Alors qu’un 15ème paquet de sanctions économiques internationales contre la Russie vient d’être adopté par l’Union européenne, le sujet et sa complexité pour les entreprises a été l’un des thèmes phares d’un colloque « Douane – entreprises » organisé le 16 décembre par le Medef. Les services de l’État ont saisi cette occasion pour inviter les entreprises à redoubler de vigilance face aux risques de contournement, qui peuvent donner lieu à des amendes et poursuites judiciaires.
D’entrée, le patron de la DNRED (Direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières), Sébastien Tiran, a voulu rassurer les nombreuses entreprises présentes : si le respect des sanctions internationales est bien au « top des priorités » de ses services, l’État sait se montrer souple lorsqu’une fraude est détectée. « Le cadre national permet de cibler la réponse répressive » a-t-il souligné, en référence au code des douanes national. Le contournement des sanctions internationales est bien considéré comme « un délit douanier » (article 459 du code des douanes) mais pour qu’il fasse l’objet de poursuite pénales, il faut que le ministre de tutelle de la Douane, soit le ministre de l’Économie, des finances et de l’industrie, « porte plainte » (article 458). Or, d’après Sébastien Tiran, « le plus souvent, il n’y a pas de plainte ».
D’après lui, les cas de fraude détectés par ses services, notamment pour la Russie, sont souvent liés à de la « négligence » ou de l’imprudence, ou parce que l’entreprise ne dispose pas d’outils assez efficaces pour détecter des schémas de fraude trop sophistiqués. Les contrevenants se voient appliquer une amende financière (le montant varie de 450 à 225 000 euros selon l’article 459) mais l’affaire s’arrête là, « nous préservons la capacité de l’entreprise à poursuivre son activité ».
L’exemple de la nouvelle clause de « non réexportation »
Rassurant, d’autant plus que les sanctions européennes qui ont déferlé sur la Russie depuis février 2022 -le 15ème paquet a été adopté le 11 décembre – couvre désormais plus de la moitié du commerce avec ce pays, selon Pauline Ennouchy, chef du bureau des sanctions à la DG Trésor (direction générale du Trésor). Inédites par leur ampleur en raison de l’importance des échanges commerciaux qui prévalait avant la tentative d’invasion de l’Ukraine entre la Russie et l’Union européenne, ces sanctions s’ajoutent aux dizaines d’autres mesures de restrictions commerciales et embargos pesant sur d’autres pays tels que la Corée du Nord, l’Iran ou encore Cuba et le Soudan. Il en existe 350 au total, un énorme défi, et souvent un casse-tête en termes de conformité pour beaucoup d’entreprises, notamment les PME.
La mise en conformité avec ces sanctions est devenue un enjeu important et coûteux d’organisation dans les entreprises, notamment celles qui opèrent dans des secteurs « sensibles » comme les biens à double usages civil et militaire ou les nouvelles technologies, mais pas seulement. Les grandes ont des ressources internes et les moyens de recourir à des prestataires externes pour y faire face, mais la tâche est beaucoup plus compliquée pour les TPE et PME.
Exemple : l’obligation d’appliquer aux clients étrangers une « clause de non-réexportation » vers la Russie introduite dans le 14ème paquet de sanctions adopté en juin dernier. Comment concrètement l’appliquer ? Sophie Sidos, présidente des CCEF et co-président de la commission Europe et international du Medef, en a livré un cas concret. Le groupe cimentier qu’elle dirige, Vicat, dispose d’une filiale au Kazakhstan, frontalier de la Russie. Il faut désormais qu’il s’assure que cette filiale n’expédie rien en Russie pour éviter tout risque d’amende ou de poursuite.
Mais comment concrètement introduire cette clause dans ses relations avec la filiale et dans les relations entre celle-ci et ses clients au Kazakhstan ? Comment la rédiger et l’intégrer dans les contrats commerciaux ? Il faudra attendre, pour avoir une vision claire de la réponse, un « FAQ » (Frequently asked questions) sur le 14ème paquet de sanctions promis depuis des semaines par la Commission européenne. Il serait sur le point d’être publié. Il couvrira aussi les sujets autour de l’application de cette clause à ce qui est produit dans les pays tiers non pas par des filiales de l’entreprises mais sous licence.
Détecter les risques de fraude liés au contournement des sanctions est devenue une priorité pour l’Union européenne (UE), échaudée par le constat que de nombreux composants d’origine américaine ou européenne sont retrouvés par les Ukrainiens dans les matériels militaires russes qu’ils saisissent ou détruisent. Et ça l’est d’autant plus pour les entreprises qui produisent des biens sensibles. Qu’elle émane des services de la Douane ou de ceux du Trésor, la recommandation aux entreprises est unanime : il faut qu’elles redoublent de vigilance sur leurs contreparties et leurs flux d’exportation.
En cas de doute, se rapprocher des services de l’État
Quelques conseils de base ont été donnés par le patron de la DNRED sur la base de l’expérience acquise, en trois ans, à travers la centaine d’enquêtes menées par ses services sur des soupçon de fraude concernant la Russie. La typologie des fraudes va des activités purement criminelles, donc volontaires, à des fraudes involontaires par manque de prudence ou par négligence, avec des variations de gravités en fonction de la taille des entreprises et des moyens qu’elles mettent réellement en œuvre pour assurer la conformité de leurs opérations.
« Dès que vous détectez quelque chose d’atypique, de bizarre, mettez le frein à l’opération et rapprochez-vous des services douaniers » a-t-il expliqué. Exemple : une nouvelle commande lancée par un acheteur depuis un nouveau pays voisin de la Russie avec lequel l’entreprise n’a jamais eu de relations commerciales. « Nous avons eu un cas où un nouvel acheteur étranger s’est soudainement manifesté auprès d’une entreprise produisant des biens sensibles. Une simple recherche sur Google a permis de déterminer que c’était un intermédiaire pour la Russie » a illustré Sébastien Tiran.
Souvent, le schéma est plus complexe, pas facile à décortiquer. Dans ce cas, l’entreprise ne doit pas hésiter à se rapprocher des services de l’État compétents, d’autant que ceux-ci sont une bonne source d’information sur les sanctions.
L’accompagnement des services de la DG Trésor et de la Douane
D’après Pauline Ennouchy, le bureau des sanctions de la DG Trésor fournit régulièrement des informations sur un site dédié*, à l’attention des entreprises, sur les sanctions internationales et la typologie des contournements. L’appréciation par son service de l’effort de vigilance fourni par une entreprise, a-t-elle assuré, « adaptée » à sa taille et donc ses moyens. « Mais on pourra conseiller l’entreprise si elle a déjà fait des diligences sur une opération ou une contrepartie et qu’elle a des doutes » a-t-elle indiqué.
La Douane, qui travaille dans ce domaine en lien avec les services compétents de la Commission européenne à Bruxelles, la TAXUD (pour direction générale de la fiscalité de l’Union douanière) est également très active pour tenir informés les opérateurs sur l’actualité des sanctions. Une note leur est adressée dès qu’un nouveau paquet de sanctions est adopté en lien avec la TAXUD, a souligné Sarah Chérion, Inspectrice principale des douanes et adjointe au chef de bureau Restrictions et sécurités des échanges à la DGDDI (Direction générale des douanes et droits indirects).
« Beaucoup de secteurs sont aujourd’hui concernés » a-t-elle rappelé, de la joaillerie aux biens stratégiques et sensibles en passant par le bois. Une carte interactive des pays sous sanctions avec des précisions utiles est en ligne sur son site dédié*. Son administration participe également régulièrement à des réunions d’information sur le sujet organisées à l’attention des entreprises, notamment en s’appuyant sur son réseau de Pôles d’action économiques (PAE) en Région qui disposent de cellules de conseil aux entreprises.
Le mieux pour l’entreprise qui a un « doute » ou souhaite tout simplement s’informer sur les sanctions et les domaines auxquels elles s’appliquent, est de commencer par se rapprocher du PAE de la Douane dans sa Région et de sa cellule de conseil. « Nous vous répondrons sur ce qui est possible ou pas » a assuré Sarah Chérion.
Christine Gilguy
*Liens utiles
-Site de la DG Trésor dédié aux sanctions économiques internationales : cliquez ICI
-Site de la Douane dédié aux sanctions économiques internationales : cliquez ICI
-Contacts des cellules conseil aux entreprises dans les PAE de la Douane : cliquez ICI