La French Tech n’aurait pas tenu ses promesses au dernier South by Southwest (SxSW) d’Austin, festival mondial décalé, mais majeur des technologies numériques et de la création musicale et cinématographique, qui se tenait du 13 au 22 mars dernier dans la ville texane. Un bug qui ferait l’objet d’échanges épistolaires un peu tendus entre les différents ministères de tutelle de l’agence Business France qui a organisé le pavillon French Tech, soit principalement Bercy –où est installé le secrétariat d’État au Numérique d’Axelle Lemaire et sa Mission French Tech – et le Quai d’Orsay, alors qu’une première réunion de « debriefing » doit avoir lieu la semaine prochaine entre les différents protagonistes de l’opération.
« La préparation n’a pas été à la hauteur des enjeux », lâche un des participants français, issu d’un organisme partenaire, à la Lettre confidentielle. « Or, pour les startups du digital content, c’est ce genre de manifestation qui fonctionne aujourd’hui : le Music Tech Fest de New York ou le Reeperbahn Festival de Hambourg sont en pleine croissance. Mais elle doit être préparée très en amont, avec minutie et modestie ». Et de citer des créateurs de startups mal préparés, des initiatives françaises peu cohérentes entre elles, l’absence de relations publiques, des séances de « pitch » (présentations express à des investisseurs) parfois peu efficaces faute d’interlocuteurs bien ciblés, une coordination insuffisante et un manque de cohésion entre les différents protagonistes français… Business France et le French Tech Club, monté à l’occasion par un opérateur privé, n’apparaissaient même pas ensemble sur les mêmes supports. Des appréciations similaires émanant de consultants seraient remontées à Bercy.
Une présence désordonnée…
En l’occurrence, la France semble avoir été au SxSW sinon en ordre dispersé, du moins de façon désordonnée cette année. Ceci bien que cette opération se soit inscrite dans le cadre de l’initiative French Tech portée par le secrétariat d’État au Numérique et qu’une première participation l’an dernier ait servi de test. C’est du moins l’impression laissée à notre interlocuteur. Et il n’a pas tort.
Business France a organisé, pour la deuxième année consécutive, le French Tech pavillon. Mais parallèlement, un French Tech Club a été monté dans le cadre de cette opération collective, par un entrepreneur privé partenaire : il se situait au French Legation Museum d’Austin, un musée quelque peu excentré à 20 minutes du centre des expositions. Doté d’un restaurant, d’un showroom et d’une salle de presse, il a bénéficié du soutien de plusieurs autres partenaires dont la Région Île-de-France, son agence numérique la Fonderie, Total, Seb et la Mission French Tech. Créé l’an dernier, le French Tech Club est un projet de lieu éphémère, monté sur un événement, labellisé par la Mission French Tech. Il est présidé par le spécialiste des stratégies digitales Louis Montagne, à la tête de l’agence af83, basée à Paris et San Francisco, qui était également partenaire de l’opération. Au SxSW, le French Tech Club devait être l’un des épicentres un peu décalé du programme d’événements et de networking français. Mais cette année, il n’aurait pas attiré les foules.
Pour compléter le tout, de leur côté, les services culturels de l’ambassade de France à New York s’occupaient de placer des intervenants à différentes conférences. Et la ville d’Angers, jumelée avec Austin, avait aussi son programme réservé Austin Angers Creative sur le French Tech Club, et ses chefs cuisiniers à l’œuvre dans le restaurant…
De quoi dérouter tout autant les visiteurs que certains participants sur le message… Contrairement au CES de Las Vegas ou au Mobile World Congress de Barcelone, salons traditionnels où la formule du pavillon French Tech organisé par Business France fait plutôt merveille, le SxSW est un énorme festival décalé, où se retrouvent des dizaines de milliers de blogueurs, hackers, d’artistes, de créateurs de startups, d’investisseurs, de sociétés établies de cet univers. Comme dans tous les festivals, il y a le programme « on » –tout ce qui se passe au Convention center, lieu classique d’expositions et de conférences–, et le programme « off » –avec ses événements privés qui se déroulent dans toute la ville. La French Tech y a peu brillé, d’autant plus que de grands acteurs du numérique français tels que Deezer ou Dailymotion faisaient festival à part, de même que le Bureau export de la musique…
« Notre mission est de mettre en avant les entreprises »
En première ligne sous le feu des critiques entendues par la LC, l’agence Business France, opérateur pivot de l’écosystème du commerce extérieur français et, à ce titre, organisatrice du French Tech Pavillon, mais non du French Tech Club avec lequel elle était censée avoir coordonné ses actions. Mais on y tombe des nues, aucune de ces critiques n’étant remontées au responsable de l’événement chez Business France.
« 13 sociétés sur 15 participantes ont répondu avoir été satisfaites à notre questionnaire d’évaluation, les autres n’ont pas encore répondu », s’étonne Eric Morand, chef du Département nouvelles technologies-innovation-services, contacté par la LC. « Nous, notre mission est de mettre en avant les entreprises », précise-t-il, ajoutant que le pavillon était moins important qu’à Las Vegas et que le budget était contraint, les startups étant financièrement moins dotées. Et de préciser que cette année, contrairement à une première participation l’an dernier décidée au dernier moment, l’emplacement du pavillon avait pu être mieux choisi : « c’est celui qui a fait le plus de bruit avec celui du Japon selon les organisateurs », indique Eric Morand.
De même, Eric Morand est surpris des critiques sur le manque de préparation des participants. Business France s’est adjoint les services de consultants spécialisés pour les préparatifs, comme DBTH et BETC pour briefer ses 15 startups. Elles ont notamment bénéficié, un mois avant l’événement, du coaching de BETC pour préparer les séances de « pitch ». Enfin, la coordination entre Business France, l’ambassade de France et le French Tech Club aurait bien été assurée avant l’événement… «On peut améliorer les choses», dit encore notre interlocuteur, qui reconnaît que l’opérateur français est arrivé tardivement sur le SxSW comparé à d’autres pays et peut manquer d’expérience. « Mais nous, notre métier, c’est d’accompagner des sociétés sur des salons », insiste-t-il.
Le fait est que des pays qui montent des opérations de longue date sur le SxSW y vont groupés, à l’instar de l’Allemagne, qui y tient une German Haus, une « Maison » commune. Selon un consultant spécialisé qui connaît bien le SxSW, outre l’Allemagne, plusieurs pays comme le Royaume-Uni ou encore la province du Québec commenceraient à s’y préparer dès avant l’été précédant l’événement, clarifiant leurs objectifs, fourbissant leurs initiatives pour être visible dans ce foisonnement et soignant leurs start-ups. Une expérience dont aurait dû s’inspirer Business France, estime-t-il. Une réinitialisation du système semble s’annoncer pour le futur de la présence française au SxSW et dans des événements similaires… Question subsidiaire : cette révision se fera-t-elle sous la bannière French Tech de Bercy, ou sous celle d’Isabelle Giordano, la nouvelle fédératrice de la famille de produits » Mieux se divertir et se cultiver « du Quai d’Orsay, censée regrouper les industries créatives et culturelles (ICC) et curieusement absente de cette opération en tant que telle ?
C. G.
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