Après avoir contribué à sceller l’Accord de Paris sur le climat, la France semble bien décidée à garder le leadership européen et mondial en matière de lutte contre le changement climatique. Mercredi 23 mars, pas moins de trois ministres ont été mobilisés pour intervenir lors d’une conférence internationale virtuelle, organisée par la France, sur le futur Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (MACF), surnommé « taxe carbone aux frontières ».
Les ministres des Affaires étrangères, de l’Économie, et de la Transition écologique, Jean-Yves Le Drian, Bruno Le Maire et Barbara Pompili, sont tour à tour intervenus, en anglais, pour débattre avec des représentants, experts et universitaires – européens et de pays tiers – des avantages, difficultés et défis posés par ce mécanisme que l’UE souhaiterait mettre en œuvre dès 2023.
La proposition de la Commission européenne doit être présentées en juin prochain, à l’issue de la phase de consultation récemment lancée à Bruxelles. Le Parlement européen a déjà adopté une résolution.
Renforcer la coopération internationale
« Il est temps d’agir, il est temps de décider », a martelé Bruno Le Maire, premier intervenant lors de cette conférence. Insistant sur le caractère international de cette initiative, le ministre a souligné la nécessaire coopération mondiale autour de ce sujet : « il ne s’agit pas, aujourd’hui de nous concentrer sur les Européens. Il ne s’agit pas seulement de problématiques propres à l’UE mais qui touchent l’ensemble de la planète », a- t-il indiqué avant de conclure : « personne ne devra être laissé derrière sur cette longue route qui doit nous mener, à terme, à la neutralité carbone ».
Bien conscients des réticences de certains pays tiers, notamment les États-Unis, envers ce mécanisme, Paolo Gentiloni, le commissaire en charge de l’Économie à Bruxelles, s’est félicité de la « nouvelle dynamique globale en faveur de la lutte contre le changement climatique ».
Et si le nouveau président américain, Joe Biden, estime que le MACF devrait être mis en œuvre en dernier ressort, car il risque d’avoir des implications importantes sur le commerce et l’économie, son administration reste plus ouverte que la précédente pour renforcer la coopération internationale en la matière.
En témoigne sa réintégration à l’accord de Paris. « Le Japon, la Corée du Sud, le Canada sont eux aussi engagés sur ce chemin. Même la Chine envoie des signaux positifs », a commenté l’ancien Premier ministre italien.
Des ambitions climatiques encore trop hétérogènes.
Les politiques pro-environnementales ont eu beau tripler au cours de cette dernière décennie, elles révèlent toutefois d’importants écarts d’ambition entre les pays et régions du monde, s’est inquiété Laurence Boone, chef économiste à l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
En matière de tarification carbone, une soixantaine d’initiatives ont vu le jour jusqu’ici mais elles ne couvrent que 22 % des émissions mondiales.
Différents cadres existent à l’heure actuelle.
Il peut prendre par exemple la forme d’une taxe carbone, un instrument-prix « qui fixe un prix pour l’émission d’une tonne de gaz à effet de serre, qui doit être payé lors de la production ou de la consommation des produits faisant l’objet de cette taxe », résume un document publié, en vue de la conférence, par la Direction générale du Trésor français*.
L’autre système, mis en œuvre dès 2005 au sein de l’UE, est celui du système d’échange de quotas d’émissions (SEQE). Le principe est le suivant : on délimite un prix du carbone et on fixe des quotas d’émission de gaz à effet de serre pour les entreprises. Si elles dépassent leurs quotas, elles peuvent en acheter à d’autres entreprises qui, elles, ont moins pollué.
Mais les niveaux de tarification carbone, quand elles existent, restent très hétérogènes. Alors que plus de 75 % d’entre-elles fixent un prix inférieur à 10 USD/tonnes de Co2, la moyenne raisonnable devrait osciller entre 40 et 80 USD/t en 2020 avant d’atteindre 50-100 USD/t d’ici à 2030 pour se conformer aux objectifs de l’accord de Paris.
Le risque de perdre en compétitivité face à une concurrence déloyale
Avec un prix record de 40 EUR/t sur le marché carbone, l’UE est dans les clous mais doit poursuivre ses efforts. Le problème est qu’en agissant seule, elle s’expose à deux types de risque.
Le premier risque est la perte de compétitivité de ses entreprises soumises à une concurrence déloyale de la part de concurrentes basées dans des pays où les règles environnementales sont bien moins strictes.
« A ce niveau de prix, ce n’est pas possible pour les entreprises européennes concernées de rester en concurrence avec des acteurs économiques qui paieraient zéro sur le Co2. Moi je ne peux pas aller dans le nord de la France, à Dunkerque, dans l’usine sidérurgique d’Arcelor Mittal et leur dire vous allez perdre le marché parce que ce sont les Indiens, les Turcs qui vont exporter, sans payer le prix carbone à l’UE. Ce n’est pas possible ! », avait martelé Pascal Canfin, eurodéputé français, président de la commission Environnement au Parlement européen, lors d’une session plénière à Bruxelles le 8 mars dernier.
Limiter les fuites de carbone grâce au MACF
En imposant aux produits importés les plus polluants, tels que l’acier ou le ciment, le même prix carbone que celui payé par les producteurs européens, le MACF pourrait non seulement protéger les entreprises de l’UE contre une concurrence moins-disant écologiquement, mais aussi limiter un second risque, celui de la fuite carbone, c’est à dire, en gros, le fait d’aller polluer ailleurs.
Difficile à quantifier, les fuites de carbone sont aujourd’hui estimées dans une fourchette comprise entre 5 à 30 %. Concrètement cela revient à dire que pour 10 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre évitées dans un pays ou une région, où les ambitions climatiques sont fortes, les émissions, ailleurs, augmenteraient de 0,5 à 3 tonnes. « Un phénomène d’une ampleur d’ores et déjà conséquente, qui risque en outre de s’intensifier avec le rehaussement de l’ambition climatique de l’UE pour 2030 », indique le document réalisé par le DG du Trésor.
Paris plaide pour la fin des quotas gratuits…
Or les instruments existants ne permettent pas de lutter efficacement contre les risques de fuite carbone.
Dans le système actuellement en vigueur au sein de l’UE (SEQE), les entreprises identifiées comme les plus polluantes (acier, ciment, chimie, aluminium, raffinage, papier de verre), continuent à recevoir des quotas gratuits pour faire face à la concurrence mondiale.
Le problème posé par ce dispositif est double : non seulement il limite l’ambition climatique européenne, les entreprises du bloc n’étant pas assez incitées à décarbonater leur production, mais en plus il réduit l’effet de la tarification carbone, « en ne conduisant pas à une répercussion complète du prix de marché des quotas dans le prix des produits européens intensifs en émissions », analysent les auteurs du document.
Alors que le débat fait rage au sein de l’UE, de nombreux pays restant farouchement opposés à la disparition des quotas gratuits pour les entreprises les plus polluantes, la France affiche ainsi très clairement sa position : le système est dépassé.
Il aurait même généré des effets contre-productifs, souligne la note de la DG Trésor : « elle a pu inciter à une surproduction pour les secteurs les plus intensifs en émissions, en raison d’une surallocation au cours des premières phases du SEQE de l’UE ». Par le passé, ces secteurs ont en effet reçu plus de quotas gratuits que le niveau de leurs émissions vérifiées.
Pour un SEQE « en miroir »
Plutôt qu’une taxe carbone, la France privilégie « une approche graduelle fondée sur un système de quotas en miroir du SEQE de l’UE, prenant en compte les politiques climatiques et le niveau de développement des pays tiers ».
Dans la pratique, les importateurs devront ainsi s’acquitter de quotas d’émission spécifiques, lors de leur passage à la douane. Les volumes de quotas à restituer seraient calculés sur la base du contenu carbone des produits et le prix fixé serait le même que celui des quotas calculés dans le cadre du SEQE.
Ces quotas ne seraient toutefois « ni échangeables ni fongibles » avec ceux du système européen « afin de ne pas altérer sa structure et son équilibre interne », précise le document de la DG du Trésor.
Outre l’efficacité envisagée du système pour mieux lutter contre les risques de fuite carbone, le MACF répondrait aussi à l’impératif de non-discrimination pour garantir sa compatibilité avec les règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).
Sa mise en place devra également être graduelle. Paris envisage en effet une phase de transition afin de permettre aux acteurs concernés une bonne appropriation du dispositif. Au sein de l’UE elle permettrait de sortir progressivement du système actuel, avec ses quotas gratuits, d’ici 2030.
Une approche par étape également encouragée par la cheffe économiste de l’OCDE. Citant l’exemple suédois où le prix de la tonne de Co2 atteint aujourd’hui 100 euros, Laurence Boone rappelle que le système a été mis en place sur plusieurs décennies. « L’acceptabilité sociale » des mesures étant pour elle un élément fondamental à prendre en compte lors de la mise en place de ce futur mécanisme.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Cette note de la DG Trésor est dans le fichier attaché à cet article (voir plus bas)