Il était de loin le candidat favori des Européens. Avec Joe Biden à la tête de la première puissance mondiale, les relations transatlantiques devraient entrer dans une nouvelle phase, « plus apaisée et surtout plus prévisible », estime un haut fonctionnaire européen.
Même son de cloche dans la grande majorité des capitales européennes. Après l’annonce, par les médias américains, de la victoire du candidat démocrate, samedi 7 novembre, les chefs d’État et de gouvernement de l’Union européenne (UE) se sont empressés de féliciter le nouveau Président élu, avant même que Donald Trump ait reconnu sa défaite, comme le veut l’usage.
« L’UE se tient prête à intensifier la coopération avec la nouvelle administration américaine et avec le nouveau Congrès. Ensemble nous nous attaquerons aux défis globaux », a commenté Ursula Von Der Leyen, la Présidente de la Commission, dans un message vidéo posté sur le site de l’institution.
Parmi les priorités évoquées figurent notamment la pandémie de coronavirus, « et ses conséquences économiques et sociales », la lutte contre le changement climatique, les nouvelles règles du jeu pour l’économie et la société numérique, la sécurité globale et la réforme du système multilatéral basé sur les règles. « Je me réjouis de promouvoir cet agenda global, ensemble avec le prochain président des Etats Unis, Joe Biden », conclut l’ex-ministre allemande.
Le moment de réagir, selon Thierry Breton
Mais à Bruxelles, et ailleurs en Europe, l’heure n’est plus à la naïveté. Et si la relation transatlantique est toujours considérée comme la colonne vertébrale de la politique extérieure de l’UE, elle est amenée à évoluer, comme l’entendait Angela Merkel lorsqu’elle déclarait en mai 2017 que l’Europe devait « prendre en main sa propre destinée ».
Car ce serait une « erreur de voir Trump comme une simple aberration », souligne un article publié par le Centre européen pour la réforme (CER), un think tank pro-européen basé à Londres.
« Je crois que l’Amérique a beaucoup, beaucoup, changé. Evidemment sous la présidence de Donald Trump mais pas uniquement. Vous savez l’Amérique a changé également sous Obama », analysait Thierry Breton, le commissaire en charge du Marché intérieur, sur les ondes d’Europe 1 avant de conclure : « Pour nous Européens c’est évidemment le moment, le moment de réagir (…) L’Europe ne peut plus se permettre d’être naïve, l’Europe doit prendre son destin en main. »
Diversifier les partenariats
Preuve que, pour les Européens, rien ne sera plus comme avant. « Parce que le monde a changé, comme les États-Unis mais aussi l’Europe », a souligné Ursula Von Der Leyen dans un discours adressé mardi 10 novembre, par visioconférence, aux ambassadeurs de l’UE en poste aux quatre coins du monde.
Pour la Présidente de la Commission, qui a pour ambition de mettre en place une Union plus géopolitique, l’Europe doit désormais prendre l’initiative pour définir « un agenda transatlantique adapté au monde d’aujourd’hui ».
Elle devra également diversifier ses partenariats avec les puissances émergentes de l’Afrique à l’Amérique latine en passant par l’Australie et les États démocratiques d’Asie. « Il n’y a pas que le dossier UE/ États-Unis sur la table », a-t-elle insisté.
Une inflexion durable dans la relation avec les États-Unis
Car la victoire de Joe Biden ne signifie pas le retour d’une Amérique amicale et protectrice. Les Européens ont désormais compris que les années Trump risquent de marquer une inflexion durable dans leur relation avec les États-Unis.
Outre les nombreux dossiers que le nouveau président élu devra traiter sur le plan domestique, en particulier sur le terrain de la lutte contre la propagation de la pandémie, c’est avant tout la confrontation avec la Chine qui restera prioritaire dans l’agenda extérieur américain.
« Au bout d’un moment, les Européens devront se rendre compte qu’ils ont toujours affaire à la même Amérique d’avant Trump qui veut maintenir son hégémonie, et face à la Chine, les utiliser comme supplétifs », avertit l’ex-ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, dans les colonnes du JDD.
Pour l’heure, le programme de Joe Biden et ses déclarations comportent de nombreuses zones d’ombre sur sa vision de la future politique commerciale américaine, comme Corinne Vadcar l’a montré dans son analyse exclusive pour Le Moci.
Climat et Brexit : points de convergence ?
La nouvelle administration à Washington pourrait toutefois se révéler favorable aux intérêts européens sur deux dossiers clés.
La lutte contre le changement climatique d’abord, priorité numéro 1 de l’exécutif à Bruxelles. Avec Joe Biden, les États-Unis devraient revenir dans la course. Le président élu s’est en effet engagé à réintégrer l’accord de Paris sur le climat, quitté sous l’impulsion de Donald Trump en 2017.
