Le séisme qui a frappé le sud-est de la Turquie et le nord de la Syrie le 6 février est une catastrophe humanitaire. C’est aussi une catastrophe économique qui intervient à quelques semaines d’une élection présidentielle sensible pour le gouvernement islamo-conservateur de Recep Tayyip Erdoğan. Il est trop tôt pour mesurer tous les impacts mais les premières évaluations sont négatives.
Gaziantep, l’une des villes en partie détruite par le séisme, à beau être à 700 km d’Ankara et plus de 110 km d’Istanbul, les dégâts très importants du séisme et de ses répliques risquent de se faire ressentir dans tout le pays : avec Kahramanmaras et Hatay, deux autres villes très touchées, elle constituait des centres économiques importants au sud de la Turquie, pour la production comme pour l’exportation. Au total, 11 provinces du sud du pays où vivaient près de 13 millions d’habitants ont été affectées par le séisme et placées en état d’urgence. Le nombre de morts dépasse les 44 000, mais certains observateurs prédisent le double à terme.
« Ces régions réalisent environ 12 % du PIB du pays et représentent environ 20 % de la production agricole et forestière, 10 % de la production manufacturière, et près de 15 % de l’activité de construction » indique Coface dans une note d’analyse publiée le 20 février, deux semaines après le premier séisme. Les secteurs industriels les plus touchés sont, selon cette source, le textile et l’habillement, le commerce de détail, l’agroalimentaire, les services, les technologies de l’information et de la communication, les métaux, et la chimie.
Entre les pertes humaines et les centaines de milliers de sans-abris, les destructions d’infrastructures énergétiques et de communication, de logements, d’outils industriels, il est encore trop tôt pour évaluer les pertes, d’un point de vue économique. Mais les premières estimations qui circulent les chiffrent déjà à plusieurs milliards de dollars (USD), avec de forts écarts selon les sources. Entre 50 et 80 Md USD, selon la Turkonfed (Turkish Enterprise and Business Confederation), une organisation patronale indépendante turque, plutôt 9,4 Md USD, selon des experts cités par l’AFP.
Le coup est d’autant plus dur que cette catastrophe est survenue dans un pays certes en forte croissance (supérieur à 7 % en 2022), mais en prise avec une inflation galopante, de l’ordre de 58 % actuellement (après + 72 % en 2022 selon Coface) qui nourrit le mécontentement social. La lire turque n’a cessé de se dévaluer ces trois dernières années sous l’effet de la politique économique et monétaire dite « hétérodoxe » menée par le pouvoir turc, qui a voulu stimuler l’économie en réduisant les taux d’intérêt. La monnaie a encore perdu 27,8 % de sa valeur par rapport au dollar depuis février 2022, et 23,3 % vis-à-vis de l’euro.
Les caisses sont vides
dépendant fortement de l’aide extérieur
Le président Erdoğan, qui est en campagne pour sa réélection, a promis des millions de lires d’aide aux sinistrés, de reloger 1 millions de personnes sous un an et la mise en chantier dès mars prochain de quelque 30 000 logements. Mais ses caisses sont vides, dépendant fortement de l’aide extérieur.
Début novembre, les réserves de change étaient estimées à 14,6 Md USD, soit moins de 15 jours d’importation, selon une note de la DG Trésor. Nomura classait alors le pays parmi les sept au monde risquant à court terme une crise de change. Elles ont été renflouées depuis par des versements russes et en provenance des États du Golfe, mais la situation est fragile et le risque de non-transfert est très élevé (5/7 selon Credendo).
La Turquie est perçue depuis plusieurs mois comme un risque élevé pour les exportateurs comme pour les investisseurs par les assureurs-crédits : 5/ 7 chez Credendo, C chez Allianz Trade et Coface. Le choc du séisme en rajoute dans les tensions.
Il est trop tôt pour évaluer l’impact de la catastrophe sur la croissance de l’économie turque, plutôt dynamique ces dernières années (+ 11 % en 2021) mais subissant ces derniers mois le ralentissement mondial, avec des prévisions 2023 plutôt entre 3 % et 4 %. Pour rappel, le précédent séisme de 1999 qui avait frappé la région d’Izmit, au nord-ouest du pays, un plus gros centre économique, avait eu pour impact de réduire le PIB de 3,3 % cette année-là, indique Coface, avant un rebond de 6,8 % en 2000. La Berd (Banque européenne pour la reconstruction et le développement) a estimé pour sa part que « les travaux de reconstruction pourraient largement compenser l’impact négatif (du séisme) sur l’activité économique ».
A court terme, c’est l’impact sur l’évolution de la situation politique qui est scruté, avec, en ligne de mire, les élections législatives et présidentielles du 14 mai, dont l’issue est plus que jamais incertaine pour le président turc. La question de leur maintien à cette date (réclamé par l’opposition) ou de leur report (envisagé par le pouvoir en place) fait d’ores et déjà débat en Turquie.
C.G