« La semaine prochaine, la
Commission européenne, dont le crédo était jusqu’à présent la libéralisation du
transport aérien, va travailler, à l’instigation de la France et l’Allemagne,
sur une proposition pour établir des conditions de compétition loyale avec les
pays hors Union européenne », s’est félicité Jacques Le Guillou, directeur
adjoint du Transport aérien, en commentant, le 16 juillet, le nouveau rapport
du Commissariat général à la stratégie et à la prospective (CGSP), intitulée
« Les compagnies aériennes européennes sont-elles mortelles ?
Perspectives à 20 ans ».
Une interrogation qui agite
d’autant plus dans l’Hexagone, que, des trois grands transporteurs du Vieux
Continent qui ont traversé les 20 dernières années, si Lufthansa affiche une
santé solide et AIG (British Airways-Iberia) se maintient, Air France-KLM accuse
une dette significative (6 milliards d’euros fin 2012). Fragilisé dans un
contexte de forte concurrence qui dépasse les frontières de l’Union européenne
(UE), le couple franco-néerlandais Air France-KLM s’est rapproché d’Etihad, une
compagnie d’Abu Dhabi avec laquelle il a signé des accords de partage de code
et cherche à développer de nouvelles liaisons commerciales.
Force est de constater qu’avec
des carnets de commandes d’avions très fournis (ce qui profite notamment à
EADS), les compagnies du Golfe, comme Emirates, sont devenues des concurrents
redoutables en Europe et hors UE. La position géographique de cette région est
pour elles aussi un atout pour aborder l’Extrême-Orient et l’Afrique. Et après
avoir qualifié Etihad de « prédateur » en Europe, Air France-KLM a
finalement choisi de coopérer avec la compagnie émiratie.
Un impératif : assurer une concurrence équitable
« Il est de la
responsabilité de l’État d’assurer des conditions de concurrence équitable dans
l’Union européenne et avec le reste des compagnies dans le monde », défend
Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la Stratégie et la prospective (notre
photo). Il y a un an, la Commission européenne plaidait pour des « clauses de
concurrence loyale » à intégrer dans les accords bilatéraux sur les services
aériens existant entre les États membres de l’UE et les pays tiers.
« A ce jour, toutefois, les
compagnies européennes n’ont pas été mesure que prouver que leurs concurrentes
du Golfe bénéficiaient de prix sur les carburants à des conditions
avantageuses. En revanche, ces dernières bénéficient de coûts aéroportuaires
avantageux », note Claude Abraham, président de mission et co-auteur de
l’étude du CGSP, avec Aurélien Croq et François Vieillard. Elles disposent
aussi d’aéroports modernes et fonctionnels que les États financent, ce qui
n’est pas le cas sur le Vieux Continent.
« Pour les longs courriers, il ne faut
pas oublier non plus Turkish Airlines », souligne Claude Abraham. Or, ce
transporteur bénéficie d’un élan commercial très important en Turquie et
d’infrastructures de grande qualité. Déjà dotée de deux aéroports, la ville
d’Istanbul sera dotée en 2018, soit deux ans avant les Jeux Olympiques de 2020,
d’un troisième aéroport au nord-ouest qui permettra de relier 40 % de population
mondiale avec des appareils moyen courriers. « Avec une capacité de 145
millions de passagers, soit le double de Roissy Charles de Gaulle, ce sera le
plus grand aéroport du monde », observe Jacques Le Guillou.
L’importance croissante du low cost
La situation à l’intérieur de
l’UE n’est pas meilleure pour les transporteurs traditionnels, confrontés au
dynamisme des sociétés low cost, comme Ryanair, Air Berlin et Easyjet, à
l’origine de l’essor du marché ces dernières années. « C’est moins cher
pour le consommateur, l’offre s’étoffe énormément. Mais encore faut-il que tous
ces nouveaux transporteurs soient des compétiteurs loyaux », insiste le
directeur adjoint du Transport aérien, pointant du doigt Ryanair, qui « ne
paie pas ses cotisations sociales ».
D’après le rapport du CGSP,
« Ryanair fonde sa rentabilité sur des liaisons qui ne sont que peu ou pas
desservies par les compagnies historiques et par l’utilisation d’aéroports
secondaires », mais « on dit aussi que le bénéfice de Ryanair serait
égal aux subventions que leur accordent les aéroports. Et cela est vrai, la
France a les moyens de régler le problème », assure Dominique Auverlot,
coordinateur de l’étude.
Quatre scenarii d’avenir : du statu quo à la disparition
Pour résister à la compétition
intra et extra européenne, les
compagnies européennes ont cherché dans le passé « à se renforcer sur le
marché touristique, à modifier leur organisation pour améliorer la
productivité, ont créé leur propre sociétés low cost pour développer de
liaisons point par point et ont conclu des accords de compagnie à compagnie
pour mutualiser les coûts, voire les recettes. Elles se sont, enfin,
constituées autour de grandes alliances, comme StarAlliance,SkyTeam et Oneworld »,
constate Claude Abraham.
Est-ce
suffisant ? Le rapport imagine quatre scénarii pour les 20 ans à
venir :
1) Statu
quo : les transporteurs européens parviennent à s’adapter, notamment en
laissant à leurs filiales low cost la responsabilité des dessertes de courte
distance.
2) Les petits
indépendants comme SAS sont absorbés et des trois groupes européens il n’en
reste que deux. « Dans ce cas, le plus probable est une concentration
continentale, à condition que la Commission européenne l’accepte », estime
Claude Abraham. D’autres regroupements sont aussi possibles et certains
transporteurs de focalisent sur les longs courriers pour survivre.
3) L’intégralité
des activités moyen-courrier est captée par des spécialistes du low cost,
indépendants ou liés aux compagnies historiques. Pour le long-courrier, la
position des transporteurs traditionnels se dégrade, en raison de la force de
la concurrence étrangère, en provenance des États-Unis – la fusion d’American
Airlines et de US Airways marque ainsi l’achèvement de la concentration du ciel
américain – du Golfe, de Turquie et, peut-être demain, de Chine et d’Inde.
4 ) Les compagnies
européennes disparaissent.
Une taxe sur les carburants est « une très mauvaise idée »
« Compte tenu
des défis que doivent relever nos entreprises, « montrer l’exemple »
en instituant une taxe spécifique sur les carburants en France ou en Europe est
alors « une très mauvaise idée », juge Claude Abraham. Les
rapporteurs du CGSP préconisent d’abord « de lancer des études
d’impact sur les compagnies européennes pour éviter toute discrimination
négative en matière de compétitivité par rapport aux compagnies aériennes hors
Europe ».
Sans compter que
les transporteurs vont devoir s’adapter à la volatilité des prix du pétrole.
« Quand on parle de mortalité, la façon de se couvrir contre cette
volatilité sera très importante », prévient Dominique Auverlot. Selon
Claude Abraham, « les carburants représentant entre 20 et 40 % du coût
siège au kilomètre, l’achat de couvertures pour se protéger des variations des
cours sera essentiel ».
François Pargny