Vient ensuite l’épineuse question du Brexit. Encouragé par l’actuel locataire de la Maison blanche, le divorce voulu par les Britanniques est jugé comme une erreur historique par Joe Biden et son entourage.
« Les négociations en cours sur le Brexit se présentent sous un meilleur jour pour les Européens car Boris Johnson ne pourra plus dire au peuple britannique qu’il aura un accord commercial immédiatement avec les États-Unis. Personne n’y croira désormais », s’est félicité Manfred Weber, le président du Parti Populaire Européen (PPE), principale famille politique au Parlement européen.
Et Joe Biden, qui a toujours affiché avec fierté ses origines irlandaises, « défend avec vigueur l’accord du Vendredi saint, renforçant ainsi la position irlandaise dans les discussions. Cela va créer un levier positif pour l’Union dans les négociations avec nos amis britanniques », souligne le conservateur allemand.
Prudence sur le plan commercial
Sur le plan commercial néanmoins, les Vingt-sept se montrent bien plus prudents. « Nous savons qu’il y a des visions et des visées différentes outre Atlantique. Et que nous aurons des discussions qui seront des discussions tendues », pronostique Thierry Breton.
Dans la longue dispute qui oppose Boeing à Airbus sur les questions des subventions, dans le cadre de l’OMC, Bruxelles espère toujours parvenir à une solution négociée. « Les deux parties devraient immédiatement abandonner les contre-mesures afin que ce différend soit derrière nous », a appelé Valdis Dombrovskis, le Vice-président de la Commission en charge du Commerce, à l’issue d’une réunion avec ses 27 homologues européens.
En attendant, pas question de faire machine arrière. La riposte européenne – des droits de douanes supplémentaires imposés à certains produits américains – a été inscrite lundi 9 novembre au Journal Officiel de l’UE pour une entrée en vigueur dès le lendemain. Une décision sur laquelle Bruxelles serait cependant prête à revenir « si les États-Unis font le choix d’abandonner le rapport de force et de retirer leurs propres taxes », a estimé Franck Riester, le ministre délégué français chargé du Commerce extérieur.
Pas d’illusions sur l’OMC
Concernant la réforme de l’OMC, l’UE espère aussi plus de coopération côté américain sans toutefois se bercer de douces illusions. « On veut des résultats concrets lors de la prochaine ministérielle », a averti Peter Altmeier, le ministre allemand de l’Économie dont le pays assure la présidence tournante de l’UE.
Outre la facilitation des échanges dans le domaine des soins de santé, des progrès sur la durabilité (subventions à la pêche), ou les négociations en cours sur les nouvelles règles mondiales, il a également évoqué le blocage de l’instance d’appel de l’organe de règlement des différends au sein de l’OMC. « Des postes sont à pourvoir, il faut trouver une solution », a-t-il insisté en référence au refus des États-Unis de renouveler les juges siégeant au sein de cette cour d’appel.
Des sujets qui fâchent
Quant aux sujets qui fâchent, les Vingt-sept ont affiché leur détermination à poursuivre les chantiers engagés pendant l’ère Trump. Le réexamen de la politique commerciale de l’UE, actuellement en cours, devra servir d’instrument à l’Union pour jeter les bases d’un partenariat plus équilibré.
« Il faut veiller au respect des échanges mais éviter des dépendances vis à vis des pays tiers, et respecter notre autonomie, nos intérêts légitimes », déclarait Peter Altmeier à l’issue du Conseil Commerce, lundi 9 novembre. Les consultations lancées par la Commission se clôtureront le 15 novembre prochain. La communication devrait être présentée début 2021.
Le dossier relatif à la taxation des géants du numériques, autre sujet de discorde avec Washington, devra lui aussi avancer rapidement. Les Européens souhaitent relancer les négociations dans le cadre de l’OCDE afin de trouver une solution globale. Mais faute de progrès significatifs d’ici 2021, « l’Europe agira seule en mettant en place sa propre taxe », a annoncé Ursula Von Der Leyen lors de son discours adressé aux ambassadeurs de l’UE.
Côté européen le changement de ton est net et le message adressé à la future administration américaine a le mérite d’être clair. « L’Union européenne a l’obligation d’assumer pleinement son rôle de puissance politique et commerciale », résume Frank Riester. Une idée depuis longtemps défendue par la France mais qui aujourd’hui fait consensus au sein de l’UE.
L’élection de Joe Biden ne préfigure donc pas « un retour à la normale » dans le cadre du partenariat transatlantique. Il annonce plutôt le début d’une nouvelle ère dans les relations entre l’Europe et les États-Unis.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles