A la demande du président français, le commerce figurait au menu du dernier Sommet européen qui s’est tenu à Bruxelles les 19 et 20 octobre, mais si sa pugnacité à payé sur la question des travailleurs détachés*, il a encore du pain sur la planche pour faire avancer sa vision dans le domaine commercial. Alors que la Commission s’est engagée à accélérer son agenda de libre-échange, Emmanuel Macron s’est en effet mis en quête d’alliés au sein du bloc pour faire avancer ses idées sur une politique commerciale plus protectrice. « J’ai souhaité clarifier la position française, rappeler à cet égard (…) la nécessité d’une politique équilibrée entre ouverture et protection pour recréer la confiance dans les échanges commerciaux », s’est-il justifié, lors de la conférence de presse organisée à l’issue du sommet.
Inquiet de voir la Commission « se précipiter » dans la négociation de certains accords de libre-échange, au mépris d’une opposition populaire grandissante, le chef de l’État français a donc à nouveau plaidé pour la définition d’une politique plus cohérente, axée sur la défense des marchés européens et de ses citoyens. « Plutôt que d’ajouter, chaque fois, une nouvelle pièce au puzzle de la politique commerciale de l’UE, il préconise une approche globale, mieux articulée », a détaillé, pour le Moci, un diplomate français.
Malgré les déboires du CETA, Bruxelles donne le sentiment de continuer sa course folle
Car malgré les déboires autour du CETA – l’accord de libre-échange UE / Canada, entré en vigueur de façon provisoire le 21 septembre – Bruxelles donne le sentiment de continuer sa course folle espérant signer des accords à tour de bras. « La situation est plus compliquée », tempère un expert commercial à la Commission européenne. « Notre objectif est de trouver une voie médiane qui puisse obtenir l’adhésion des États les plus libéraux et de ceux qui plaident, comme Macron, pour plus de protections », explique-t-il.
Un exercice d’équilibristes auquel s’est d’ailleurs livré Jean-Claude Juncker lors de son discours sur l’état de l’Union en septembre à Strasbourg. Pour contenter la France et ses alliés du sud de l’Europe, le président de la Commission a détaillé les mesures visant à renforcer l’arsenal de défense commercial de l’UE et ses propositions relatives à la protection des secteurs stratégiques face aux investissements étrangers. Afin de lever les craintes des États favorables à une plus grande ouverture, comme les pays scandinaves ou les Pays-Bas, il s’est également engagé à accélérer les négociations en cours avec le Mexique ou le Mercosur, et à lancer de nouveaux pourparlers avec l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou le Chili.
Huit pays opposés à la révision du mandat de négociation avec le Mercosur
Mais outre le CETA – auquel Emmanuel Macron voudrait apporter certaines améliorations, suggérées par les membres du comité d’experts dans un rapport publié le 8 septembre* -, c’est désormais l’accord en cours de négociation avec les pays du Mercosur (Argentine, Brésil, Uruguay, Paraguay) qui cristallise les inquiétudes de la France.
Coalisé avec dix autres pays européens, le chef de l’État espérait obtenir une révision du mandat octroyé en 1999 à la Commission, ou, faute de mieux, le ralentissement des pourparlers. Mais il s’est heurté de front à l’opposition de huit autres pays, à commencer par l’Allemagne ou encore la Suède, qui voient dans cet accord « une opportunité » que « l’Union européenne ne doit pas manquer ».
« Nous continuerons à tout faire pour terminer nos négociations avec le Mercosur avant la fin de l’année. C’est important », a également plaidé Jean-Claude Juncker lors du sommet. Rappelant qu’il veillerait au respect d’une « bonne réciprocité », il a souligné l’importance du Mercosur pour l’UE : « Ce sera l’accord commercial le plus important en termes de volume. Un bon accord avec les pays du Mercosur, c’est huit fois plus que l’accord que nous avons avec le Canada et quatre fois plus que l’accord que nous avons avec le Japon ».
Généralement du même bord que la France, en particulier en matière de commerce, les Espagnols ont également défendu les négociations en cours avec le bloc sud-américain. « Pour l’Espagne, l’accord avec le Mercosur est prioritaire, ainsi que la modernisation de l’accord avec le Mexique », a insisté son Premier ministre, Mariano Rajoy.
Les craintes de la filière bovine
Après le CETA qui ouvre partiellement le marché européen au bœuf canadien, la filière bovine craint désormais la concurrence de la viande argentine ou brésilienne et plaide pour l’exclusion du secteur du futur pacte commercial. « C’est l’une des priorités du bloc Mercosur », rappelle un négociateur européen, « pour obtenir un bon accord, nous devrons nous aussi montrer des signes de bonne volonté », souligne-t-il.
Malgré l’opposition de la France et de ses alliés, la Commission semble prête à faire des concessions sur le bœuf et l’éthanol dans l’espoir d’élargir les débouchés pour son secteur automobile. Preuve que les appels d’Emmanuel Macron pour ralentir le rythme des négociations – une pause jugée « salutaire » le temps de débattre de la stratégie commerciale de l’UE – n’ont pas été entendus. Lâchée par l’Allemagne sur ce dossier, la France reste à ce stade trop isolée pour faire entendre sa voix.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Lire au sommaire de la Lettre confidentielle d’aujourd’hui : UE / Travailleurs détachés : victoire réelle ou en demi-teinte pour la France ?
Pour prolonger :
– CETA / AECG : le plan du gouvernement pour «une application exemplaire» de l’ALE
–France / États-Unis : B. Le Maire à Washington pour évoquer désaccords et convergences sur le commerce
–UE / Commerce : Juncker confirme les ambitions commerciales mais reste muet sur l’antidumping
–UE / Concurrence : les négociateurs européens scellent un accord sur la nouvelle méthodologie antidumping