Le projet d’une taxe carbone à l’importation pour les produits venant de producteurs de pays tiers non vertueux en matière de lutte contre le changement climatique fait son chemin dans l’Union européenne (UE), et les opérateurs du commerce international doivent s’y intéresser. Une des options en discussion est un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières.
Un avant-goût des travaux en cours au niveau des institutions européenne sur ce sujet a été livré par l’eurodéputé écologiste français Yannick Jadot lors d’un point presse en visioconférence le 22 octobre. Il visait à présenter un projet de résolution dont il est rapporteur au titre de la commission de l’Environnement, de la santé publique et de la sécurité alimentaire, mais associant également les commissions du Commerce international (INTA) et des Affaires économiques et monétaires.
Intitulé « Vers un mécanisme européen d’ajustement des émissions de carbone aux frontières compatible avec l’OMC (2020/2043(INI) », ce projet de résolution sera soumis au vote du Parlement européen début janvier 2021 (voir le document attaché à cet article).
Un consensus au sein du Parlement européen
Pour Yannick Jadot, « cela va être un grand sujet pour l’Union européenne et un test de légitimité et de crédibilité ». Il s’agit en effet de bâtir une politique publique « à la hauteur de l’enjeu climatique » tout en démontrant que l’Union n’est pas « naïve » concernant la protection de son industrie.
Rappelons que le Parlement européen à voté pour une réduction des émissions de gaz à effets de serre de 60 % à l’horizon 2030, le Conseil penchant de son côté pour un taux de 55 %.
Selon Yannick Jadot, un certain consensus existe parmi les eurodéputés sur la question : « Pour nous au Parlement européen, il n’y a pas de doute sur la nécessité d’un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières. Le sujet c’est comment, et garantir la compatibilité du dispositif avec les règles de l’OMC ».
Concernant le « comment », plusieurs options sont sur la table selon l’eurodéputé français : un mécanisme proche de l’actuel système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (le SEQE-UE), des droits de douane spécifiques, une forme de taxe à la consommation qui favoriserait les produits vertueux nationaux ou importés, et même un rabais (ou subvention) aux exportations.
L’eurodéputé français semble pencher pour une formule proche de la première option, qui a l’avantage de ne pas toucher à la fiscalité – sujet sensible au niveau national- et relèverait de la « codécision » Conseil / Parlement, évitant la règle de l’unanimité. « Un des éléments importants de la discussion est l’articulation entre le marché carbone européen, le système des échanges de quotas d’émission (ETS) et le mécanisme d’ajustement aux frontières » précise l’eurodéputé.
Inciter les partenaires commerciaux
Un tel mécanisme d’ajustement des émissions de carbone aux frontières (en anglais, Carbon Border Ajustment Mechanism, CBAM) aboutirait, quelle que soit sa forme, à une forme de surtaxe à l’importation des produits trop gourmands en carbone.
Dans l’esprit du rapporteur, il poursuivrait deux objectifs principaux : contribuer aux objectifs européens de lutte contre le changement climatique en ayant un effet incitatif sur les partenaires commerciaux de l’Union, et en même temps endiguer la désindustrialisation par la protection des industries propres, voire encourager la relocalisation d’un certain nombre d’activités et une politique industrielle européenne plus « durable ».
D’après le projet de résolution, les importations nettes de biens et de services représentent plus de 20 % des émissions de CO2 de l’Union et « n’ont cessé d’augmenter ». De quoi réduire à néant les efforts de réduction des émissions de gaz à effets de serre (GES) menés par ailleurs dans les États membres : la baisse des GES avait été estimée à 23,2 % en 2018 par rapport à 1990.
Les grands principes
Pour l’heure, le projet de résolution vise à peser sur les débats. « Nous avons voulu, à travers ce rapport, poser des principes », explique Yannick Jadot.
Premier principe, le projet de résolution préconise d’abord que le mécanisme s’applique à terme « à l’ensemble des produits importés afin de couvrir l’ensemble de notre empreinte carbone et d’éviter des distorsions sur le marché intérieur ». Dans une période transitoire, toutefois, il ne s’appliquera qu’aux « principales matières premières dont la production est très émettrice de CO2 et est couverte par le marché carbone européen », allusion au système d’échange de quotas d’émission de l’Union européenne (le SEQE-UE).
Deuxième grand principe, ce mécanisme doit « s’appliquer le plus rapidement possible et dès 2023 ». Selon le projet de résolution, « l’articulation avec le marché ETS sera d’autant plus efficace que la période de transition sera courte » et un « CBAM efficace doit permettre de mettre fin aux quotas gratuits » qui, selon les auteurs, ont eu des effets pervers. En ligne de mire, certaines industries comme le ciment.
Troisième grand principe : la compatibilité avec les règles multilatérales OMC. Celle-ci ne poserait pas de problèmes, plusieurs articles du GATT permettant d’agir, selon le texte, au nom de « d’intérêts supérieurs au commerce, comme l’environnement et la santé ».
Enfin quatrième et dernier principe : que ce mécanisme puisse « alimenter le budget européen en tant que nouvelle ressource propre » et que cette nouvelle source de revenus soit « principalement affectée au Green deal et à la transition juste mais qu’une partie significative soutienne les transitions dans les pays les plus pauvres et les plus impactés par le dérèglement climatique ».
Ce projet de résolution, qui doit être adopter par le PE début 2021, a vocation à peser sur les orientations que prendra l’UE dans ce domaine, une décision devant être prise par la Commission européenne au deuxième trimestre 2021. L’exécutif européen a commandé des études d’impact dont les résultats sont attendus à la fin de cette année.
A suivre
Christine Gilguy