Alors que la foire de Canton bat son plein, attirant des milliers d’acheteurs du monde entier, les signaux inquiétants s’accumulent sur les relations économiques entre l’Union européennes et la Chine, instaurant une ambiance d’avant-guerre commerciale. Malgré l’insistance des dirigeants européens qui se succèdent à Pékin pour plaider un rééquilibrage des échanges commerciaux et une réduction des surcapacités chinoises, Pékin fait la sourde oreille, et Bruxelles multiplie les enquêtes anti-dumping et anti-subventions sur les produits chinois.
Le contexte est connu. C’est le déficit commercial abyssal entre l’UE et la Chine, qui a doublé pour atteindre le niveau record de -397 milliards d’euros (Md EUR) en 2022, avant de se réduire de 27 % en 2023 pour atteindre -291 Md EUR, sans doute aidé par la baisse de la consommation de part et d’autre consécutive à la flambée des prix. Les exportations européennes vers la Chine ont ainsi reculé de seulement 3 % (223 Md EUR), alors que ses importations de produits chinois ont chuté de 18 % (514 milliards d’euros). Ce déficit reste néanmoins très supérieur à son niveau d’avant-Covid, soit -180 Md EUR en 2019.
D’où le réveil brutal des Européens qui, outre de mettre en place des soutiens à leur industrie verte pour s’aligner sur les États-Unis et leur Inflation Reduction Act (IRA), multiplient, depuis deux ans, les mesures visant à endiguer les flots de marchandises produites par une industrie chinoise en surcapacité face à une consommation intérieure atone : enquêtes anti-subventions sur les véhicules électrique et les batteries au lithium, sur les panneaux solaires… Dernièrement, la Commission a mis à jour son rapport de 2017 sur les distorsions induites par l’intervention de l’État dans l’économie chinoise, véritable guide pour les industriels européens confrontés à ce genre de concurrence déloyale.
A Bruxelles, l’heure est au « de-risking », soit une réduction de la dépendance à la Chine, désormais considérée par la Commission à la fois comme un partenaire et un rival systémique. Si les Européens ont toutefois montré jusqu’à présent une volonté de maintenir le dialogue avec les autorités de Pékin et une économie relativement ouverte, quoique sous contrôle renforcé, les signaux inquiétants récents ne manquent pas. Ce sont d’abord des déclarations lâchées ces derniers jours tout autant côté européen que côté chinois, par des dirigeants influents.
L’Europe « ne doit pas être prise en étau entre le protectionnisme américain et les surcapacités chinoises »
« L’Europe a besoin d’une stratégie économique pour le XXI-ème siècle », plus précisément « elle ne doit pas être prise en étau entre le protectionnisme américain et les surcapacités chinoises ». C’est avec cette conviction qui reflète bien la ligne du gouvernement français sur la scène commerciale mondiale que Bruno Le Maire s’est ainsi envolé le 15 avril pour Washington pour assister aux réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale, non sans l’avoir partagé au préalable avec la presse économique française.
Le ministre, qui avait également l’intention de promouvoir à Washington avec son homologue du Brésil Fernando Haddad, une initiative pour réformer la fiscalité internationale des plus riches, n’a pas manqué d’être interrogé sur ce qu’il pensait de la visite de trois jours du Chancelier allemand Olaf Scholz en Chine, entamée le 14 avril, avec l’objectif de renforcer les relations économiques bilatérales. C’est que l’Allemagne, bien qu’en perte de vitesse dans l’automobile, reste le premier partenaire commercial de la Chine (250 Md EUR déchanges) dans l’UE.
Bruno Le Maire, qui devait rencontrer son homologue chinois à Washington, n’a pas voulu commenter officiellement. Mais la position du gouvernement français a été rappelée : « Nous devons garder une relation commerciale forte avec la Chine, mais fondée sur un principe d’équité » souligne-t-on à Bercy. Autrement dit, la France plaide pour « un rééquilibrage des échanges commerciaux fondé sur un principe de réciprocité ». D’où la décision, par exemple, de réserver les bonus à l’achat de véhicules électriques aux voitures Made in Europe.
Stéphane Séjourné, son homologue aux Affaires étrangères, a porté le même message lors de son déplacement à Pékin fin mars-début avril. « L’Union Européenne est un marché très ouvert, le plus ouvert au monde et les déficits actuels avec un certain nombre de pays dont la Chine ne sont pas soutenables pour nous et nos échanges doivent reposer sur des bases saines et durables, c’est-à-dire la réciprocité et des règles partagées et appliquées par tous » avait-il déclaré lors d’une conférence de presse commune avec son homologue le 1er avril à Pékin.
La Chine fait la sourde oreille
Mais face aux demandes répétées des Européens, les dirigeants chinois font la sourde oreille. Déjà, lors du dernier Sommet UE-Chine de décembre 2023, les autorités chinoises avaient rejeté leurs demandes de rééquilibrage. Cette fois-ci, Olaf Scholz lui-même l’a appris à ses dépens lors de sa visite à Pékin.
Appelant Pékin a réduire les surcapacités industrielles du pays et à cesser de privilégier les entreprises nationales, le Chancelier allemand se serait vu répondre par le président chinois Xi Jinping : « les exportations chinoises de véhicules électriques, de batteries au lithium et de produits solaires ont enrichi l’approvisionnement du marché mondial et atténué les pressions inflationnistes, tout en apportant une grande contribution aux efforts mondiaux de lutte contre le changement climatique et de transition verte », selon la télévision d’État chinoise citée par Bloomberg. De même source, le président chinois aurait également déclaré que la Chine et l’Allemagne devraient examiner ces questions « objectivement » et aurait mis en garde son homologue allemand contre le protectionnisme.
Face à cette fin de non-recevoir, l’UE risque de ne plus avoir d’autre choix que de muscler encore sa riposte commerciale, dans le sillon des États-Unis. Avec la mise en place d’un arsenal de droits de douane supplémentaires et de restrictions diverses couplées à des subventions massives à la production locale de certains biens (voitures électriques, composants, solaire), les États-Unis ont, de fait, réussi à réduire la part de la Chine dans leurs importations de 22 à 14 % entre 2018 et 2023. La tentation est donc grande pour les Européens et le risque de « guerre commerciale » UE-Chine s’amplifie lentement.
Des milieux d’affaires inquiets
Ce climat qui se détériore entre les deux blocs n’est pas pour rassurer les milieux d’affaires européens actifs en Chine qui, certes, souhaitent davantage d’ouverture du marché chinois aux entreprises étrangères mais estiment souvent irréaliste d’envisager que l’Europe puisse se passer complètement de son efficace industrie*.
Selon Reuters, le 17 avril, Jens Eskelund, président de la Chambre de commerce européenne en Chine, un lobby européen d’entreprises qui épingle pourtant régulièrement le manque d’ouverture du marché chinois, a alerté contre le risque d’une escalade vers une guerre commerciale ouverte. « Un accident de train ne s’est pas encore produit, mais nous pouvons voir que cela se produira si nous continuons dans la même direction qu’aujourd’hui », a-t-il déclaré à Guangzhou le 17 avril, lors d’une réunion de la section régionale de la chambre. « Nous avons besoin que nos dirigeants s’assoient et explorent les moyens d’éviter que cela ne devienne une véritable guerre commerciale. Et je pense que ça devient un peu urgent » a-t-il ajouté.
A suivre…
C.G
*Relire à cet égard notre entretien avec Camille Verchery, fondateur et dirigeant de VVR International.