Être ou devenir acteur dans le monde de l’Export nécessite souvent le recours à un intermédiaire local, lequel a vocation à « faciliter » les mises en relation et conclusions de marchés. Un minimum de repères s’impose alors sur les risques potentiels liés à cette relation. En effet, si certains actes pénalement répréhensibles sont commis par celui-ci, fût-ce à l’étranger, l’exportateur français qui l’a engagé est en risque d’être poursuivi pour complicité devant les juridictions françaises. Jehanne-Ella Lebourg et Bertrand Paillard, Avocats au Barreau de Paris, nous expliquent pourquoi.
Avertissement des auteurs
Le contenu du présent article porte sur une matière pénale. Il ne constitue en rien un conseil juridique. Il n’a qu’un propos informatif d’ordre général, toute situation particulière devant être référée à un conseil spécialisé. Par ailleurs, le sujet du présent article ne traite que de la « corruption active d’agent public étranger » et de sa complicité sous l’angle pénal, mais il existe non seulement d’autres sanctions attachées à cette infraction et à sa complicité (par exemple au titre du Code des marchés publics), mais aussi une série d’autres infractions pénales pour lesquelles un intermédiaire et/ou un exportateur peuvent être poursuivis.
Afin d’appréhender directement le cœur du sujet, voici un cas réel survenu en Afrique de l’Ouest en lien avec une société française exportatrice. Alors que celle-ci devait effectuer des recherches sur les règlementations fiscales de deux pays afin de se préparer à des négociations avec leurs gouvernements pour règlement amiable d’un litige de longue date, elle vient à entrer en relation avec un « contact d’affaires » originaire de la région. Celui-ci lui propose de se charger du sujet et des négociations, moyennant rémunération. Pour ce faire, il lui propose de traiter directement avec des « parties prenantes » qu’il connaît bien au sein des deux gouvernements. Ledit contact d’affaires rappelle par ailleurs à cette société que, selon son expérience, faire en sorte de « satisfaire » ces parties prenantes est essentiel à la célérité et la réussite du règlement du litige auprès des gouvernements concernés…
L’exportateur français, bien que tiers au déroulement de ces négociations, pouvait-il sans risques confier le traitement de son dossier à cet « intermédiaire » ? Quels réflexes cette situation devait-elle susciter chez lui ?
Dans nombre de pays à l’export, il est un état de fait que l’obtention de certaines décisions administratives voire judiciaires, ou l’accès à certains marchés, est souvent assorti(e) d’obstacles extra-juridiques et/ou de délais incompatibles avec les nécessités d’un projet ou les attentes des exportateurs. C’est alors que l’assistance de personnes ayant une connaissance pertinente des conditions de business locales et bien placées pour ce faire, est souvent incontournable en pratique, voire obligatoire selon le droit local concerné.
Il n’est ainsi pas rare, dans certains pays, qu’un exportateur ait habituellement recours à un intermédiaire local à de multiples fins (prises de contact, organisation de la soumission à un marché, négociations commerciales, requêtes particulières auprès d’administrations, etc.).
Le Rapport final sur la typologie du rôle des intermédiaires dans les transactions commerciales internationales du 4 novembre 2009 en dresse une liste, sans que celle-ci ne confine à une définition juridique : les agents, représentants commerciaux, consultants ou sociétés de conseil, fournisseurs, distributeurs, revendeurs, sous-traitants, franchisés, co-entrepreneurs, filiales et autres partenaires commerciaux, y compris les avocats et les comptables. Elle englobe les personnes physiques et les personnes morales, par exemple les sociétés de conseil et les coentreprises. En pratique, ces intermédiaires sont le plus souvent un membre de la famille ou ami d’un fonctionnaire.
Ceci étant, il arrive que ces personnes intermédiaires prennent quelques libertés outrepassant le périmètre initialement contemplé de leur intervention en octroyant, généralement à l’insu de l’exportateur, des avantages, pécuniaires ou autres, à leurs interlocuteurs décisionnaires.
Fragilité des structures étatiques, immaturité des contrepouvoirs, faiblesse des autorités judiciaires et immoralité de certains décisionnaires publics dans certains pays ne sont pas étrangers à la perpétuation de ces pratiques.
