L’historien économiste Laurent Bonnaud livre en exclusivité aux lecteurs du Moci une vision des enjeux du Brexit vue par les deux bouts du tunnel sous la Manche et ses recommandations pour éviter de futurs engorgements. En voici une synthèse, l’intégralité de son analyse est dans le fichier PDF attaché à cet article.
Le 1er décembre 1990, deux ouvriers du tunnel sous la Manche se tendaient la main à travers la première jonction de l’ouvrage. La Liaison fixe est devenue le système ferroviaire le plus fréquenté au monde. Le 31 décembre 2020, s’achèvera la période de transition du Brexit. L’histoire nous permet de mieux comprendre ce qui est en jeu pour les liaisons frontalières transmanche.
Les bases d’une culture frontalière commune
L’histoire de la Liaison fixe transmanche, inaugurée en 1994, est indissociable de la frontière franco-britannique qu’elle a matérialisée.
Les acteurs des échanges franco-britanniques, parmi lesquels transporteurs routiers, opérateurs ferroviaires et gestionnaires d’infrastructures, douanes et forces de l’ordre, ont construit une culture frontalière commune autour de cet ouvrage unique. Celle-ci assure à la fois la fluidité des échanges et la sécurité et la sûreté des biens et des personnes.
Depuis la fin des années 1990, le contrôle de l’immigration clandestine à destination du Royaume-Uni est devenu un objectif prioritaire, au point de modifier l’esprit du Traité de Cantorbéry de 1986, qui fixait les grands principes de l’ouvrage.
Les traités du Touquet (4 février 2003) et de Sandhurst (18 janvier 2018) sont les pierres angulaires de cette politique. Une véritable refonte du cadre juridique et institutionnel de la frontière franco-britannique a donc été mise en place.
Le Brexit reformule l’équation
Le Brexit reformule cette équation complexe. La libre circulation des personnes et des marchandises sur et sous la Manche prendra fin le 31 décembre prochain.
À moins d’un accord de dernière minute, les règles de l’OMC régiront les échanges transmanche. Les contrôles administratifs et douaniers risquent de dégrader des chaînes d’approvisionnement fortement intégrées depuis 1994. Les contrôles sanitaires et vétérinaires sont les plus complexes à mettre en œuvre.
La gestion efficace du tunnel et de sa frontière nécessitera un ensemble de règles unifiées. C’est pourquoi la Commission européenne a proposé de maintenir une autorité de sécurité unique pour la Liaison fixe, et de conserver la Cour de justice de l’UE comme autorité d’arbitrage. Le ministère britannique des Transports a déclaré que ces propositions ne sont pas conformes aux objectifs de souveraineté du gouvernement.
Rester dans l’esprit du Traité de Cantorbéry
En 2019, la Liaison fixe a transporté 1,6 million de camions, 2,6 millions de voitures et 21 millions de passagers entre le Royaume-Uni et le continent.
Son importance stratégique pour le commerce et l’approvisionnement, la livraison express et le tourisme britanniques et irlandais sont de fortes incitations à défendre l’esprit du traité de Cantorbéry. Les parties prenantes ont donc mis en place des technologies de « frontière intelligente », recruté du personnel et développé de nouveaux parcs douaniers.
Recommandations pour éviter les engorgements
Du côté britannique, un permis d’accès au Kent et l’étalement des contrôles douaniers sur le premier semestre 2021 visent à limiter l’engorgement des principaux axes du comté. Il reste à former les routiers aux nouvelles procédures : la barrière linguistique constitue le premier obstacle.
Les tests réalisés fin novembre 2020 ont conduit à d’importants embouteillages dans le Kent et les observateurs redoutent des perturbations à partir de janvier prochain. Mais la Liaison ferroviaire dispose de capacités disponibles et pourrait accueillir beaucoup plus de trains de marchandises directs, comme le prévoyaient ses promoteurs dans les années 1980.
Cette solution favorable à l’environnement atténuerait les goulets d’étranglement dans le Kent, mais aussi dans les Hauts de France.
Laurent Bonnaud
Historien économiste, fondateur Sponte sua sprl
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Twitter : @laurentbonnaud