Poumons du commerce international français, frappés par la crise sanitaire alors qu’ils se remettaient à peine de plusieurs semaines de paralysie liées à la contestation de la réforme des retraites, les trois ports maritimes de Marseille/Fos, du Havre/Rouen et de Dunkerque ont plutôt bien résistés à la Covid-19 grâce à la hausse des exportations de céréales et à un rebond général des trafics au second semestre 2020. Malgré le ralentissement de la demande mondiale, les ports restent confiants pour 2021 en maintenant leurs investissements et en tablant sur un retour à la normal en 2022. Revue de détail.
Avec 69 millions de tonnes (Mt) de marchandises traitées en 2020, le Grand port maritime de Marseille Fos a enregistré une baisse de trafic global de -12,7 %. La crise sanitaire mondiale a effet entraîné une chute de 10 Mt de flux de marchandises de la première place portuaire française (tous trafics confondus). Du coup, son chiffre d’affaires a reculé de -14 %, à 145 millions d’euros (M EUR), accusant une perte de 20 M EUR.
Le port a néanmoins accueilli en moyenne 23 navires par jour contre 25 en 2019, avec 8 500 escales. « Le port a relativement bien résisté dans un contexte difficile de pandémie mondiale pour le commerce maritime international » a assuré Elisabeth Ayrault, la présidente de son conseil de surveillance, lors de la conférence de présentation des résultats le 25 janvier dernier.
Marseille : une baisse modérée des trafics
« Les trafics se sont mieux tenus que prévu. Nous avons su faire face à la crise grâce notamment à notre diversification des filières pour contrer la volatilité de certains trafics » a ajouté Hervé Martel, son président du directoire.
Certains secteurs ont ainsi clôturé l’année 2020 à l’équilibre comme celui des véhicules neufs, en raison du nouveau trafic des modèles Hyundai et celui provenant de l’usine Renault de Kenitra (Maroc). Mais globalement les marchandises diverses ont connu un recul de -11 %, à 18,3 Mt.
Le trafic conteneur a enregistré une baisse de -10 % en EVP malgré la bonne tenue des volumes avec la Chine (+1 %) et la Turquie (+6 %), mais ceux avec les États-Unis et l’Algérie ont plongé respectivement de -19 % et de -25 %.
De leur côté, les vracs liquides ont diminué globalement de -11 %, à 41 Mt, en dépit de l’augmentation de 9 % des vracs liquides alimentaires, une hausse permise par des exportations d’huile de tournesol qui ont bondi (+87%) ! Les hydrocarbures ont en revanche souffert. Ils ont accusé une baisse de -11%, le pétrole ayant chuté de -16%. Les vracs chimiques ont, eux, plutôt résisté, en recul de seulement -2%, grâce au bon maintien des exportations (+4%).
Enfin, les vracs solides ont plongé de 22 %, à 9,9 Mt, avec une forte diminution des trafics sidérurgiques liée notamment à l’arrêt temporaire d’un haut-fourneau d’Arcelor Mittal et à la diminution des volumes sur le marché mondial de l’acier.
Maintien des investissements en 2020 et 2021
Le port de Marseille a, malgré tout, maintenu ses investissements en 2020. Au total, 51 M EUR ont été investis dans la réalisation de plus de 350 opérations, dont notamment l’agrandissement des quais de conteneurs sur les bassins du golf de Fos, permettant d’accueillir les plus grands porte-conteneurs.
« 27 millions d’euros ont été consacrés à la redynamisation industrielle et aux aménagements logistiques et 24 millions au maintien des ouvrages portuaires… » a résumé Hervé Martel. « Nous maintenons également notre plan d’investissement de 342 millions d’euros d’ici à 2024. L’ensemble des projets servira l’ambition de mieux concilier excellence environnementale et croissance économique » a-t-il annoncé.
Au menu notamment en 2021 : le lancement d’une nouvelle zone de services portuaires dans les bassins de Fos, opérationnelle en 2025, destinée à accroître la capacité de l’activité de stockage de conteneurs vides. « Nous ne prévoyons pas de reprise des trafics au niveau normal avant 2022. Le rebond démarrera par les pays asiatiques dont le port de Marseille est dépendant » a prévenu Elisabeth Ayrault.
