La crise du secteur sidérurgique a relancé le débat au sein des 28 Etats membres de l’Union européenne (UE) sur la nécessité de moderniser les instruments de défense commerciale de l’Union, notamment en matière d’antidumping. Face aux grognes du secteur et aux pressions exercées par sept États membres, dont la France, – signataires d’une lettre commune à l’exécutif européen* – la Commission européenne a présenté le 16 mars dernier une communication intitulée « Sidérurgie: préserver des emplois et une croissance durable en Europe». Outre les nouvelles mesures suggérées dans le texte, les responsables à Bruxelles ont aussi exhorté les États membres à adopter un autre paquet de mesures, proposé en avril 2013, visant à moderniser les instruments de défense commerciale de l’UE.
« La suppression de la règle dite du droit moindre, notamment, dans certaines circonstances, permettrait d’imposer des droits antidumping plus élevés », a souligné Elżbieta Bieńkowska, la commissaire au Marché intérieur. Volet de la législation antidumping européenne, cette règle fixe le niveau des droits en appliquant le taux minimal strictement nécessaire pour rétablir des conditions de concurrence équitable. Dans sa proposition d’avril 2013, l’exécutif européen suggère notamment de limiter l’utilisation de cette règle du droit moindre. « Depuis trois ans, les États membres sont incapables de se mettre d’accord sur ce volet du texte », déplore un fonctionnaire au Conseil de l’UE rappelant que les droits de douane dans l’Union sont trois fois moins élevés que ceux des États-Unis, à cause de l’application de cette règle.
Impossible position commune ?
Lors du dernier conseil ‘Compétitivité’, Emmanuel Macron a lui aussi appelé ses homologues à adopter une position commune sur le sujet. Selon le ministre français de l’Économie, l’adoption de cette proposition, bloquée au Conseil depuis 2013, permettrait « une plus grande efficacité » et créerait des taxes antidumping « crédibles ». Or, « à l’heure actuelle, nous ne sommes ni crédibles ni réactifs », a-t-il insisté. L’agence de notation Fitch s’est également prononcée pour la limitation de cette règle, afin de réduire « concrètement » les importations d’acier en Europe.
Les droits antidumping imposés récemment par la Commission sur plusieurs types d’aciers produits en Chine ont été fixés dans une fourchette allant de 13,4 % à 16 %. Sans l’application de la règle du droit moindre, ils auraient pu être fixés entre 52,7 et 59,1 %. « Les firmes chinoises seraient beaucoup plus réticentes à accepter ce niveau de taxes. Dans le court terme, elles choisiraient soit de réduire leur production, soir de trouver d’autres débouchés pour leur production », analyse l’agence Fitch.
Menés par la Grande-Bretagne, plusieurs États membres restent hostiles à revoir l’application de la règle du droit moindre. En 2014, la présidence italienne de l’UE avait tenté de dégager une position commune sur le sujet mais 14 États s’y étaient opposés. Argument invoqué ? Son annulation nuirait à d’autres maillons de la chaîne de valeur et aurait des répercussions sur le prix payé par les consommateurs. « Nous ne devons pas sous-estimer les effets que pourrait avoir cette mesure sur le secteur sidérurgique », a insisté le ministre néerlandais de l’Économie, Henk Kamp, dont le pays assure la présidence tournante de l’UE. Soulignant l’importance des entreprises utilisant de l’acier chinois en Europe, il conclut : « Il ne faut pas mettre en difficulté le reste de l’économie européenne pour protéger un secteur ».
Alliés du Royaume-Uni sur ce volet controversé, les Pays-Bas n’ont d’ailleurs pas inscrit au menu de leur présidence de six mois – qui s’achèvera le 31 juillet – l’adoption du paquet visant à la modernisation des instruments de défense commerciale. La Commission vient néanmoins de lancer une consultation relative à l’application de la règle du droit moindre dans la sphère commerciale. Les résultats serviront de base à une nouvelle proposition que soumettra l’exécutif européen, probablement au mois de juin ou en juillet. « Il ne servirait donc à rien de tenter d’établir une position commune entre les États membres avant cette date », a précisé le porte-parole de la présidence néerlandaise.
Kattalin Landaburu, à Bruxelles
*Lire en accès gratuit sur notre site : Sidérurgie / Anti-dumping : le plan d’action de la Commission européenne pour sauver l’acier européen