L’Afrique occupe une place de choix dans l’agenda d’Ursula Von Der Leyen, la nouvelle présidente de la Commission européenne. Car si l’Union européenne (UE) reste le premier partenaire commercial du continent (36 % des échanges) et sa première source d’investissement (283 milliards d’euros), les deux blocs sont aujourd’hui à un tournant crucial de leurs relations.
En proposant de modifier la nature du partenariat UE / Afrique, la cheffe de l’exécutif européen s’inscrit dans un contexte de renouveau déjà entamé par son prédécesseur. En 2017, Jean-Claude Juncker avait ainsi lancé son plan d’investissement extérieur, visant à attirer plus de 44 milliards d’euros d’investissements publics et privés sur le continent africain et créer 10 millions d’emplois.
Changement d’approche à Bruxelles
En plaçant son mandat sous le signe de la « géopolitique », Ursula Von Der Leyen veut permettre à l’Europe de maintenir son rang sur la scène internationale. Dans ce contexte, l’Afrique est à nouveau une cible prioritaire.
Et tous les États membres sont désormais convaincus « qu’il y a une communauté de destin avec l’Afrique, ne serait-ce que sur l’aspect migratoire », relève un diplomate à Bruxelles. Mais pas seulement : le continent devrait connaître dans les prochaines décennies une forte croissance démographique et économique, « le nombre de pays constitue une masse qu’il vaut mieux avoir avec soi », ajoute cette même source.
« La question migratoire a bien sûr été – à tort ou à raison – un puissant levier pour attirer plus d’attention sur l’Afrique », explique Stefano Manservisi, ex-Directeur général en charge du développement à la Commission. Une approche aujourd’hui dépassée. Bruxelles préfère désormais se concentrer sur les opportunités offertes par le continent en matière de commerce et d’investissement.
Cap sur l’Afrique pour le premier voyage officiel
Et pour convaincre les partenaires africains de la réalité de ce changement d’orientation, Ursula Von Der Leyen a mis le cap sur l’Afrique pour son premier voyage officiel en dehors des frontières de l’UE, début décembre 2019.
A ses côtés, la Commissaire finlandaise, Jutta Urpilainen, en charge des partenariats internationaux (on ne parle plus de « coopération au développement »), dont la mission principale visera à définir les contours d’une nouvelle stratégie globale avec l’Afrique.
« Cela fait maintenant moins d’une semaine que la Commission européenne a pris ses fonctions et je suis ici au cœur du continent africain », déclarait l’ex-ministre allemande, peu après son arrivée le 7 décembre à Addis Abeba, en Éthiopie, siège de l’Union africaine (UA). « J’espère que ma présence à l’Union africaine (UA) pourra envoyer un message politique fort. Parce que le continent africain et l’Union africaine comptent pour l’Union européenne et la Commission européenne. »
Une stratégie axée sur la création de partenariats avec l’Afrique
Mais au delà de la rhétorique, quelles sont les pistes envisagées par Bruxelles pour formaliser ses nouvelles relations avec l’Afrique?
« L’idée centrale est de définir une série de partenariats dans plusieurs domaines clés pour l’UE, comme la transition écologique ou la transformation numérique. Mais aussi dans d’autres secteurs plus classiques tels que la sécurité, la mobilité ou la migration », détaille une collaboratrice de Jutta Urpilainen, la Commissaire chargée de piloter les travaux sur la future stratégie UE / Afrique.
Une communication, révélant les grandes lignes du document stratégique, devrait être rendue publique début mars prochain.
Dans une version encore confidentielle, mais dont certains extraits ont été publiés par le site d’information Euractiv.fr, l’exécutif assure qu’il faut « changer de discours et regarder l’Afrique sous l’angle de son devenir : la terre de la plus jeune population mondiale, la plus grande région commerciale depuis la création de l’OMC, un appétit pour l’intégration régionale, l’autonomisation des femmes, et tout ça créant d’immenses opportunités économiques ».
Soutien de l’UE à la Zone de libre-échange continentale africaine
La stratégie devrait donc détailler les pistes envisagées, dans différents secteurs, pour accroître les échanges et les investissements entre les deux continents.
L’UE apportera également un soutien politique et financier accru à la mise en œuvre de l’accord établissant la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECA), une priorité pour Bruxelles. « Le développement des relations entre les pays d’Afrique représente une opportunité énorme pour les entreprises européennes », souligne un diplomate français à Bruxelles.
Cette vaste zone de libre-échange doit également permettre de promouvoir un multilatéralisme – de plus en plus menacé – et l’adoption de normes élevées pour les biens de consommation et les produits alimentaires. On a eu un aperçu du fort intérêt suscité par ce projet dans les milieux d’affaires français lors du dernier Forum Afrique du Moci, organisé en partenariat avec le CIAN à Paris, dont le fil conducteur était les enjeux de la ZLECA , également thème du dossier d’ouverture de la dernière édition du Rapport Afrique du CIAN, édité par Le Moci.
