura sans conteste des conséquences sur l’agenda commercial de l’Union européenne (UE). « Pour les anciens alliés du Royaume-Uni sur les dossiers économiques et commerciaux, cela signifie une perte d’influence considérable, face à des États plus dirigistes comme la France ou l’Italie », confiait au Moci un diplomate suédois, lors du sommet européen organisé à Bruxelles les 28 et 29 juin. Pour Daniel Caspary, eurodéputé allemand issu de la famille politique de la chancelière, la décision du peuple britannique va en effet obliger les 27 à repenser leurs priorités et à accélérer l’agenda ‘Commerce’. Car le départ de ce grand pays est susceptible « de faire perdre du poids à l’ensemble du bloc sur la scène économique mondiale où la Chine et d’autres pays asiatiques gagnent sans cesse du terrain », estime celui qui est aussi le porte-parole du groupe PPE au sein de la Commission ‘Commerce international’ (INTA) du Parlement européen (PE).
Face à ces inquiétudes, les proches de Cecilia Malmström assurent que la Commission européenne à Bruxelles redoublera d’efforts pour maintenir la cadence dans les négociations de libre-échange en cours avec Washington pour le Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement (PTCI, en anglais TTIP / Transatlantic Trade and Investment Partnership), celles à peine relancées avec le Mercosur, ou encore dans les pourparlers tout juste engagés avec le Mexique pour moderniser les clauses de leur ancien pacte de libre-échange. La ratification et la mise en œuvre du pacte commercial avec le Canada (CETA / Comprehensive Economic and Trade Agreement) figure également en tête des priorités de l’exécutif européen.
Fin du blocage de la révision de l’arsenal de défense commerciale ?
Et dans certains dossiers, le départ des Britanniques pourrait même favoriser l’obtention d’un consensus au sein des 27.
Le texte proposé en 2013 par la Commission européenne pour réviser l’arsenal de défense commercial est ainsi toujours bloqué au Conseil. Principal pierre d’achoppement ? La volonté de l’exécutif et d’un groupe d’États membres, menés par la France, de modifier la règle dite du « droit moindre », c’est-à-dire celle qui prévoit l’application du taux minimal strictement nécessaire pour rétablir des conditions de concurrence équitables pour les entreprises concernées de l’UE. A cause de ce principe, le niveau des droits antidumping appliqué notamment aux produits chinois, comme l’acier, est bien plus bas au sein de l’UE qu’aux États-Unis, par exemple.
Le Royaume-Uni, principal pays responsable du blocage du texte au Conseil, faisait valoir jusqu’à présent que la révision de cette clause nuirait à d’autres maillons de la chaîne de valeur et aurait donc un impact sur le prix final payé par les consommateurs. « En l’absence des Britanniques, cette minorité de blocage pourrait disparaître », estime un proche du dossier.
Les États-Unis veulent évaluer l’impact du « Brexit » sur les négociations en cours
Mais cet exemple ne doit pas occulter les autres difficultés qu’un ‘Brexit’ pourrait générer. Les négociations en cours avec Washington pour la conclusion du TTIP sont déjà fragilisées par la fronde de l’opinion publique en Europe, en particulier en Allemagne, ou l’opposition croissante du gouvernement français. L’issue du référendum britannique risque désormais de renforcer le scepticisme sur ce traité, déjà accusé d’être négocié dans le plus grand secret et de promouvoir une dérèglementation généralisée. Malgré ce contexte décrit à Bruxelles comme « peu favorable à la conclusion d’un pacte ambitieux et équilibré », les États-Unis ont néanmoins réaffirmé, le 27 juin, leur souhait d’aboutir à un accord d’ici à la fin de l’année.
Tout en reconnaissant que « la raison d’être économique et stratégique du TTIP » restait « forte », Michael Froman, le représentant spécial au Commerce américain, a néanmoins reconnu la nécessité « d’évaluer » l’impact de la sortie du Royaume-Uni de l’UE sur ces négociations commerciales lancées en 2013.
Allié historique des États-Unis, le pays représente en effet une « force motrice partageant le même langage et les mêmes codes que nous », reconnaît un proche de ces négociations à l’ambassade américaine à Bruxelles. Mais son rôle n’a pas pour autant été central au cours de ces pourparlers, pas plus que celui des autres États membres. Ces derniers se sont contentés de fixer les grandes orientations, ainsi que certaines lignes rouges, laissant à la Commission européenne le mandat pour négocier avec les équipes américaines.
Outre le Royaume-Uni, d’autres pays du bloc, comme la Suède ou l’Italie, sont d’ailleurs eux aussi des défenseurs historiques d’un accord de libre-échange transatlantique. « Les critiques les plus virulentes sont surtout apparues en Allemagne ou en Autriche, le ‘Brexit’ n’y changera rien », temporise Tim Benett, directeur général au sein du Transatlantic Business Council, interrogé par le site politico.eu.
Mercosur : des risques de retard pour des négociations à peine entamées
Plus au sud du continent américain, au sein du bloc Mercosur, l’inquiétude était davantage palpable au lendemain de l’annonce des résultats du référendum britannique. La procédure de divorce entre Londres et Bruxelles, du moment où elle sera engagée, pourrait durer au moins deux ans et « entraîner de nouveaux retards dans les négociations tout juste relancées avec le Mercosur », s’est inquiété Carlos Carvallo, membre du directoire de la Banque centrale du Paraguay.
Au Brésil, plusieurs responsables au sein du ministère de l’Industrie et du commerce extérieur ont souligné que leur pays perdait un allié de poids en Europe, l’un des principaux promoteurs d’un accord de libre-échange avec le Mercosur. « Nous allons poursuivre les pourparlers avec les autres acteurs qui soutiennent eux aussi le futur pacte commercial », a déclaré Daniel Godinho, le secrétaire d’État en charge du Commerce extérieur.
Le 1er juillet, les négociateurs européens doivent retrouver leurs homologues du Mercosur pour fixer les prochaines étapes de la relance du processus de discussions. Et même si le marché européen se réduira, à terme, à 450 millions de consommateurs, même si le bloc perd sa deuxième économie, « nous sommes bien décidés à respecter les priorités de notre agenda commercial », insiste-t-on à la Commission à Bruxelles.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
Pour prolonger :
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