Au terme d’élections qui ont tenu le monde entier en alerte, Joe Biden a toutes les chances d’être désigné 46ème président des États-Unis, sauf coup de théâtre de dernière minute. Après l’euphorie de la victoire, il prendra les rênes d’un pays à l’économie plus mal en point qu’il n’y paraît.
A cinq jours du scrutin, la nouvelle avait provoqué chez l’actuel hôte de la Maison Blanche Donald Trump un enthousiasme débridé dont il ne manqua évidemment pas de se faire l’écho sur son compte Twitter : « Joe Biden l’endormi et sa proposition d’augmentation record des impôts, tuerait tout. Je suis tellement content que ce grand chiffre du PIB soit sorti avant le 3 novembre ». Selon une estimation du département du Commerce, publiée le 28 octobre, le PIB avait en effet bondi de +33,1 % au troisième trimestre en rythme annualisé. Du jamais vu.
Un chiffre à relativiser cependant puisque le PIB avait dévissé de -31,4 % au deuxième trimestre et que la création de richesses est encore loin du niveau atteint avant la crise sanitaire. En outre, les statistiques américaines privilégient traditionnellement l’évolution du PIB en rythme annualisé, qui le compare à celui du trimestre précédent puis projette l’évolution sur l’année entière à ce rythme.
Derrière les chiffres, une économie exsangue
Si l’on prend en compte le mode de calcul des autres économies avancées, dont celui de la France, ce rebond du PIB n’a atteint que +7,4 % après une chute de -9 % au trimestre précédent. A titre de comparaison, suivant ce mode de calcul, la France s’attend à un rebond de +16 % de son PIB entre le deuxième et le troisième trimestres. Pas de quoi pavoiser donc.
Certes, la consommation, moteur de la croissance, s’est envolée de +40,7 % au troisième trimestre, selon les données du département du Commerce. Les achats de voitures neuves, par exemple, ont augmenté de +17 %, les biens d’équipement de la maison de +12 % et les vêtements de +27,2 %.
Mais le rebond de l’activité économique enregistré entre juillet et septembre est en fait essentiellement imputable aux aides versées aux ménages et aux entreprises pour faire face à la pandémie de Covid-19. Des aides qui ont majoritairement pris fin. Sans nouveau stimulus, le PIB américain pour 2020 pourrait plonger plus qu’attendu. Le FMI table ainsi sur une baisse de -4,3 % sur l’ensemble de l’année tandis que la Fed (la banque centrale) prévoit un recul de -3,7 %.
Après sa probable investiture, en janvier prochain, Joe Biden va donc devoir s’atteler à contrer les effets économiques et sociaux de la crise sanitaire.
Alors que le taux de chômage atteignait 3,5 % en février 2020, il a en effet grimpé jusqu’à 14,7 % et s’est stabilisé à 7,9 % fin septembre, selon les données du département du Travail. Le nombre d’Américains qui déclarent avoir perdu leur emploi est actuellement de 3,8 millions (contre 2 millions en avril). Des chiffres qui laissent lourdement planer un doute sur la capacité d’une reprise de la consommation, en particulier dans un pays qui n’a pas de système d’assurance-chômage.
Un programme d’investissement massif
En janvier prochain, Joe Biden va officiellement devenir le président d’un pays à l’économie fragilisée dont les perspectives restent suspendues à l’évolution de la pandémie de coronavirus.
Son programme économique mise sur des investissements massifs dans les infrastructures (400 milliards de dollars) et l’innovation (300 milliards de dollars).
En juillet dernier, le candidat a par ailleurs annoncé un très ambitieux plan d’investissement dans l’environnement de 2 000 milliards de dollars sur quatre ans pour favoriser l’économie verte (développement de la voiture électrique, construction de bâtiments peu gourmands en énergie, réduction des émissions de carbone dans la production électrique…).
Très axé sur l’économie domestique, le programme économique de Joe Biden fait en revanche peu de place au commerce international, comme le rappelle le CEIM (le Centre d’études sur l’intégration et la mondialisation de l’Université du Québec à Montréal) dans sa dernière Chronique commerciale américaine. Des dossiers importants, pour l’économie mondiale mais aussi pour celle des États-Unis, attendent néanmoins le nouveau président, notamment la guerre commerciale avec la Chine, l’apaisement des relations commerciales avec l’Union européenne (cristallisées autour des mesures de rétorsion dans l’affaire Boeing-Airbus) ou encore la question des accords de libre-échange.
La publication du CEIM rappelle ainsi que, sous la présidence de Barack Obama, trois importantes initiatives avaient été mises en place :
– le partenariat transpacifique (PTP, regroupant des États d’Amérique, d’Océanie et d’Asie),
– le Trade in service agreement (TISA, un projet d’accord sur les services négociés par 23 États),
– le Transatlantic Trade and Investment Partnership (TTIP, un projet d’accord commercial avec l’Union européenne).
Ces trois projets sont dans les limbes depuis le début de la présidence de Trump.
Le commerce international n’a pas constitué un thème majeur du programme économique des Démocrates et la future politique commerciale américaine comporte encore de nombreuses interrogations. Elle devrait néanmoins s’affiner à l’épreuve des faits.
Sophie Creusillet