Réprouvées et fortement sanctionnées selon le droit en vigueur fondé sur une approche culturelle européenne – droit français pour les besoins du propos –, celles-ci ne l’ont toutefois pas toujours été ni ne le sont de manière équivalente dans le monde. Vérité en-deçà, mensonge au-delà, il n’existe pas de droit uniformisé ni de conception socio-culturelle planétaire en la matière, et il fut même un temps où l’assureur-crédit français Coface englobait officiellement les versements de pots-de-vin dans l’assiette de calcul des primes couvrant un financement export (!).
Aujourd’hui, quelques scandales politico-financiers retentissants ont changé la donne, et l’ensemble des opérations du commerce international et leur financement (entre autres) sont soumis à un arsenal de règlementations de conformité auxquelles leurs acteurs, qu’ils soient exportateurs, acheteurs, financiers ou fournisseurs d’autres services (dont les « intermédiaires locaux »), doivent se soumettre sous peine de sanctions essentiellement pénales.
Plus précisément, selon le type d’opération ou de financement, certaines infractions sont plus particulièrement concernées. Par exemple, dans les opérations export soumises à procédure de marché public, une surveillance sera de mise à l’égard d’éventuels actes de corruption en faveur de décisionnaires publics.
Cette infraction, plus précisément nommée « corruption d’agents publics étrangers », ainsi que toute complicité s’y rapportant, sont aujourd’hui intégrées dans la loi française à la suite des législateurs anglais et américain (aux États-Unis, la Foreign Corrupt Practices Act -« FCPA »- de 1977 et l’International Anti-Bribery Act de 1998, et au Royaume-Uni, le Bribery Act de 2010), et sous la pression des organisations européennes et internationales. Il s’agit de la loi n° 2016-1691 du 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « loi Sapin II ».
Quant à l’assurance-crédit export fournie par Bpifrance Assurance Export, toute une partie du formulaire de demande de cette assurance-crédit est consacrée à la rémunération d’éventuels intermédiaires, au travers de multiples questions ciblées ayant pour but de prévenir en amont ce type de risque.
Ainsi, si une infraction de corruption d’agent public étranger a été commise par un intermédiaire local (1), il peut y avoir un risque pour l’exportateur français qui l’a engagé, d’être poursuivi pour complicité (2), ce que certaines précautions drastiques pourraient d’une certaine manière aider à mitiger (3).
Participation à la lutte anti-corruption : Les principaux textes applicables
- Convention sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales
- Recommandation du Conseil visant à renforcer la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers dans les transactions commerciales internationales (OECD/LEGAL/0378) : legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-0378
- Recommandation du Conseil sur la corruption et les crédits à l’exportation bénéficiant d’un soutien public (OECD/LEGAL/0447) : legalinstruments.oecd.org/fr/instruments/OECD-LEGAL-044
1. L’infraction principale de « corruption d’agent public étranger » commise par un intermédiaire local
L’on ne peut parler de « complicité » qu’à la condition que l’infraction principale correspondante existe juridiquement, et ait été commise, laquelle sert d’assise conceptuelle et procédurale à ladite complicité. Etant précisé que la question de la reconnaissance de responsabilité (au titre d’une condamnation en justice) est un sujet indépendant de la commission matérielle de l’acte.
L’infraction de corruption (active) d’agent public étranger est visée à l’article 435-3 du Code pénal qui la définit comme le fait, par quiconque, de :
- « proposer, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, à une personne dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public dans un Etat étranger ou au sein d’une organisation internationale publique, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour qu’elle accomplisse ou s’abstienne d’accomplir, ou parce qu’elle a accompli ou s’est abstenue d’accomplir un acte de sa fonction, de sa mission ou de son mandat, ou facilité par sa fonction, sa mission ou son mandat » ; ou
- « céder à une personne [dépositaire de l’autorité publique, chargée d’une mission de service public ou investie d’un mandat électif public dans un Etat étranger ou au sein d’une organisation internationale publique] qui sollicite, sans droit, à tout moment, directement ou indirectement, des offres, des promesses, des dons, des présents ou des avantages quelconques, pour elle-même ou pour autrui, pour accomplir ou avoir accompli, pour s’abstenir ou s’être abstenue d’accomplir un acte visé audit alinéa.»