Le Havre et Rouen : rebond des trafics au second semestre 2020
Haropa, l’établissement unique qui réunira le 1er juin prochain les deux ports maritimes du Havre et de Rouen et le port fluvial de Paris, aura aussi payé le prix de la crise sanitaire.
En 2020, Le Havre et Rouen ont vu leur trafic maritime cumulé se replier de -16,7 %, à 75 Mt. « On a vécu une année de crise atypique par son ampleur pendant laquelle notre activité a globalement bien résisté avec un premier semestre difficile compensé par un rebond au second semestre » a indiqué Stéphane Raison, préfigurateur et dirigeant du futur établissement Haropa, lors de la conférence de présentation des résultats le 28 janvier dernier.
L’une des principales victimes de « l’année Covid » : le trafic de conteneurs, dont 22 % des échanges se font avec la Chine. Les flux de marchandises conteneurisées ont ainsi reculé de -14,4 % à 2,4 M EVP. Mais le trafic a retrouvé au 4ème trimestre 2020 son niveau moyen d’avant crise, affichant une progression de 13 %.
Pour accompagner la reprise de l’activité conteneurs, le port du Havre a mis en service en octobre 2020, quatre portiques sur le terminal de France à Port 2000, au Havre, pour l’accueil des grands porte-conteneurs et a récupéré le service FAL1, principale ligne de la compagnie CMA-CGM avec l’Asie.
De même, le trafic de conteneurs dans l’hinterland a retrouvé son niveau d’avant crise dans la seconde partie de 2020, porté par la reprise du marché domestique et le dynamisme des économies asiatiques. Ainsi, le trafic n’a diminué que de -8,9%. « Le transbordement de conteneurs a subi un recul plus marqué de -31,7%, une activité en demi-teinte que l’on doit améliorer » a avoué Baptiste Maurand directeur général du Port du Havre.
Autre secteur en net recul : les vracs liquides ont plongé de -21 %, à 36,3 Mt. A la baisse de la demande mondiale des produits pétroliers liée à la crise sanitaire, s’est ajoutée la fermeture technique de la raffinerie Total de Gonfreville-l’Orcher. Du coup, les importations de pétrole brut ont fondu de -40,6 %, alors que les exportations de produits pétroliers ont chuté de -30,4 %.
Les flux de kérosène sont aussi en diminution, à cause de la quasi-absence du trafic aérien pendant une bonne partie de l’année. Les importations de naphta, en revanche, ont progressé avec une forte demande des secteurs pharmaceutique et alimentaire, en raison de la crise sanitaire. Mais une reprise du trafic des produits raffinés s’est amorcée fin 2020, dopée par la hausse des exportations.
Année historique de hausse des exportations de céréales à Rouen
La bonne nouvelle vient surtout des vracs solides, secteur en nette hausse de 5,1 % à 14,5 Mt. Son dynamisme est porté par le trafic de céréales du port de Rouen.
« On a connu une année historique des exportations qui ont crû de 6 %, avec 8,8 Mt traitées ! » a souligné Pascal Gabet, directeur général du port normand. Avec 9,9 Mt exportées sur la campagne 2019-2020, le secteur des céréales enregistre une progression de près de 32 % par rapport à la campagne 2018-2019.
Le trafic de granulats a également enregistré une forte progression (+34,2%), pour atteindre un niveau historique à 1,98 Mt. « Cette croissance est notamment liée aux travaux du Grand Paris Express et de la construction de l’usine d’éoliennes en mer de Siemens Gamesa sur le port du Havre » a relevé Antoine Berbain, directeur général de Ports de Paris.
Malgré une année 2020 contrastée, Haropa a maintenu ses investissements d’un montant de 162 M EUR. Ils ont été consacrés aux projets de développement, notamment sur Port 2000, avec la construction de deux nouveaux postes à quai.
Les acteurs privés, armateurs, logisticiens et chargeurs ont aussi maintenu leurs engagements d’investissement à hauteur de 300 M EUR sur divers projets.
