La question est provocante mais c’est celle qui vient naturellement à l’esprit à l’écoute de l’exposé livré par Fleur Pellerin, le 17 juin, aux députés de la Commission des Affaires étrangères, sur l’état d’avancement des négociations du TTIP, le Transatlantic Trade and Investment Partnership, le projet de traité de libre-échange de nouvelle génération entre l’Union européenne et les États-Unis. C’est du moins le message qu’elle a tenté de faire passer à des députés très remontés contre les États-Unis en raison de « l’affaire » BNP Paribas.
Car ceux qui craignent une conclusion trop rapide et dans des conditions opaques de ce projet de traité peuvent se rassurer : à entendre la secrétaire d’État au Commerce extérieur, qui est favorable à ce projet, loin d’avancer au pas de charge, les négociations butent sur les blocages américains et sont tributaires d’un agenda électoral qui, de l’autre côté de l’Atlantique, ne joue pas en faveur d’une conclusion rapide.
« Peu d’avancées » ont ainsi été obtenues à l’issue du cinquième round des négociations, qui se sont déroulées fin mai à Arlington, en Virginie, a indiqué Fleur Pellerin, lors de son audition devant la Commission des Affaires étrangères que préside Élisabeth Guigou. Et la liste des blocages américains touche pratiquement à tous les chapitres et n’a rien à envier aux « points de vigilance » et autres « lignes rouges » définis par les 28 États membres de l’UE (exclusion du secteur culturel, de la Défense, des OGM, du bœuf aux hormones, etc.).
Sur l’accès au marché, il y a une volonté de démanteler les tarifs douaniers, mais « les offres américaines sont moins ambitieuses » que celles des Européens, a indiqué la secrétaire d’État. Dans les services, elles ont été peu concluantes, car « les États-Unis ne sont pas en mesure de transmettre les offres des États fédérés » et se sont contentés de produire une liste « d’exclusions » auxquelles la Commission européenne répondra par ses propres offres.
Dans les services financiers, que les Américains rechignaient à inclure dans le TTIP, ils « ne veulent pas de coopération en matière de réglementation ». Sur les marchés publics, où les Européens estiment avoir beaucoup à gagner –leurs marchés publics sont ouverts à 100 % alors que ceux des États-Unis ne le sont qu’à 47 %- il y a tout simplement « un refus d’ouverture » au prétexte qu’une grande partie d’entre eux relèvent des États fédérés.
En matière de reconnaissance des indications géographiques, les États-Unis, qui privilégient la protection des marques, sont encore fermés. Enfin, en matière de convergence réglementaire dans un certain nombre de secteurs, chimie, cosmétique, automobile, agroalimentaire, etc.- les négociateurs américains se retranchent derrière les compétences des États fédérés, un problème qui constitue, selon la secrétaire d’État, « un point de blocage majeur ».
Quant à la question du mécanisme de règlement des différents entre les sociétés privées et les États, elle mérite réflexion, a insisté la ministre : la France a déjà approuvé 90 conventions bilatérales en matière de protection des investissements qui prévoient de tels mécanismes. La question à se poser est, selon elle « oui ou non voulons nous un accord de ce type avec les États-Unis ? ».
« Peu d’avancées seront obtenues » dans les prochains rounds
Les prochains rounds de négociations sont prévus le 14 juillet à Bruxelles, puis en septembre aux États-Unis et un conseil informel des ministres du Commerce européens fera le point en octobre. « Peu d’avancées seront obtenues », a insisté la secrétaire d’État au Commerce extérieur, qui s’est dit prête à transmettre à la Commission des Affaires étrangères, dès que les conditions de confidentialité seront réunies, les compte rendus « exhaustifs » des pourparlers fournis aux gouvernements par les négociateurs européens.
En fait, une des difficultés majeures de ces négociations vient de la complexité du système politique américain : les négociations du TTIP sont conduites au niveau fédéral, mais sans intégrer le niveau des États fédérés pour le moment. Les États fédérés seraient intégrés si le président Obama obtenait une majorité au Congrès, lors des prochaines élections législatives de mi-mandat, en novembre prochain, suffisante pour obtenir une loi « fast track », soit l’autorisation de négocier un traité international sans passer par le Congrès. Mais rien n’est moins sûr. Du coup, les négociateurs américains se retranchent derrière leur impuissance.
Au député UMP Pierre Lellouche, ancien secrétaire d’État au Commerce extérieur, qui a fait une sortie incisive contre le « tsunami » normatif américain et réclamé une « pause » dans les négociations et une « initiative politique » des Européens pour s’opposer aux sanctions contre BNP Paribas et à leur caractère extra-territorial, Fleur Pellerin a répondu que cela relevait du politique. « Il faut une initiative du Conseil et de la Commission » mais « je ne suis pas persuadée qu’une pause dans la négociation TTIP soit la meilleure solution ».
BNP Paribas est menacée de lourdes sanctions par le procureur de New York pour avoir contrevenu, selon la justice de cet État, aux embargos américains contre Cuba, le Soudan et l’Iran entre 2002 et 2009, via sa filiale suisse (où ces transactions étaient légales), du seul fait d’avoir utilisé le dollar. D’où son caractère extra-territorial. Une menace qui pèse aussi sur d’autres banques françaises et européennes. Elle soulève, en France, un tollé général et contribue à accroître le courant d’hostilité envers le projet de traité de libre-échange transatlantique.
Christine Gilguy