Après la « révolution du jasmin », le tissu industriel tunisien n’a pas connu de dégâts majeurs. Depuis un an, de nombreux entrepreneurs se lancent et les initiatives se multiplient. La France a su préserver sa place. Mais cet optimisme officiel ne doit pas occulter le fait que la stabilité politique n’est pas acquise.
Lunettes rectangulaires posées sur le nez, tenue décontractée, Amine Abdelkhalek, 31 ans, est sans doute l’un des premiers entrepreneurs de l’ère post-Ben Ali. Après neuf ans passés en France, il a rejoint son pays natal le 6 janvier 2011, quelques jours seulement avant la chute de l’ancien président. « Je suis rentré avec mes diplômes français et un business plan sous le bras afin de monter ma boîte avec mes deux associés », raconte-t-il. Après l’effervescence « révolutionnaire », il se remet vite au travail. Objectif ? Trouver des fonds d’amorçage pour lancer C’Offrez Cado, une société qui distribue des coffrets sur le modèle des Smart Box en France. L’opération est un succès et, grâce à des financements privés et publics, les trois partenaires lancent le concept, inconnu jusqu’ici dans le pays. « Peut-être avons-nous eu de la chance, car il y avait à cette période peu de demande. Mais je savais qu’il n’y aurait pas de rupture au niveau administratif », confie le jeune entrepreneur. Et les événements lui ont donné raison.
« C’est l’environnement institutionnel qui a sauvé le pays », analyse Abdellatif Hamam, P-dg du Centre de promotion des exportations (Cepex). S’il se dit partisan de la transition démocratique, il se félicite néanmoins de la continuité observée au sein de l’appareil de l’Etat. Ce qui a changé ? « Avant, les entrepreneurs avaient peur de développer une idée et d’être pris dans le piège du clan Ben Ali-Trabelsi. Aujourd’hui, on constate l’apparition d’une multitude d’initiatives », répond-il. Dans son secteur, celui de l’exportation, la « révolution du jasmin » n’a pas constitué un frein, au contraire. L’activité aurait même sensiblement augmenté en 2011. « Dans le domaine de l’agroalimentaire, les exportations ont fait un bond de 45 %. » Les secteurs mécanique, électrique et électronique auraient eux aussi connu une légère progression. « Tous les câbles de la nouvelle Passat sont fabriqués ici avant d’être exportés », cite, à titre d’exemple, M. Hamam. Globalement, le tissu industriel du pays n’a pas connu de dégâts majeurs. C’est du moins le message qu’ont voulu faire passer les responsables et industriels réunis lors de la conférence de la Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat (Femip) (voir texte sur la Femip plus loin). « Sur près de 6 000 entreprises de plus de 10 salariés, seuls 280 ont été endommagées ou ont dû cesser leur activité », raconte Férid Tounsi, directeur général de l’Agence de promotion de l’industrie et de l’innovation (APII). Même constat pour la présence étrangère dans le pays : 120 entreprises ont quitté la Tunisie, mais de nouvelles s’y sont installées.
Quant aux Français, premiers employeurs et investisseurs dans le pays, ils ont préservé leur place. « En 2011, le flux d’investissement s’est élevé à 210 millions de dinars sur un total d’investissements directs étrangers de 545 millions », décrypte Boris Boillon, ambassadeur de la France à Tunis, précisant que seuls 3 % des entreprises hexagonales étaient parties, « des départs compensés par un nombre supérieur d’installations ». Un exemple : le groupe Bic construit une usine dans le sud du pays (Bizerte) dont l’ouverture est prévue en 2013.
Mais si la France et, plus généralement, l’Union européenne – avec qui la Tunisie réalise environ 75 % de ses échanges – restent des partenaires de choix, la nouvelle équipe au pouvoir à Tunis, soutenue dans cet objectif par le monde des entreprises, est bien décidée à diversifier ses échanges, avec les pays arabes et du Golfe, d’abord, mais aussi avec l’Asie et l’Amérique. « Il n’y a pas de mise en cause de l’approche stratégique, juste une volonté d’ouvrir de nouveaux horizons », rassure Férid Tounsi. D’où l’organisation d’un Forum arabe des PME du 24 au 26 avril prochain à Tunis : « Nous espérons ainsi créer des opportunités d’affaire et de partenariats », explique le responsable de l’APII.
Mais derrière cet optimisme affiché concernant la stabilité du pays se cache une réalité bien plus complexe, partiellement occultée tant par les responsables des institutions européennes, présents à la conférence, que par les politiciens locaux. La grogne sociale d’abord, entretenue par des syndicats de plus en plus puissants, à l’origine de grèves répétées et d’occupations d’usine. La sécurité ensuite, aux frontières de la Tunisie mais aussi « à l’intérieur du pays où certaines routes ne sont plus sûres. D’où la flambée des prix », résume Moshen Tiss, journaliste au magazine l’Économiste maghrébin. L’exclusion d’un grand nombre de Tunisiens du processus de transition est également un facteur potentiel d’instabilité.
Un phénomène qui inquiète beaucoup Esma Ben Hamida, fondatrice, il y plus de 20 ans, d’Enda inter-arabe, un organisme de microcrédit, partenaire de référence de la Banque européenne d’investissement (BEI). « Sur les 200 000 crédits accordés, 50 000 peinent être remboursés depuis la révolution », constate cette militante. Elle ne cache d’ailleurs pas sa méfiance à l’égard du gouvernement : « Il n’y a pas d’islamisme modéré et je peux vous dire que les femmes entrepreneurs ont peur de l’avenir », s’insurge-t-elle.
La stabilité politique est en effet loin d’être acquise. Si, en public, le vice-président de la BEI, Philippe de Fontaine Vive, vantait « l’exemple rare d’une révolution qui a été rapide, efficace » sans bouleverser les « agendas nationaux », en coulisses, certains de ses collaborateurs semblaient bien plus perplexes quant à l’issue de la transition démocratique en cours. « Il est bien trop tôt pour parler de progrès notables, ce qui pose bien sûr des problèmes aux investisseurs », confiait l’un d’entre eux.
Kattalin Landaburu, envoyée spéciale à Tunis
La Femip va engager 7,5 milliards d’euros dans les pays méditerranéens d’ici 2013
La Facilité euro-méditerranéenne d’investissement et de partenariat (FEMIP) – qui rassemble les instruments de la BEI (Banque européenne d’investissement) dans les pays méditerranéens – a célébré son 10e anniversaire le 8 mars dernier à Tunis où se tenait une conférence consacrée aux PME de la région. Le choix de la Tunisie n’est pas dû au hasard. Pays initiateur du printemps arabe, il est, pour la BEI, « l’acteur de référence du partenariat financier entre l’Europe et cette région de proximité ». En dix ans, 13 milliards d’euros ont été affectés à son développement dont 63 % en faveur du secteur privé. Et cet engagement devrait encore se renforcer ces prochaines années car les Européens comptent bien jouer un rôle majeur dans le processus de transition démocratique et économique des pays de la région. Le bras financier de l’UE s’est ainsi vu confier une mission importante dans le cadre du partenariat de Deauville créé en mai par le G8. Les ministres des Finances ont alors convenu de doubler leur soutien financier en faveur des pays méditerranéens en transition : la Tunisie, l’Égypte, le Jordanie et le Maroc recevront d’ici à 2013 7,5 milliards de dollars de prêt de la BEI, soit plus du double de l’enveloppe initialement affectée à la région. Deux prêts, pour un montant de 300 millions d’euros, ont déjà été accordés à la seule Tunisie afin de soutenir la création d’emplois et le développement industriel.
K. L.
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