La diversification des supply chains internationales, prônée par les entreprises et les politiques industrielles des gouvernements, a-t-elle commencé à produire ses effets ? C’est la question à laquelle tente de répondre une étude de la plateforme de gestion du transport de fret Upply sur l’évolution des importations européennes et états-uniennes depuis la Chine.
Ne pas mettre ses œufs dans le même panier. La mondialisation et le statut d’atelier du monde de l’Empire du Milieu depuis plus de trente ans avaient fait oublier cette règle d’or du commerce que la politique zéro-Covid de Pékin et la guerre en Ukraine ont remis à l’ordre du jour. Si tous les acteurs du commerce international s’accordent sur l’impérieuse nécessité de diversifier les supply chains, autrement dit ses fournisseurs étrangers, qu’en est-il concrètement ?
Premier constat : les États-Unis ont mené cette stratégie plus rapidement que l’Europe. L’étude des flux commerciaux montre en effet, selon Upply, qu’au cours des cinq dernières années, même si le volume absolu des échanges entre la Chine et les États-Unis continue d’augmenter, la part de la Chine dans les importations américaines est passée de 21 % en 2018 à 17 % en 2022.
En revanche, la situation de l’Union européenne (UE) est plus complexe. A première vue, elle est même inverse.
La part de la Chine dans les importations totales de l’UE (intra-UE et extra-UE confondues) est en effet passée de 7 % en 2018 à 9 % en 2022. Cependant, sa part dans les seules importations de l’UE en provenance de pays tiers a diminué au cours de ces deux dernières années. La crise énergétique et les évolutions géopolitiques ont limité l’approvisionnement intra-UE et ont favorisé une augmentation de la demande en produits énergétiques provenant de l’extérieur, comme le GNL américain.
L’Asean, le Mexique, Taïwan, la Corée et l’Inde montent en puissance
Outre-Atlantique, cette réorientation des importations touche plus particulièrement les biens d’équipement, principalement au bénéfice de l’Asie du Sud-Est et de Taïwan. Dans l’automobile, les importations d’origine chinoise demeurent solides, mais la position du Mexique en tant que fournisseur clé s’est nettement renforcée, observe Upply.
Second constat : concernant les biens intermédiaires, cette diversification des sources s’observe également dans des pays proposant une alternative à l’omniprésent fournisseur chinois. Ainsi, l’Asean, le Mexique et l’Inde ont tous connu une croissance de la part des biens intermédiaires chinois jusqu’en 2021. Cette année-là, la reprise précoce de la production chinoise a propulsé les exportations à un niveau record tandis que la pandémie continuait à peser sur les capacités de production des autres pays.
Mais, en 2022, changement de paradigme : face au regain du nombre de cas de Covid-19, la Chine se claquemure à nouveau et ses exportations baissent à nouveau. Dans les pays de l’Asean, cette contraction des échanges est perceptible dans les biens d’équipement et le textile, soit les deux secteurs dans lesquels le déploiement de stratégies « Chine + 1 » (aller en Chine plus un autre pays de la zone) est le plus visible. L’Empire du Milieu reste, de très loin, le premier fournisseur de matières premières et de biens intermédiaires dans l’Asean, mais l’étude d’Upply relève une augmentation des importations en provenance de Taïwan et de la Corée du Sud dans le secteur des machines et un approvisionnement intra-Asean en plein essor pour l’industrie textile.
A l’autre bout du monde, au Mexique, toujours dans l’automobile, la part de la Chine dans la fourniture de pièces automobiles a fortement augmenté au cours de la dernière décennie, passant de 3,6 % en 2012 à 10,2% en 2021. Les données pour 2022 ne sont pas encore disponibles, mais l’étude constate que la part de la Chine dans la fourniture globale de biens intermédiaires au Mexique a légèrement diminué, en particulier au cours du second semestre 2022, pour atteindre son niveau de 2019 en fin d’année.
Quid de l’Inde ? Ce pays suscite en effet un intérêt majeur pour l’extension de capacités de production, en atteste l’installation de nouvelle usine Foxconn, sous-traitant taïwanais d’Apple. L’étude des statistiques douanières montre que, même si la Chine reste le plus important fournisseur de biens d’équipement de l’Inde, sa part a fléchi en 2022 au profit de Singapour, de la Corée du Sud et du Vietnam.
L’Inde pourrait bien être la grande gagnante de cette reconfiguration de la production manufacturière mondiale. En témoigne, le déferlement d’investissements directs étrangers (IDE). Avec 60 milliards de dollars sur les neuf premiers mois de l’année, rappelle Upply, le pays est devenu en 2022 la première destination d’investissements consacrés à de nouveaux projets industriels dans la région Asie-Pacifique, pour la première fois devant la Chine.
Les PECO font de la résistance
Parmi les régions étudiées, seuls les pays d’Europe centrale et orientale (PECO) font exception à la diversification. La position de la Chine en tant que fournisseur de biens intermédiaires s’y est renforcée au fil des ans, en particulier à partir de 2020. Les biens intermédiaires chinois représentent désormais 34 % des importations polonaises en provenance de pays tiers, soit 14 points de plus qu’il y a dix ans.
Reste à savoir si cette tendance est durable. Les exportations chinoises au premier trimestre de cette année semblent indiquer que non : elles ont renoué avec la croissance, quoique modestement (+ 0,5 %). Les analystes d’Upply estiment néanmoins qu’un nouveau modèle de supply chain est en train de voir le jour. Outre l’essor du commerce Chine-Russie, les exportations chinoises se redirigent vers les pays de diversification des approvisionnements, comme l’Asean, le Mexique, l’Inde et la Turquie.
En revanche, les expéditions de marchandises par la Chine vers États-Unis ont continué de diminuer. Idem à destination de l’UE, mais de manière plus marquée à l’Ouest que dans les PECO. Pour Upply, « ces éléments suggèrent une croissance continue des liens entre la Chine et les pays privilégiés en tant qu’options de diversification en matière de sourcing ».
Sophie Creusillet