L’opposition wallonne, le retard du vol de Justin Trudeau, dû à des problèmes techniques, ou les centaines de manifestants massés devant les portes du Conseil européen, n’auront pas terni les festivités de ce dimanche 30 octobre à Bruxelles. Après sept années de pourparlers l’Union européenne (UE) et le Canada ont donc finalement ratifié le CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement), en français Accord économique et commercial global (AECG), le traité de libre-échange « le meilleur jamais négocié par la Commission européenne », s’est félicité son président Jean-Claude Juncker à l’issue de la très solennelle cérémonie de signature. Si l’heure était à l’enthousiasme, le veto wallon et les deux semaines de négociations marathon – qui ont abouti à un report du sommet UE / Canada initialement prévu le 27 octobre – n’ont pas levé les craintes sur la suite de la procédure de ratification jugée à « haut risque » par de nombreux responsables européens. Car le chemin reste semé d’embûches et de nouvelles surprises ne sont pas à exclure. Un point s’impose.
Prévue en janvier prochain, l’issue du vote au Parlement européen (PE) est à priori sans suspense. Les principales familles politiques au sein de l’hémicycle – le Parti Populaire européen (PPE) les Socialistes et Démocrates (S&D), les Libéraux (ALDE) ou les conservateurs – donneront leur feu vert à l’accord, garantissant une confortable majorité en faveur de son adoption.
Après cette double ratification du Conseil et du PE, l’UE aura rempli sa part du contrat. Le CETA pourra dès lors entrer en vigueur de façon provisoire. « 98 % des éléments de l’accord seront concernés », a précisé le Premier ministre canadien, lors d’une conférence de presse commune – très médiatisée – avec le président du Conseil de l’UE Donald Tusk et Jean-Claude Juncker, à Bruxelles le 30 octobre.
Mais seuls les aspects liés au commerce, soit la grande majeure partie du traité, pourront être appliqués durant cette première phase. Les chapitres sur l’investissement et la création d’un nouveau système de règlement des litiges entre investisseurs et Etats, ne seront quant à eux mis en œuvre que dans une seconde étape, après la ratification par les parlements de tous les Etats membres. Et c’est bien cette deuxième phase de la procédure qui pourrait faire dérailler le traité commercial.
Obtenir le blanc-seing des 38 parlements nationaux et régionaux de l’UE
Si le CETA était initialement un traité de compétence exclusive de l’UE, il a été redéfini, en juillet dernier, comme un accord mixte, nécessitant donc également le feu vert des élus des 28 pays de l’UE. La Commission y était opposée mais Jean-Claude Juncker avait fini par céder sous la pression de l’Allemagne et de la France, deux Etats confrontés à l’hostilité croissante de leur opinion publique à la veille d’élections présidentielles et législatives importantes.
Résultat ? Le CETA devra obtenir le blanc-seing de l’ensemble des 38 parlements nationaux et régionaux de l’UE pour entrer en vigueur de façon définitive.
Cette procédure pourrait durer deux années, pronostique-t-on à la Commission européenne. Une période pendant laquelle les détracteurs du traité mettront tout en œuvre pour freiner le processus en s’appuyant notamment sur certains parlementaires que l’ardeur des wallons n’aura pas manqué d’inspirer. « L’accord ne survivra probablement pas au contrôle démocratique et juridique dans la suite du processus de ratification. Il est encore temps, pour les gouvernements, de se désolidariser des lobbys des grandes entreprises pour redéfinir une politique commerciale plus démocratique et susceptible de promouvoir l’intérêt public », avertit Shira Stanton, experte juridique au sein de Greenpeace.
Vers « une bataille de communication »
L’épée de Damoclès qui pèse encore sur l’avenir du CETA ne manque pas d’inquiéter les milieux d’affaires européens. « C’est une bataille de communication qui s’engage désormais », analyse un haut responsable de Business Europe, l’association patronale très impliquée depuis le début des négociations UE / Canada lancées en 2009.
Au sein d’Eurochambres, organisation regroupant la majeure partie des chambres de commerce et d’industrie européennes, les responsables pressent la Commission d’améliorer leur mission d’information auprès des entreprises, en particulier des PME. « Nous entendons trop souvent des entrepreneurs se plaindre du manque de renseignements dont ils disposent quant à l’impact des accords commerciaux sur leurs activités. Et le CETA ne fait pas exception à la règle », déplore Arnaldo Abruzzini, président d’Eurochambres.
Un appel entendu par les hauts responsables européens, bien décidés à remporter cette nouvelle « bataille ». « L’enjeu n’est ni plus ni moins la crédibilité de l’UE sur la scène internationale et l’avenir même de notre politique commerciale commune », résume un expert au sein du Conseil de l’UE. « La bataille autour du CETA a démontré que les chiffres, les faits ne suffisent pas, les émotions sont elles aussi importantes », commentait de son côté Donald Tusk, peu après la signature du CETA. « Nous devons donc montrer aux citoyens que ces accords sont aussi dans leurs intérêts pas seulement dans ceux des entreprises », ajoutait l’ancien premier ministre polonais.
Lors de leur conférence de presse commune, Justin Trudeau, Donald Tusk et Jean-Claude Juncker ont rappelé les vertus de ce traité de libre échange de nouvelle génération, vantant tour à tour les mérites d’une croissance inclusive. « Il fera progresser le bien être économique et social de 543 millions de citoyens », a insisté le Premier ministre canadien. « Pour les exportateurs européens, la levée des barrières tarifaires et non tarifaires devraient permettre 500 millions d’euros d’économie par an », a embrayé le président de l’exécutif à Bruxelles.
Selon la Commission européenne, le CETA a le potentiel de faire croitre de 20 % les échanges bilatéraux en connectant le marché unique et ses 500 millions de citoyens avec un membre du G7, 10e plus grande économie au monde. L’accord devrait rapporter 12 milliards d’euros par an à l’UE et 8,5 milliards au Canada.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles