Pays réputé complexe, l’Inde est aujourd’hui dans le radar des entreprises du monde entier dans des secteurs aussi variés que les infrastructures, les services informatiques, l’automobile ou les biens de consommation. Si la présence française est encore modeste, elle croît rapidement sur ce marché en pleine effervescence, mais qui requiert d’envisager rapidement une production sur place.
« Si j’avais vingt ans de moins, c’est le pays que je choisirais », affirme le président de la commission Asie-Pacifique des conseillers du commerce extérieur de la France (CCE), Michel Beaugier. Installé depuis trente ans à Singapour où il a travaillé dans le luxe et la distribution avant d’investir dans des PME, ce fin connaisseur des marchés asiatiques ne tarit pas d’éloges sur le potentiel du pays le plus peuplé au monde qui affichera une croissance insolente de 6,4 % cette année et 6,5 % en 2025, selon les prévisions de la Banque mondiale.
« C’est un pays immense, où la classe moyenne augmente et où tout est à faire, explique le CCE. Certes la complexité administrative avec une multitude d’États et la corruption existent, mais l’Inde est aussi un pays jeune, bien formé et très digitalisé. Par exemple, toutes les banques de détail sont en ligne en Inde et on peut payer une cigarette avec son téléphone. »
Dans le contexte des tensions commerciales entre les blocs occidentaux et l’ex. Empire du Milieu et des perturbations des supply chain durant a pandémie de Covid-19, ce bouillonnement a fait de l’Inde une alternative de choix à la Chine pour nombre de multinationales cherchant à optimiser leur production en Asie. En atteste la montée en puissance de celle d’Apple.
Alternative à la Chine
Refroidie par la politique zéro-Covid de Pékin, la marque à la pomme a depuis enclenché la vitesse supérieure, confiant la fabrication de modèles de plus en plus sophistiqués à ses partenaires indiens. Sur la seule année fiscale 2023-2024, la production d’iPhone en Inde a doublé passant de 7 milliards de dollars (Md USD) à 14 Mds USD, selon des données de Bloomberg. Désormais, un smartphone de la marque sur sept est produit en Inde.
La France est le 11e investisseur étranger avec un investissement cumulé de 10,76 Md USD entre avril 2020 et septembre 2023, soit 1,67 % du stock d’IDE dans le pays. Les multinationales sont bien implantées et continuent de se développer vie des opérations de croissance externe. Les PME ne sont pas en reste avec 800 implantations locales. Bombay, Dehli, Bangalore, Pune et Chennai sont les principales villes d’accueil des entreprises et des expatriés tricolores.
L’aéronautique tire les exportations
Les exportations tricolores, qui ont stagné à 6 Md EUR en 2021 et 2022 se sont envolées de 18 % en 2023 pour atteindre 7,2 Md EUR. Cette bonne performance est largement imputable au secteur aéronautique, particulièrement porteur pour la France en Inde, et ce depuis plusieurs années (43 % des livraisons de marchandises entre 2014 et 2021). C’est également le secteur qui pourvoit le plus de PME et d’ETI. Les machines et équipements occupent le deuxième poste, devant les produits chimiques de base et la pharmacie.
« L’aéronautique, mais aussi l’énergie, l’automobile, les smart cities, le médical et la pharmacie sont des secteurs qui enregistrent une croissance de 10 % an, détaille Pierrick Bourdais coordinateur de projets au bureau d’Altios à New Dehli. C’est un marché qui va très vite et où les entreprises étrangères se positionnent pour ne pas louper le coche. » Comme sur la plupart des marchés du monde, les grandes entreprises ouvrent la voie avant que celles de taille plus modeste ne franchissent le pas.
L’enjeu de la production locale
Grandes ou petites, toutes ces sociétés doivent rapidement envisager de produire sur place en cas de succès. En 2014, le gouvernement indien a en effet lancé son plan « Make in India » qui vise à faire de l’Inde un grand hub manufacturier et, pour ce faire, privilégie les investissements de production. Il s’agit d’un enjeu crucial pour le gouvernement Modi dans un pays où le chômage des jeunes est important et où 10 millions de diplômés arrivent sur le marché du travail chaque année.
Dans le cadre de ce programme, l’avionneur Dassault a ainsi créé une joint-venture avec son partenaire indien Reliance : Dassault Reliance Aerospace Limited (DRAL). La coentreprise a construit en 2017 une usine à Nagpur, dans l’État du Maharashtra, à l’ouest du pays, pour produire des pièces de rechange dans le cadre de l’exécution des obligations d’offsets (compensations) liées au contrat d’acquisition de 36 Rafale signé en septembre 2016. Des pièces pour le Falcon 2000 (un modèle de jet) sont également produites sur place.
Un pays complexe mais pas impossible
Le « Make in India » concerne les entreprises de toutes tailles. Exemple avec les sirops Monin (900 personnes), qui a rencontré un franc succès sur le marché indien, malgré la pandémie de Covid-19 qui a provoqué un trou d’air dans les ventes de ces sirops essentiellement destinés aux professionnels (hôtels, restaurants, bars…). L’ETI berruyère, qui exporte 80 % de production et travaille jusqu’à présent avec un distributeur, doit ouvrir un site de production en 2025 dans la région d’Hyderabad.
« A un moment donné, la production sur place devient incontournable, observe Pierrick Bourdais d’Altios, qui accompagne l’entreprise dans cette aventure indienne. L’Inde est un pays complexe et comme dans tous les marchés complexes, il faut en faire une priorité et avancer. Les changements vont très vite dans ce pays, y compris dans l’environnement légal et fiscal qui est toujours en construction et connait des évolutions rapides ».
Sophie Creusillet