Il s’agit d’un délit puni de 10 ans d’emprisonnement et d’une amende de 1 000 000 €, dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction, et à 2 000 000 € lorsque les infractions prévues au présent article sont commises en bande organisée (ou, s’il excède ce montant, au double du produit de l’infraction).
Il faut en outre observer que ces peines principales peuvent être accompagnées de peines complémentaires, comme la confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit, ou encore l’interdiction, pour une durée de cinq ans au plus, d’exercer l’activité professionnelle ou sociale dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise (articles 131-10 et 435-14 du code pénal).
En application de la loi Sapin II, le Ministère Public français peut appréhender et sanctionner non seulement de tels actes commis à l’étranger (par des personnes de nationalité française ou étrangère) en tant qu’infraction principale – C’est ce que l’on appelle l’extraterritorialité judiciaire – mais encore, une complicité de cette infraction, si elle s’est matérialisée en France.
Ainsi, un intermédiaire local engagé par un exportateur peut alors être poursuivi et condamné en France pour des actes de corruption commis lors de l’exécution de sa mission à l’étranger, et cela ne sera pas sans conséquences pour l’exportateur.
Reposant sur un dur retour d’expérience personnelle à ce titre, l’on ne peut que citer les termes du fondateur du cabinet de conseil éthique et compliance JDL Ethi-Consult : « Certains intermédiaires présentent des risques majeurs pour les entreprises qui font appel à eux et qui ont le plus souvent des difficultés à les contrôler ou à imaginer la perversité de certains circuits de corruption indirecte qu’ils empruntent ».
2. Le risque pénal de complicité de corruption d’agent public étranger pour l’exportateur
Le complice est défini, aux termes de l’art. 121-7 al. 1er du C. Pénal, soit comme « la personne qui sciemment, par aide ou assistance, en a facilité la préparation ou la consommation », soit comme « la personne qui par don, promesse, menace, ordre, abus d’autorité ou de pouvoir aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour la commettre ».
Ces deux cas, de complicité par aide ou assistance ou de complicité par instigation, recouvrent de nombreuses hypothèses.
Ainsi, par exemple, l’octroi d’une somme d’argent à un intermédiaire qui se rendrait ensuite coupable de corruption, pourrait être retenu comme un acte de complicité. Or, le service d’un intermédiaire est toujours rémunéré, et l’argent est un bien fongible de sorte que l’on ne puisse attribuer de facto de destination à telle ou telle portion d’une somme remise.
Pour se défendre d’un tel reproche, il faudra donc, en amont, prévoir précisément, par contrat, l’affectation des sommes remises, et il importera également de démontrer que l’exportateur ignorait les agissements de son intermédiaire sans pour autant se borner à invoquer une simple ignorance. Comme le précise le Rapport, « il importe de souligner que les mandants qui s’abstiennent délibérément d’effectuer une enquête raisonnable ou qui versent à des consultants des honoraires largement disproportionnés par rapport au travail exécuté ne peuvent se borner à invoquer l’ignorance ».
En sa qualité de professionnel, l’exportateur ne pourra donc pas simplement prétendre ne pas savoir. Les juges ont en effet tendance à se montrer exigeants envers le professionnel qui, pour cette raison, ne peut pas « ne pas avoir su », ou « aurait dû » savoir (Cass. crim. 22 janvier 2014, pourvoi n° 13-80.257 ; dans le même sens, Cass. crim. 2 décembre 2019, pourvoi n° 08-87.979).
L’attention devra ainsi être portée sur le rationale de ces versements, et leur proportionnalité par rapport à la valeur économique de la mission confiée. La rémunération d’un intermédiaire doit en effet constituer la contrepartie justifiée des sommes versées par rapport à la notion de services rendus et licites. C’est ainsi que, s’il n’y a aucun services identifiables, réels ou économiquement justifiables, ou s’il y a une combinaison de services légitimes et illégitimes, il est possible de tomber sous le coup d’une qualification pénale.