Enfin, Haropa s’est vu attribué 71 M EUR du Plan de Relance, comme l’a rappelé le Premier ministre Jean Castex lors du Cimer le 22 janvier au Havre. Cette enveloppe est notamment dédiée à la transition énergétique, la multimodalité et à l’environnement.avreHavre
Dunkerque : repli de -14 % du trafic global
Enfin, le port de Dunkerque n’a pas échappé à la tempête sanitaire. « Après une progression de 3 % en 2019, le trafic global a marqué un repli de -14 %, avec 45,2 millions de tonnes traitées », a indiqué Emmanuelle Verger, la présidente du conseil de surveillance du port, lors de la conférence de présentation des résultats le 14 janvier dernier.
Mais la direction du port nordiste a indiqué « espérer un retour de la croissance en 2021 et continuer à miser sur le trafic transmanche ». En attendant, dans le contexte d’une année difficile en raison de la pandémie de Covid-19, l’évolution du trafic a été contrasté selon les secteurs.
Les vracs liquides ont connu une baisse prononcée de -18 %, à 7,7 Mt. Si les hydrocarbures sont restés stables, l’activité de gaz naturel liquéfié (GNL) s’est effondrée de -31%, certes après une année record en 2019 (+ 320 %). « Cette forte baisse est aussi liée aux évolutions du prix du marché » a expliqué Emmanuelle Verger.
Les vracs solides ont également accusé le coup. Ils ont diminué de -22 %. La chute des trafics, notamment liés à la sidérurgie, a fortement impacté ce secteur. Le transport de minerai de fer a ainsi baissé de -34 % et celui du charbon de -28 %. Ces baisses drastiques sont dues à l’arrêt pendant plusieurs mois de deux des trois hauts-fourneau d’Arcelor Mittal, en réaction au ralentissement du marché automobile.
Record de trafic de céréales et hausse des flux de conteneurs
En revanche, les céréales ont établi un nouveau record de trafic, en hausse de 63 %, à 3,3 Mt traitées. Une croissance stimulée par la forte demande de la Chine mais aussi par l’importation de céréales des industriels de la région.
Dans le domaine des marchandises diverses qui ont connu un léger recul de -4 %, le trafic de conteneurs a aussi tiré son épingle du jeu. Avec 463 000 EVP traités, il a progressé de 2 %. Les conteneurs pleins ont quant à eux enregistré une hausse de 5 % à 290 000 EVP. Le fret transmanche a également bien résisté : il a crû de 4 % en raison « du phénomène de surstockage en octobre, novembre et décembre des entreprises britanniques », a exposé Daniel Deschodt, le directeur commercial du port.
Face à la crise économique liée à la pandémie de Covid-19, le port de Dunkerque a revu à la baisse son budget d’investissements 2020 qui s’est établi à 21,6 M EUR, contre 37,7 M EUR prévus. Les opérations dont les travaux étaient en cours et celles qui étaient indispensables au développement du trafic ou à la commercialisation du domaine ont été priorisées.
Pour 2021, l’enveloppe d’investissements s’élève à 51 M EUR. Elle sera notamment consacrée à la poursuite de la livraison des grandes plateformes logistiques et industrielles et au démarrage des premières opérations de son projet stratégique 2020-2024 (projet ferroviaire d’accès aux terminaux, nouvelle passerelle Ro-Ro…).
Le port d’Anvers tire son épingle du jeu
Les grands ports belges et néerlandais du « Range Nord » ont également subi de plein fouet la crise sanitaire mondiale en 2020, même s’ils semblent s’en tirer un peu mieux que leurs homologues tricolores, notamment Anvers.
Le port belge a enregistré un petit recul de son trafic global de -3,1 %, à 231 Mt. Il a limité les dégâts par la hausse du trafic de conteneurs (+1,3%), dépassant pour la première fois les 12 millions EVP. En revanche, le port de Rotterdam qui a perdu -7 % de son flux de conteneurs au premier semestre 2020, à 7 millions EVP, s’attend à une baisse de plus de -10 % de son trafic total sur l’ensemble de l’année.
Bruno Mouly