UE vs États-Unis
Un enjeu de taille pour les Européens. Car si l’UE parvient à imposer son modèle, elle étendra son influence en Afrique au détriment de son principal rival, la Chine, mais aussi face aux États-Unis, de plus en plus investis sur le continent.
Une présence scrutée de près par la Commission. En favorisant la conclusion d’accords bilatéraux, Washington freine – à dessein – l’adoption de normes communes, et « risque d’affaiblir la mise en œuvre de l’accord scellé entre les pays africains », s’inquiète ce même diplomate. L’annonce du lancement prochain de négociations de libre-échange entre les États-Unis et le Kenya témoigne à cet égard de l’intérêt croissant du Président Trump pour l’Afrique.
« Il existe un énorme potentiel pour nous d’approfondir nos liens économiques et commerciaux », a déclaré, le 7 février, Robert Lighthizer, le Représentant américain au Commerce, soulignant un objectif partagé, avec Nairobi, pour un « accord global de haut niveau ». Le premier, peut-être d’une série de traités bilatéraux que Washington prévoit de négocier dans le cadre de sa nouvelle stratégie commerciale, « Prosper Africa ».
Contrer aussi l’influence croissante de la Chine
Preuve que le continent africain n’est plus la chasse gardée des Européens, à l’instar des États-Unis, certaines puissances émergentes, telles que l’Inde, la Russie ou la Turquie, ambitionnent elles aussi de renforcer leur partenariat avec l’Afrique. Sans compter la Chine qui a massivement investi sur le continent au cours des deux dernières décennies.
« Ce qui explique, au moins en partie, ce regain d’intérêt de l’UE pour les pays africains et cette volonté d’en finir avec les vieux schémas de relations hérités de l’ère coloniale », analyse Pierre Derfraigne, ex-commissaire au Commerce, aujourd’hui directeur exécutif de la Fondation Madariaga.
Car si l’UE reste le principal partenaire commercial de l’Afrique, Pékin n’a cessé d’étendre son influence, notamment dans le cadre son initiative « One belt one road » sur les nouvelles routes de la soie. Et la Chine ne compte pas s’arrêter là.
Lors du Forum pour la coopération Chine/Afrique, en septembre 2018, Xi Jinping avait annoncé un investissement supplémentaire de 60 milliards de dollars dans les années à venir. Une enveloppe qui devrait notamment contribuer à construire de nouvelles infrastructures de transports, secteur dans lequel les entreprises chinoises détiennent déjà 62 % des parts de marché sur le continent africain, selon l’EIC (European International Contractors) qui représente les intérêts de l’industrie européenne de la construction.
Lobbying des industries européennes de la construction
L’EIC suit donc de très près les travaux engagés par la Commission pour définir sa future stratégie globale avec l’Afrique. Objectif : trouver les moyens de rivaliser avec les entreprises chinoises sur le continent alors qu’elles offrent des prestations 20 % en dessous des prix proposés par les sociétés européennes.
Dans une étude récente, consacrée au « développement des infrastructures en Afrique » *, l’EIC détaille les pratiques douteuses mises en œuvre par les investisseurs chinois et énonce un certain nombre de recommandations à l’adresse de la Commission pour rétablir des conditions de concurrence loyale sur le continent africain.
« Nous devons travailler ensemble de façon plus étroite. Une entreprise, seule ne peut pas concurrencer une entreprise d’État subventionnée par l’État chinois », souligne le document.
Sommet UE/UA en octobre à Bruxelles
Basée en Allemagne, l’EIC bénéficie déjà du soutien de Berlin. Depuis quelques années, Angela Merkel s’est en effet attachée à renforcer les relations politiques et économiques entre son pays et les États africains. La chancelière a aussi appelé les entreprises allemandes à investir plus massivement sur le continent, notamment dans les infrastructures.
A l’instar de la France, l’Allemagne pousse donc elle aussi la Commission à se montrer ambitieuse et offensive dans sa redéfinition du partenariat UE / Afrique. Un objectif qui pourrait se hausser au rang de ses priorités lorsque Berlin prendra la présidence tournante de l’UE au second semestre 2020.
« Ces quelques mois seront décisifs », juge un lobbyiste de l’EIC. Le document stratégique devra être finalisé et adopté par les 27 avant le sommet entre l’UE et l’Union africaine qui doit se tenir à Bruxelles en octobre prochain.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
* https://www.eic-federation.eu/eic-study-infrastructure-development-africa