Comme de nombreux observateurs le pressentaient, la saison II du Brexit s’annonce agitée. Le Royaume-Uni a ainsi de nouveau affiché sa fermeté : il ne s’alignera pas sur les règles européennes après le Brexit, comme le souhaite Bruxelles. « Nous ne bluffons pas », a insisté David Frost, le négociateur en chef britannique, dans un discours prononcé lundi 17 février à l’Université Libre de Bruxelles (ULB).
Invité pour détailler la façon dont son pays entend bâtir sa future relation avec l’Union européenne (UE), le conseiller Europe du Premier ministre britannique s’est montré très clair : « ce n’est pas une position de négociation susceptible d’être modifiée sous la pression », mais un principe fondamental pour garantir l’indépendance du Royaume-Uni.
Ni alignement, ni de prolongation
« La capacité d’établir les lois qui nous conviennent est au cœur même de notre vision », s’est-il encore défendu. Londres mise donc sur un accord de libre-échange, offrant un accès large au marché européen, mais sans se soumettre aux règles européennes, à l’instar des autres pays tiers qui, comme le Canada ou le Japon, ont conclu des traités commerciaux avec l’UE.
Et sur le terrain réglementaire, Londres n’a pas à recevoir de leçon de Bruxelles, a sous-entendu le diplomate, évoquant l’existence, « dans certains cas », de standards britanniques plus élevés que ceux en vigueur dans le vieux continent. Or son gouvernement ne demande pas aux Européens de s’aligner sur ses normes, a ensuite argumenté David Frost. « Une telle approche compromettrait l’ordre juridique souverain de l’UE ».
Enfin, pas question non plus de demander une prolongation de la période de transition, c’est à dire au delà du 31 décembre 2020. « A cette date nous retrouverons pleinement notre indépendance politique et économique, pourquoi voudrions-nous la reporter ? », a-t-il lancé face à son auditoire.
Deux visions divergentes de la relation future
C’est quoiqu’il en soit une nouvelle preuve – s’il en fallait – d’un bras de fer qui s’annonce musclé entre Londres et Bruxelles lors de la phase II des négociations qui débutera formellement le mois prochain.
Car si chaque camp plaide pour préserver des relations fortes avec son partenaire d’hier, deux visions très divergentes s’affrontent déjà par médias interposés. Alors que la priorité des Européens est d’instaurer une concurrence « loyale et non faussée », condition sine qua non à la conclusion d’un accord « très ambitieux », Boris Johnson rejette tout alignement réglementaire, « comme prix du libre-échange ».
Contacté par le Moci, David Collins, Professeur de droit économique international à la City University of London, juge lui aussi la demande européenne « déraisonnable ». « Le Royaume-Uni a raison de contester cette exigence car l’UE n’a pas demandé cela au Canada ou au Japon dans ses récents accords de libre-échange. Rien n’indique que le Royaume-Uni ait l’intention de mettre en place un environnement réglementaire peu contraignant », estime ce fin connaisseur du dossier, auteur d’un livre intitulé « Négocier le Brexit : les bases légales pour l’UE et le commerce global ».
BoJo et sa stratégie à la Trump
Mais rien ne semble indiquer, non plus, une volonté d’apaisement côté britannique.
Renforcé par sa victoire aux élections législatives de décembre, Boris Johnson, surnommé « BoJo », joue des muscles et multiplie les manœuvres d’intimidation en prévision des pourparlers à venir. Sa stratégie ? « On menace d’abord, puis on discute. Exactement comme le fait Donald Trump avant d’entamer des négociations commerciales », analyse un négociateur européen.
A l’instar de son homologue américain, le Premier ministre britannique a lui aussi brandi la menace de super-taxes pour faire plier les Européens. Même les produits visés sont identiques. Elles pourraient monter à 10 % pour des voitures allemandes et jusqu’à 30 % sur certains fromages français, a relaté le Times.
Et pour bien montrer qu’il compte définitivement s’affranchir de l’UE, il a aussi dressé une liste de pays avec lesquels les négociations commerciales seraient prioritaires, à savoir le Japon, les États-Unis, l’Australie et la Nouvelle-Zélande.
« Le PIB combiné de la famille du Commonwealth éclipsera bientôt l’UE », écrivent 16 députés conservateurs dans une lettre adressée à leur Premier ministre. Plutôt que d’encourager des liens étroits avec le vieux continent, ils pressent leur gouvernement de conclure rapidement un accord englobant tous les pays du Commonwealth.
Fermeté affichée côté européen
Jugée « brutale et musclée », la tactique de Boris Johnson – loin d’intimider – semble plutôt renforcer la détermination des Européens à se montrer fermes et unis au cours de la seconde phase de ces négociations. « Johnson n’est pas, comme Trump, le leader d’une superpuissance mondiale », ironise un collaborateur de Michel Barnier.
Dans un entretien accordé au JDD, le négociateur en chef européen remet d’ailleurs les pendules à l’heure en rappelant que 9 % du commerce de l’UE se fait avec le Royaume-Uni alors que 47 % des exportations britanniques sont destinées au vieux continent.
Les Européens disposent aussi d’autres leviers utiles, notamment dans le secteur financier. « Il ne doit pas y avoir d’illusion sur cette question : il n’y aura pas d’équivalence générale, globale ou permanente, sur les services financiers », a également souligné Michel Barnier, douchant les espoirs de Londres d’arracher un accès privilégié, pour ses banques, au marché européen.
Deal or no-deal?
« Il sera intéressant de voir dans quelle mesure les deux acteurs peuvent se rapprocher pour se mettre d’accord lorsque les objectifs de négociation deviendront plus clairs dans les mois à venir », estime encore le Professeur Collins.
C’est bien là toute la question. Quels seront les points de convergence entre Londres et Bruxelles ? Seront-ils suffisants pour boucler un accord inédit dans un temps record ?
Bien décidés à entamer ces pourparlers en position de force – réelle ou affichée – aucun des deux camps ne paraît disposé, à ce stade, à faire la moindre concession. Un premier bilan devra être dressé fin juin. Il permettra peut-être d’établir des pronostics plus précis quant aux chances d’aboutir à un accord dans les temps. D’ici là, le spectre d’un no-deal est loin d’être écarté.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles