L’histoire est originale : Isigny Ste-Mère, groupe laitier dirigé par deux CCEF, a eu l’idée d’emmener quatre PME plus petites dans son sillage à la conquête du marché nord-américain, avec l’aide d’un V.I.E.
Daniel Delahaye, directeur général d’Isigny Ste-Mère et président des CCEF Basse-Normandie, et Luc Lesénécal, directeur général adjoint et CCEF également, ont décidé début 2009 de parrainer 4 PME de Basse-Normandie, appartenant à leur secteur d’activité l’agroalimentaire. Ce sont le groupe Rougereau (Les Toques rebelles,
académie culinaire et photos culinaires) Chevaliers d’Argouges (chocolatier), Le Manoir des abeilles (fabricant de miel et biscuits) et Frisson normand (fabricant de confiture de lait ).
Comme le raconte Luc Lesénécal : « Il a d’abord fallu identifier des entreprises intéressées par ce projet avec comme critères : que ce soient des entreprises agroalimentaires de la région, primo-exportatrices, mais avec des produits exportables et de qualité pour coller à notre image. Je crois qu’il est important de rester dans notre métier pour les faire profiter de notre expérience. » La sélection des 4 PME est le fruit d’une collaboration entre les CCEF, le Comité d’expansion agroalimentaire, la chambre de commerce régionale et Ubifrance.
Isigny Ste-Mère, groupe laitier qui exporte 40 % de sa production, principalement des fromages, a choisi de les emmener dans une zone qu’il connaît déjà bien : les États-Unis et le Canada. « Je pense, explique Luc Lesénécal, que nous avons une carte à jouer aux États-Unis avec l’image de la Normandie et de la
specialty food. »
Leur idée, au cœur des missions des CCEF, fut de mettre en place un V.I.E à temps partagé entre ces 4 PME. Solution intéressante puisque cela leur revient à un peu moins de 1 000 euros par mois tout compris (salaire du V.I.E, bureau, frais de déplacement, voiture). Et cela grâce à l’aide de la région qui prend en charge la moitié du coût du V.I.E, mais aussi grâce à l’aide logistique d’Isigny qui l’héberge dans son bureau à New York.
« Notre responsable de filiale gère ce V.I.E à temps partagé, Emmanuel Janot, ainsi que celui que nous avons sur place pour Isigny, explique Luc Lesénécal. La présence de ces deux personnes est un avantage pour tous car cela crée des synergies et permet les échanges d’informations. »
L’idée a tout de suite plu aux PME. Comme le raconte Franck de Mondésir, en charge du développement commercial de Chevaliers d’Argouges : « C’est Luc Lesénécal qui nous a contacté. Notre priorité à l’époque était de couvrir l’ensemble de la France après nous être implantés en Normandie et en région parisienne. Nous avions déjà l’idée d’aller un jour aux États-Unis, mais, seuls, nous n’aurions pas pu le faire tout de suite. Cette formule à coût modique nous a donc semblé être une chance pour notre PME et nous avons décidé de nous lancer. »
La première tâche du V.I.E, conseillé par l’équipe d’Isigny, a été de préparer l’arrivée des PME sur le marché américain : mise aux normes des emballages, agrément de la FDA (Food and Drug Administration), indispensable pour vendre aux États-Unis. « Nous avons commencé par ajuster nos produits au marché américain, souligne Franck de Mondésir, par exemple, fabriquer un packaging en anglais avec les nutrition facts, avoir des formats et des tarifs conformes aux habitudes américaines. La « French Touch » est un atout, mais après il faut s’adapter
au marché. »
« Nous avons ensuite ouvert notre carnet d’adresses, reprend Luc Lesénécal, pour mettre les PME en relation avec nos propres interlocuteurs aussi bien les grossistes/importateurs que les chaînes de grands magasins. Les résultats sont là. Au bout de six mois, deux entreprises avaient déjà des commandes.»
« Cela a vraiment permis d’accélérer les choses, témoigne Franck de Mondésir, les contacts sont facilités. » Mais bien sûr, au final, il faut que le produit plaise à l’importateur. C’est d’ailleurs également un enjeu important pour Isigny : « Si l’on présente quelqu’un à un fournisseur américain, il faut que le produit soit convaincant. Nous engageons aussi notre image et notre crédibilité vis-à-vis des acheteurs américains. »
Une autre action de ce parrainage a été de faire participer les quatre PME aux salons Fancy Food Show, sur le stand d’Isigny. Comme le raconte en souriant Luc Lesénécal, « les acheteurs commencent par tester nos camemberts et nous les incitons à finir avec une petite note sucrée : du miel, de la confiture de lait ou
un chocolat ».
La formule semble très séduisante. Mais attention, préviennent les CCEF comme les PME choisies, cela demande quand même un fort engagement de la part de tous. Chaque entreprise est allée au moins deux fois sur place.
Pour Luc Lesénécal, qui suit de très près les dossiers, c’est un investissement lourd qui occupe presque 10 % de son temps. « Chaque semaine, j’organise une conférence téléphonique avec le V.I.E et l’équipe d’Isigny sur place. Le V.I.E vient tous les deux mois en France, et passe une journée dans chaque PME. J’y vais aussi pour faire un bilan d’étape. En outre, j’interviens à la demande des entreprises pour leur donner des contacts. Et, comme je vais souvent aux États-Unis, je leur fais part de mon feedback et de celui des acheteurs. » C’est un aspect que les PME apprécient, comme le souligne Franck de Mondésir : « Luc Lesénécal a une vraie expertise sur ces sujets. Tous les deux ou trois mois, nous faisons un point pour voir ce qui marche bien et ce qu’il faut améliorer. Son avis est important. »
« Je suis aussi le garant de l’équilibre de l’emploi du temps du V.I.E. Il faut que cela fonctionne de manière transparente, avec beaucoup de communication entre tous », reprend Luc Lesénécal. Il souligne aussi quelques règles essentielles : « L’important est de trouver les bonnes entreprises, complémentaires sans qu’il y ait concurrence ni entre elles ni avec nous. Les PME doivent être motivées, et avoir bien compris ce qu’il y avait à faire. Par exemple, suivre les conseils pour l’adaptation au marché et, surtout, être réactives. »
C’est aussi l’avis de Chevaliers d’Argouges. « Il ne faut pas croire que l’on a des résultats juste en faisant un chèque de 1 000 euros par mois. Il faut bien prendre conscience que se faire porter ne consiste pas à se faire traîner. La clé du succès est une implication importante de l’entreprise », explique Franck de Mondésir, qui vient de rentrer de sa quatrième tournée aux États-Unis. « Après le salon Fancy Food Show de San Francisco en janvier 2010, ajoute-t-il, j’ai passé une dizaine de jours avec le V.I.E, qui avait préparé le terrain, pour concrétiser les contacts. Et les choses avancent. Nous commercialisons depuis quelques mois nos produits à New York et devrions avoir une commande d’un gros importateur de Chicago pour Noël prochain. Nous avons aussi de bons contacts à Seattle et Boston. »
Beaucoup de travail donc, mais aussi des joies partagées. « Quelques mois à peine après le début de l’expérience, à Noël dernier, raconte Luc Lesénécal, dans la boutique d’épicerie fine Zabar, une des plus belles boutiques de New York, j’ai vu avec une grande satisfaction un linéaire de chocolats Chevaliers d’Argouges, pas très loin de nos rayons de fromages Isigny. »
Le plus grand souhait d’Isigny est que d’autres entreprises reprennent cette idée qui, à la lumière de son expérience, semble une bonne méthode pour entraîner les PME vers l’export.
Données clés
Chevaliers d’Argouges
Chocolat haut de gamme artisanal
Effectif : 60 personnes
CA 2009 : 6,5 millions d’euros
Studio Rougereau
Académie culinaire et photos culinaires
Effectif : 4 personnes
CA 2008 : 650 000 euros
Le Manoir des abeilles Miel, pain d’épice et biscuits
Effectif : 13 personnes
CA 2008 : 2 608 000 euros
Frisson normand
Confiture de lait et glaces
Effectif : 5 personnes
CA 2008 : 300 000 euros
Parrains CCEF : Luc Lesénécal et Daniel Delahaye
S.M.