A quelques jours de l’ouverture du 13ème round de discussions, la semaine prochaine à New-York, et signe que l’envie de débattre est vive et sans doute inassouvie sur le sujet 3 ans après l’ouverture de cette négociation, le premier séminaire sur le projet de traité de libre-échange du Partenariat transatlantique ou TTIP (Transatlantic Trade and Investment Partnership) organisé par le Medef, le 19 avril, a fait salle comble au siège de l’organisation patronale à Paris. Il a même attiré une quinzaine de contestataires d’un mouvement dénommé « collectif Stop Tafta » -le Tafta est le nom donné à ce traité par de nombreuses ONG- qui ont déjoué la sécurité et entonné un chant « anti » au moment où la commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, intervenait.
Mais avec trois panels d’intervenants réunissant un large éventail de points de vue et d’expertises*, les débats ont pu suivre leurs cours sans autres perturbations. Au final, si l’on distinguait mieux certaines lignes de fracture, on n’en savait pas beaucoup plus sur l’état d’avancement de ces négociations. Il est vrai que comme la plupart des intervenants l’ont rappelé, elles sont complexes et techniques puisqu’au-delà de la partie douanière, très minoritaire avec quelques pics tarifaires et des sujet de facilitation, les discussions sur ce projet d’accord de libre échange dit de « troisième génération » touchent aux réglementations et aux normes, qu’il s’agisse d’obtenir une coopération ou d’organiser une convergence de part et d’autre.
Des sujets sensibles, car les consommateurs, tout comme les entreprises, sont directement concernés. «L’essentiel de la convergence réglementaire est désirable, mais est-elle faisable ?» a d’ailleurs résumé Pascal Lamy, en bon connaisseur des arcanes de ce type de négociation, avant d’y répondre lui même. «Techniquement oui, c’est faisable, mais ça prendra du temps car dans un tiers des cas les Européens ont un niveau supérieur de protection, dans un tiers des cas, ce sont les Américains, et dans un dernier tiers, c’est pareil mais les pratiques sont différentes ». Et de donner un conseil aux négociateurs chargés de la coopération réglementaire : «Il faut commencer par ce qui est le plus facile, établir un calendrier, et laisser pour plus tard ou jamais les sujets les plus difficiles», type OGM. En Europe, a-t-il rappelé, «les Européens convergent depuis 30 ans : 80 % du chemin est fait sur les biens, 40 % sur les services…»
Des chances minimes d’aboutir avant fin 2016
Une seule certitude au terme du séminaire : les chances d’aboutir avant la fin du mandat de l’actuel président américain, fin 2016, sont devenues minces alors que la défiance des opinions publiques de part et d’autre de l’Atlantique, servie par les erreurs de communication et la précipitation des débuts, va croissant. On en a eu d’ailleurs un petit aperçu dans des panels pourtant largement dominés par des partisans d’un accord ambitieux avec les Etats-Unis.
En Allemagne, seule 27 % des PME pensent que cet accord leur bénéficiera selon un sondage récent cité par Julien Vaulpré, directeur général de la société Taddeo. « On est dans des perceptions proches en France » a-t-il constaté . De fait, le TTIP reste largement perçu comme devant bénéficier principalement aux grandes entreprises multinationales en favorisant, via la réduction des barrières non tarifaires, le commerce intra-groupe. Ceci malgré les efforts des uns et des autres, trois ans après le lancement de ces négociations, pour convaincre du contraire. Un vrai chantier en matière de pédagogie.
David Caro, président de l’European Small Business alliance (ESBA), qui a plus parlé des « zones d’ombres » qui demeurent que des points prometteurs du projet, a, pour sa part, estimé non sans humour que pour lui « 27 %, ce serait une bonne base de départ » parmi les PME qu’il représente.
Mais le coup le plus frontal est venu d’un haut représentant syndical du Trade Unions Congress (TUC) britannique, Steve Turner : « Nous ne sommes pas contre le commerce, mais ces nouveaux accords ne concernent pas seulement les tarifs mais ils concernent la dérégulation, a-t-il asséné. C’est quelque chose qui nous fait peur car qu’en sera-t-il des droits des travailleurs, de l’environnement, des produits toxiques, etc. ». « Dans ce contexte on voit qu’ils cherchent une ouverture totale pour les entreprises internationales. Nous rejetons l’idéologie qui est derrière cet accord ».
Contre un « accord au rabais » ou « a minima »
Dans ce contexte, un consensus s’est clairement dégagé, au cours des débats, contre un « accord au rabais » ou « a minima ».
Le premier à ouvrir le ban a été Pierre Gattaz, le président du Medef, en ouverture : «Avec de la volonté politique, du pragmatisme et du bon sens, Européens et Américains parviendront à un accord respectueux de nos choix de société et de nos modes de vie » et ça « prime sur le calendrier », a-t-il déclaré. Le patronat français est certes favorable à un accord qui « fixerait les standards pour le 21ème siècle », mais à condition qu’il soit « équilibré » a dit, pour sa part, Bernard Spitz, président du pôle international et Europe du Medef. Or, « après 12 rounds, certains domaines n’ont pas connu d’avancées comme les marchés publics ou les services financiers », a remarqué celui qui préside aussi la Fédération des Assurances.
Ils ont été bien entendu suivis par Jean Lemière, qui préside le Comité négociations commerciales multilatérales du Medef : constatant que les Américains ont donné la priorité à la conclusion du Partenariat Transpacifique (TPP), obtenu l’été dernier**, il a estimé que la priorité de Barrack Obama, en fin de mandat, était de faire ratifier ce traité par le Congrès, d’où un « ralentissement » des discussions TTIP. « Le danger est d’avoir un accord au rabais sur quelques produits, quelques services », a encore indiqué celui qui est également président de BNP Paribas.
Mais du côté des politiques, le son de cloche n’est pas si différent. L’eurodéputé socialiste Emmanuel Maurel n’a pas dit autre chose : après un processus très mal engagé il y a trois ans faute de transparence et de débat démocratique, et malgré des progrès depuis un an dans ce domaine, le risque principal est « un accord au rabais » vu la « défiance » qu’il suscite aujourd’hui de part et d’autre de l’Atlantique. Son collègue conservateur du PPE, Franck Proust, a appelé le monde économique à « s’emparer de ce sujet et ne pas le laisser aux seuls politiques ». « L’accord, ou il est gagnant-gagnant, ou il n’existe pas », a-t-il lancé. Tout deux font partie du comité INTA (International Trade/Commerce international) du Parlement européen.
Cecilia Malmström optimiste, Matthias Fekl beaucoup moins
Ce relatif consensus français contre un « accord au rabais » prend tout son sens lorsqu’on le replace dans le contexte du calendrier, justement : le 13ème round des négociations du TTIP, qui doit se tenir à New-York à partir du 25 avril, est considéré comme le « round de la dernière chance » par nombre d’observateurs***. Une rencontre au Sommet était prévue le 25 avril à Hanovre, entre la chancelière allemande, qui veut aboutir avant le départ de Barrack Obama, et le président américain, venu inaugurer la foire industrielle dont les États-Unis sont le pays invité d’honneur. Hier 20 avril, au lendemain du séminaire au Medef, on apprenait d’ailleurs par l’Élysée que ce qui devait être une rencontre bilatérale était devenu un mini Sommet, François Hollande et Matteo Renzi ayant été invités par Angela Merkel à y participer…
Très attendue sur cette question d’actualité, la commissaire européenne au Commerce, s’exprimant dans un français excellent, a voulu se montrer un peu plus optimiste sans convaincre. « Est-ce que c’est possible de terminer la négociation en décembre, oui, a déclaré Cécilia Malmström. Mais à condition que ce soit un bon accord ». Sinon, « il faudra accepter de faire une suspension et de reprendre la négociation avec la prochaine administration américaine ».
Intervenant en clôture du séminaire, Matthias Fekl, s’est montré, lui, beaucoup moins allant, réitérant une position française qu’il ne manque pas une occasion d’exposer depuis quelques semaines. « Pour nous ce qui compte, c’est le fond, la substance beaucoup plus que le calendrier. Et le TTIP n’a de sens que s’il fixe des standards élevés, a martelé le secrétaire d’État au Commerce extérieur. Si cet objectif n’est pas atteint, la France ne donnera pas son accord ».
Et de rappeler les points sur lesquels Paris attend des progrès, comme l’a aussi rappelé récemment le président français *** : l’accès aux marchés publics américains aux niveaux fédéral et subfédéral ; des ouvertures sur les services, et pas seulement les services financiers (maritimes, etc.) ; sur l’agriculture, une approche plus globale des contingents (en lien avec d’autres négociations en cours) et la reconnaissance des indications géographiques protégées (IGP) ; et enfin sur la question de l’arbitrage, l’acceptation par les Américains de la solution européenne d’une Cour commerciale internationale, qui a déjà été acceptée par les Canadiens pour le Traité CETA (Comprehensive Economic and Trade Agreement) qu’ils viennent de conclure avec Bruxelles.
Christine Gilguy
*Le séminaire avait pour thème : «Transatlantic Trade and Investment Partnership-TTIP : mythes et réalités».
Première table ronde «Entre attentes et controverses»: David Caro, président de l’European Small Business Allaince (ESBA); Jean Lemière, président du comité Négociations commerciales multilatérales du Medef; Emmanuel Maurel, député européen S&D, membre du comité Commerce international (INTA); Michel Nalet, directeur des relations extérieures de Lactalis, Julien Vaulpré, directeur général de Taddeo.
Deuxième table ronde : «Le TTIP peut-il être un traité gagnant-gagnant ?» : Corinne de Bilbao, présidente de GE France; Cecilia Malmström, commissaire européen au Commerce; Franck Proust, député européen PPE, membre du comité Commerce international (INTA); Maud Spencer, présidente de Svatson AB; Steve Turner, membre du conseil d’administration du Trade Union Congress (TUC).
Troisième table ronde : «Coopération réglementaire : a-t-on les moyens de nos ambitions ?» : Loïc Armand, président de L’Oréal France et de Cosmetics Europe; Dr Koen Berden, directeur du World Trade Institute-WTI; Pierre Fillioux, responsable Transport Douanes, groupe Chantelle; Pascal Lamy, ancien directeur général de l’OMC; Michael Punke, adjoint au United State Trade Representative-USTR, ambassadeur US à l’OMC à Genève.
** Lire : Partenariat transpacifique/Libre échange : un accord final conclu entre les 12 pays participants
*** États-Unis / UE : les négociations de la dernière chance pour le 13e round du TTIP ?
****Lire au sommaire de la LC aujourd’hui : UE / Etats-Unis : nouvelles frondes anti-TTIP en Europe avant la venue du président Obama