En ces cas (et sous réserve bien entendu d’autres éléments que le juge dégagerait), pourrait être retenue à l’encontre de l’exportateur qui l’a engagé, une complicité de l’infraction prévue à l’article 435-6-2 du Code Pénal, deuxième alinéa, sanctionnée par les mêmes peines que celles encourues par l’intermédiaire auteur de l’infraction principale. La difficulté de circonscription ou de contrôle du risque de complicité tient effectivement au fait que :
- la frontière est parfois ténue entre le caractère licite ou illicite des sommes utilisées ;
- les montages sont parfois complexes comme l’utilisation de filiales pour y faire transiter les sommes concernées ;
- les actes passent parfois par une falsification comptable.
Sont visés les cas de complicité en France (tous les éléments tendant à caractériser la complicité doivent être situés sur le territoire français), d’infractions prévues notamment à l’article 435-3 du Code pénal, c’est-à-dire des actes de complicité réalisés en France, mais relatifs à une infraction principale commise à l’étranger.
Par ailleurs, il est à noter que si l’auteur de l’infraction principale est relaxé ou acquitté, le complice demeure tout de même potentiellement pénalement responsable. Cela vaut de même si l’auteur de l’infraction principale est inconnu, en fuite, ou même décédé.
Du côté des exportateurs évincés d’un marché, depuis la loi Sapin II, il n’est même plus besoin d’engager une action à l’encontre de l’exportateur complice dans le pays étranger où les faits principaux de corruption ont eu lieu. L’art. 435-6-2, al. 2 du C. pénal dispose en effet, que : « Pour la poursuite de la personne qui s’est rendue coupable sur le territoire français, comme complice, d’une infraction prévue aux articles 435-1 à 435-4 commise à l’étranger, la condition de constatation de l’infraction par une décision définitive de la juridiction étrangère prévue à l’article 113-5 n’est pas applicable. »
A défaut de pouvoir éliminer totalement le risque d’incrimination pour complicité de corruption du fait d’agissements d’un intermédiaire, il est toutefois possible de prendre certaines précautions avant de recourir à un tel « partenaire » local.
3. Les mesures potentielles de mitigation du risque de complicité par l’exportateur
L’on vient de le voir, le risque pénal de complicité pour l’exportateur qui recourt à un intermédiaire local est bien réel et ne sera jamais totalement éliminé. Toutefois, c’est une appréciation qualitative et prudente de ce risque qui doit mener l’exportateur à le monitorer du mieux possible lorsqu’il ne prend pas l’option de renoncer purement et simplement à une relation d’intermédiation ou à une opération. En effet, une série de précautions en amont de toute décision d’engager un intermédiaire peuvent contribuer à le circonscrire.
Il convient en premier lieu de s’informer sur l’état de la législation tant française que locale en la matière, au besoin en se rapprochant d’un conseil juridique externe spécialiste de la matière, car de nouvelles règlementations nationales ou extraterritoriales peuvent être adoptées à tout moment.
Ensuite, il convient de vérifier préalablement un certain nombre de points fondamentaux et se poser certaines questions – dont il pourrait être fait état devant un juge comme moyens de défense dans une procédure – tels que, par exemple :
- Est-il vraiment indispensable, c’est-à-dire incontournable, de recourir à un intermédiaire local et pour quelles raisons ? un simple confort ou nécessité de stratégie commerciale ne sauraient souvent suffire à justifier ce recours.
- Si ce recours est vraiment indispensable, une personne de l’entreprise connaît-elle personnellement l’intermédiaire personne physique pressenti et a-t-elle l’expérience d’avoir traité avec lui ?
- Cet intermédiaire a-t-il déjà fait l’objet de condamnations ou de poursuites en cours ? Le décisionnaire de l’appointement pourrait-il se porter fort du respect par cet intermédiaire des règles anti-corruption applicables ?
- La personne peut-elle être présentée à tous les décisionnaires de l’entreprise lors d’une réunion formelle ? Peut-elle être accréditée par le biais de recommandations externes de sociétés ayant déjà eu recours à elle dans des transactions similaires, ou de tiers indépendants comme des agences d’intelligence économique locales ? L’appointement de la personne devrait être obtenu à l’unanimité des décisionnaires de l’entreprise avec approbation des termes du contrat d’intermédiation.
- Le périmètre de la mission de l’intermédiaire est-il bien défini ? Il serait recommandé qu’il le soit avec l’aide d’un avocat.
- La rémunération envisagée répond-t-elle aux standards de marché ou sinon est-elle justifiée par des éléments de nécessité commerciale exempts de tout soupçon d’infraction potentielle ?
- Le contrat d’intermédiation devrait contenir notamment, outre le périmètre de la mission et la subordination de la rémunération à la preuve de services rendus légalement et conformément audit contrat, des clauses de rupture en cas de non-respect des règlementations anti-corruption applicables, ainsi que des dispositions prévoyant des droits d’audit financier des comptes de l’intermédiaire.
Ces questionnements préliminaires (dont une grande partie peut être retrouvée sur le site JDL Ethi-Consult et aux pages 27 à 29 du Rapport de l’OCDE Typologie des intermédiaires dans les transactions commerciales internationale ), permettant de circonscrire la réflexion préalable, ne sont toutefois pas exhaustifs ; ils doivent être adaptés ou complétés en fonction de la situation concernée, ce qu’un conseil externe compétent (avocat pénaliste) peut aider à effectuer.
Il est également possible de trouver dans les recommandations de l’Agence Française Anticorruption (AFA) de 2017 (Recommandations destinées à aider les personnes morales de droit public et de droit privé à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme) des détails sur le contenu des vérifications à effectuer, les documents à collecter, ainsi que les trois niveaux de contrôles pour évaluer les tiers avec qui l’entreprise est en relation d’affaires.
A noter que l’AFA a émis en mars 2015 les « Lignes Directrices Françaises visant à renforcer la Lutte contre la Corruption dans les Transactions Commerciales », et que l’existence d’un programme de conformité est l’un des éléments pris en compte par les autorités pour déterminer les sanctions applicables lorsqu’elles constatent que l’entreprise a commis une infraction ou est passible de complicité.
Le rôle des départements Compliance et des représentants de l’entreprise est central sur ce point, et les difficultés auxquelles ceux-ci doivent faire face sont multiples : l’adoption d’une vision équilibrée entre les règles effectivement pénales pesant sur l’entreprise, la gestion du risque de réputation, la probabilité parfois éloignée mais parfois aussi tout à fait plausible d’une condamnation en justice, et la réalité business « de terrain » qui requerrait une prise de risques incontournable dans certaines juridictions. In fine, la décision appartient aux représentants de l’entreprise, lesquels encourraient une responsabilité civile et/ou pénale assortie d’une atteinte à l’image de l’entreprise, si les risques mentionnés venaient à se réaliser.
L’ensemble de ces précautions aura pour but de permettre de rapporter la preuve de l’absence de toute intention. La complicité suppose en effet de caractériser une intention coupable. Or, s’agissant d’un professionnel, cette intention est facile à déduire des faits, comme le versement d’une commission, car le professionnel ne peut pas se réfugier derrière sa simple ignorance de l’utilisation desdits fonds. Autrement dit, le juge pénal ne se limite pas à chercher une intention stricte mais peut se contenter d’éventuelles négligences. Telle est la raison pour laquelle le maximum de précautions doivent être prises, en amont, pour pouvoir, le cas échéant, établir la réelle bonne foi de l’exportateur.
Ceci est d’autant plus important que la responsabilité pénale de la société, comme personne morale, peut être engagée par les agissements de ses représentants (article 121-2 du code pénal).
Il faut en effet garder à l’esprit que la culpabilité de la personne physique auteur des faits, à condition qu’elle soit un organe ou un représentant de la personne morale, rejaillit sur la personne morale et fait donc encourir à la société une décision de condamnation ainsi qu’une peine, notamment une peine d’amende, qui peut être portée au quintuple de celle encourue par la personne physique.
La responsabilité pénale de la personne morale ne sera néanmoins engagée que si la personne physique auteure des faits est soit un organe statutaire de la personne morale, soit un représentant au sens de l’article 121-2 du code pénal, c’est-à-dire une personne dotée de la compétence, des pouvoirs et des moyens nécessaires pour la représenter vis-à-vis des tiers (Cass. crim. 26 juin 2001, Bull. crim. n° 161). Il peut s’agir d’un mandataire ou d’un préposé titulaire d’une délégation de pouvoirs (Cass. crim. 14 décembre 1999, Bull. crim. n° 306 ; 30 mai 2000, Bull. crim. n° 206), mais un simple salarié ne pourra pas engager la responsabilité pénale de la société.
En conclusion
En conclusion, étant donné les lourdes sanctions encourues s’il y avait condamnation pour complicité, du moins en France, il devrait désormais être raisonnable pour les exportateurs de ne faire appel qu’à des intermédiaires dont le parcours vérifié montre une probité sans failles, assortir l’intervention d’obligations strictes de nature à sécuriser autant que possible les risques pénaux en question, le tout couvert par l’accompagnement étroit d’un conseil spécialisé, ou, à défaut, ne pas hésiter à y renoncer. La perte d’un marché étant toujours moins dommageable qu’une condamnation pénale.
Ce risque potentiel de complicité pénale – avec ses conséquences tant juridiques, financières que réputationnelles – touchant autant les exportateurs que les financeurs impliqués dans une transaction, il est primordial de sensibiliser en interne de manière personnelle et ciblée chacun des acteurs personnes physiques en contact direct avec des transactions « à risque », à savoir notamment les représentants légaux, négociateurs, financiers et commerciaux.
Si les PMEs et les petites ETIs n’ont aucune obligation légale de mettre en place un dispositif de prévention et de détection de la corruption, elles y ont néanmoins fortement intérêt, pour se protéger de la commission d’une infraction et de ses conséquences financières et réputationnelles, mais également pour être en capacité de démontrer leur intégrité à leurs grands partenaires commerciaux.
En effet, l’intégrité est un (nouvel) élément de différenciation dont la portée ne peut que s’accroitre du fait des exigences des principaux systèmes juridiques dans le monde gardiens de la moralité des affaires, et appliquant une extraterritorialité judiciaire.
Jehanne-Ella Lebourg
et Bertrand Paillard,
Avocats au Barreau de Paris
Bibliographie
-« La poursuite en France de faits de corruption et de trafic d’influence commis à l’étranger après la loi Sapin 2 – Volet I : exégèse » – Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique des Affaires n° 3, Octobre 2017, comm. 62
-Site web de Jean-Daniel Lainé jdl.ethiconsult.com
-« La compliance en Afrique – Lutte contre la corruption : où en sommes-nous en Afrique ? – Etude par Pierre-Antoine Badoz et Léon Charles Ciss » (Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique des Affaires n° 4, Août 2019, étude 133)
-« Lutte contre la corruption – Les deux faces et le cœur » Édito par Roxana Family (Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique des Affaires n° 5, Octobre 2019, 148)
-« Exclusion des marchés publics pour corruption : la théorie et la pratique » Etude rédigée par Thibault Guillemin et Thomas Chanzy (La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 31-35, 1er Août 2019, 1395)
-« Lutte contre la corruption – Corruption internationale : l’étau se resserre encore un peu plus autour des entreprises » Commentaire par Eric Russo (Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique des Affaires n° 5, Octobre 2021, comm. 220)
-« Revue Internationale de la Compliance et de l’Éthique des Affaires n° 5, Octobre 2021, comm. 220 » (La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 42, 21 Octobre 2021, act. 716)
-« Corruption – La notion de corruption » Etude de Jean Garrigues, Frédéric Monier, Jean-François Bohnert, Baudouin Baudru et Antoine Louvaris (La Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 23, 4 Juin 2020, 1219)
-« Anticorruption – Les critères d’évaluation des programmes anticorruption retenus par les autorités françaises et américaines » – Repère par Sophie SCEMLA, Revue de Droit bancaire et financier n° 6, Novembre 2020, prat. 3
-Cass. Crim. 8 janv. 2003, n° de pourvoi 01-88.065, Bull. crim. 2003, n° 5, p. 14